C’est au contact de sa grand-mère que Mari Katayama, 34 ans aujourd’hui, a dans l’enfance appris la couture. Apprentissage qu’elle a mis à profit pour coudre des jambières habillant ses prothèses, des vêtements adaptés et ses créations artistiques. Pour son travail photographique, elle met en scène son corps dans divers univers. Les photographies qui en résultent sont exposées jusqu’au 24 octobre à la Maison Européenne de la Photographie (5/7 rue de Fourcy, Paris 4e). Mari Katayama explique ici sa démarche artistique et personnelle.
Question : Qu’est-ce qui vous a conduite à exposer et mettre votre corps en images mises en scène ?
Mari Katayama : A l’origine, je voulais présenter mes objets « cousus main » sur les réseaux sociaux, et j’ai choisi la photographie comme médium pour le faire. Cependant, il était difficile de comprendre ce qu’étaient ces objets si je me contentais de les montrer. J’ai donc utilisé mon propre corps comme mannequin pour les présenter de manière descriptive. Le corps a ainsi commencé à apparaître sur les photographies. De plus, quelques personnes ont pris des clichés de moi et de mes objets, mais même si c’était moi et les objets que j’avais fabriqués qui y figuraient, l’image devenait l’oeuvre de celui qui l’avait prise. J’ai donc fait le choix d’appuyer moi-même sur le déclencheur.
Question : Comment la société japonaise a-t-elle perçu votre corps de femme exposé dans ces évocations diverses ?
Mari Katayama : Je me considère comme un être humain mais beaucoup de gens dans le monde me voient comme une « femme » ou une « handicapée. »
Question : Quel est votre processus de création, les techniques que vous utilisez ? La photo argentique, numérique, la retouche Photoshop ?
Mari Katayama : Certaines photos argentiques sont entièrement analogiques, de la prise de vue à l’impression, tandis que d’autres sont numérisées et imprimées numériquement. Les photos numériques sont parfois développées dans une pièce lumineuse. On me demande souvent si je fais des modifications (dessin, lumière, etc.). Je pense que c’est plus amusant de dessiner que de faire des retouches ou des compositions excessives. Je crois que la photographie est un mensonge, alors je change les supports que j’utilise en fonction de mon but. Par exemple, si le rapport au sujet est important pour moi, j’ai tendance à utiliser le film, et si je pense que la peinture correspond mieux à l’image, je vais acheter des peintures.
Question : Il existe un mouvement de « chirurgie électronique » d’amputation fictive de personnes valides qui se représentent comme des personnes privées d’un bras, d’une jambe, etc. Quel regard portez-vous sur cette pratique ?
Mari Katayama : Hola ! Dans quel monde pratique vivons-nous ! [rires]. J’ai un ami qui s’est fait amputer un bras en bonne santé parce qu’il voulait juste le couper : j’aurais aimé pouvoir le lui dire plus tôt ! Cependant, je m’interroge sur le lien entre réalité physique et avatar numérique ; j’ai de grands espoirs pour le développement d’une technologie qui les connecte.
Question : A propos de regard, quelles sont les réactions significatives que vous avez reçues ou entendues sur votre travail ?
Mari Katayama : Certaines personnes interprètent mon travail comme traitant du temps, de l’existence physique et des thèmes fondamentaux de l’être humain. D’autres disent : « C’est formidable que vous viviez durement même si vous avez un handicap. » Je pense que je mourrais si je vivais « durement » dans ce monde : c’est donc probablement leur voeu…
Laurent Lejard, septembre 2021.