Instituée en 1987 mais entrée effectivement en application à partir de 1991, l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés fêtera-t-elle son trentième anniversaire ? Le Gouvernement prépare sa réforme (sa « transformation » en langage de propagande) parce que ses mécanismes ont montré leurs limites affirment la ministre du Travail et la secrétaire d’État aux Personnes handicapées. Il s’agit surtout de favoriser davantage les grandes entreprises, politique libérale oblige, en allégeant une obligation nationale. L’opération vise également à mettre la main sur les 600 millions d’euros collectés annuellement auprès des employeurs qui, plus de 25 ans après la mise en oeuvre du quota de 6% de travailleurs handicapés, ne respectent toujours pas cette obligation. Après tout, que sont donc 25 ans quand l’accessibilité des immeubles neufs, instaurée en 1975, a nécessité deux lois supplémentaires pour la renforcer, en 1991 puis 2005, pour finalement en 2014 réduire les normes et accorder de multiples dérogations ? Les politiciens et gouvernants oubliant volontairement au passage que l’accessibilité de la voirie, des transports et du cadre bâti est la condition première de l’accès à l’emploi des travailleurs handicapés.
L’obligation d’emploi de ces travailleurs repose sur un principe simple résultant de l’article Premier de la loi d’orientation du 30 juin 1975 érigeant en « obligation nationale » l’emploi, l’orientation professionnelle et la formation des personnes handicapées. Douze ans après, la loi du 10 juillet 1987 instaurait cette obligation de résultat : les employeurs d’au moins vingt salariés devaient occuper 6% de travailleurs reconnus handicapés ou verser une contribution financière à un Fonds pour l’insertion professionnelle. En principe, ce Fonds c’est l’argent des personnes handicapées privées d’emploi et qui ont besoin d’être orientées, formées, soutenues dans leur accès ou retour au travail. Mais immédiatement, les personnes handicapées ont été dépossédées de sa gestion, confiée à un organisme administré par les syndicats patronaux et de salariés, les associations de personnes handicapées comptant pour du beurre : les larrons du paritarisme salario-patronal ont toujours empêché qu’un représentant d’association de personnes préside l’Agefiph qui gère l’argent des travailleurs handicapés privés d’emploi !
Mais c’est déjà du passé. L’opération de reprise en mains de l’obligation d’emploi et des deux Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées a été lancée sous le quinquennat du « socialiste » François Hollande et se poursuit dans une parfaite continuité sous celui du libéral Emmanuel Macron. Deux outils de dynamitage viennent d’être mobilisés : la Cour des Comptes et une mission conjointe de l’Inspection Générale des Finances (IGF) et Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS). Ces deux « groupements » de hauts-fonctionnaires concluent tous deux à une nécessaire refonte de l’obligation d’emploi et une restructuration des deux Fonds. Dans un Référé, la Cour des Comptes étrille le fonctionnement des deux Fonds pour l’insertion professionnelle (Agefiph pour le secteur privé, FIPHFP pour les fonctions publiques) en mettant en évidence les points d’achoppement qui servent sa conclusion, réformer l’obligation d’emploi et les Fonds. La mission IGF-IGAS propose également de réformer les modalités de l’obligation d’emploi et de supprimer les deux Fonds d’insertion : la déclaration d’emploi de travailleurs handicapées serait intégrée à la nouvelle Déclaration Sociale Nominative, ce qui est censé constituer une simplification administrative qui reste à démontrer. La contribution à l’Agefiph et au FIPHFP serait versée à l’organisme collecteur des cotisations de Sécurité Sociale, ce qui constitue la dépossession finale des travailleurs handicapés : la contribution destinée à compenser les lacunes des employeurs à respecter une obligation nationale deviendrait une cotisation sociale, ce qui change tout. Les deux Fonds seraient fusionnés au sein d’un établissement public confié à Pôle Emploi, autant dire à l’État et sa technocratie.
Le sérieux de cette proposition doit être apprécié à l’aune de propos récents du directeur général de Pôle Emploi, Jean Bassères, devant des sénateurs qui l’auditionnaient le 5 décembre dernier : « Il est regrettable que les conseillers de Pôle emploi maîtrisent mal les aides proposées par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) : ne pourrions-nous pas spécialiser nos conseillers dans certaines agences ? » Le directeur général de Pôle Emploi reconnaissait également que son organisme rencontrait des « difficultés relationnelles avec Cap emploi. Alors que cette structure est un réseau spécialisé de qualité, nous ne lui adressons pas forcément les personnes les plus en difficulté. » Les professionnels de l’insertion professionnelle savent pertinemment que Pôle Emploi est démuni face aux travailleurs handicapés, tout comme l’était son prédécesseur, l’ANPE. Lui confier l’argent des travailleurs handicapés privés d’emploi revient à le donner à l’État qui financera ce qu’il veut comme il veut. Cette réforme s’inscrit dans celle, plus globale, de la formation professionnelle qui ne s’annonce pas positive pour les travailleurs handicapés.
Les hauts-fonctionnaires et les politiciens qui administrent les finances publiques sont incapables de réduire le déficit du budget de l’État tout en multipliant les gaspillages d’argent public. Pour réparer leurs errements, ils n’ont aucune vergogne à piocher dans les organismes assurant une mission de service public comme en témoignent les 174 millions détournés des caisses des deux Fonds d’insertion professionnelle de 2014 à 2017. Ils ont le pouvoir, en usent et en abusent. Au-delà des constats et remarques soulevant des problèmes et difficultés qui doivent être traités, le Référé de la Cour des Comptes et le rapport de mission IGF-IGAS servent la cause d’un État prédateur avide de tout contrôler pour, au final, agir au détriment des simples gens.
Laurent Lejard, janvier 2018.