Inspectrice Générale des Affaires Sociales, Claire Compagnon a été nommée le 27 avril dernier à la nouvelle fonction de Délégué interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement. Elle sera placée sous l’autorité de la secrétaire d’Etat aux Personnes handicapées et accompagnée d’un conseil national des troubles du spectre autistique et des troubles du neuro-développement comptant des représentants d’associations, de l’Etat, des collectivités territoriales, des scientifiques et des personnalités qualifiées. Spécialiste des politiques publiques dans ce domaine, elle avait conduit les travaux d’élaboration du 4e plan gouvernemental pour l’autisme, et précédemment en mars 2016 remis un rapport sur l’Evaluation des Centres de ressources autisme (CRA) en appui de leur évolution, puis un an plus tard sur l’Evaluation du 3e plan autisme dans la perspective de l’élaboration d’un 4e plan.
Question : Vous venez d’être nommée Déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement. Pouvez-vous préciser votre champ d’action ?
Claire Compagnon : L’idée qui a prévalu pendant les travaux de la concertation repose sur deux notions très importantes, l’équité et l’efficience de notre politique publique. Quand on regarde aujourd’hui l’état des connaissances sur l’autisme, ce que l’on sait de la situation des personnes, on s’aperçoit que beaucoup d’entre elles présentent différentes sortes de troubles : autisme avec déficience intellectuelle, autisme et épilepsie, autisme et troubles dys, etc. Avec le comité de pilotage nous avons mené une réflexion sur ce qui est commun à l’ensemble de ces troubles du neuro-développement et qui, en termes d’efficience des politiques publiques, nécessiterait qu’on les prenne en compte, et ceux qui nécessitent des réponses spécifiques. On est arrivé à une position de consensus, sur la nécessité dans la phase très précoce de repérage et d’intervention auprès des enfants, de prendre en compte l’ensemble des troubles, puisqu’on ne connaît pas, quand les enfants sont très jeunes, la nature exacte de leur handicap et des troubles dont ils sont atteints. Pour cela, on doit revoir la formation des professionnels afin de les former à tous ces troubles de neuro-développement qu’ils sont susceptibles de rencontrer dans leur parcours. On est également parvenu à un consensus sur la question de la recherche : il n’y a pas de sens aujourd’hui à mettre en place des programmes de recherche trop spécifiques en matière de troubles du neuro-développement, parce que les chercheurs eux-mêmes nous le disent, ils sont amenés à travailler sur des champs beaucoup plus larges.
Question : La révision du programme des études médicales, paramédicales et médico-sociales pour intégrer les troubles liés à l’autisme est particulièrement lourde…
Claire Compagnon : Vous avez raison. Si on fait le parallèle avec le 3e plan autisme qui comportait des enjeux importants en termes de formation qui n’ont pas forcément abouti, on est aujourd’hui dans une phase pourrait-on dire ‘d’alignement des planètes’ en matière de formation initiale. Un certain nombre de maquettes des formations médicales et sociales sont actuellement révisées. L’idée est d’intégrer dans la formation initiale des éléments actualisés au regard de l’état des connaissances, et qui couvrent les besoins repérés de ces professionnels sur ces questions des troubles du neuro-développement. Une des mesures phares de la stratégie nationale est de mettre en place les conditions d’un repérage et d’une intervention précoces auprès des enfants dès que l’on s’aperçoit de leurs difficultés. Il faut donc que les professionnels de la petite enfance, que ce soit les médecins généralistes, les pédiatres, les puéricultrices, les assistantes maternelles, les personnels de crèches, soient formés et sensibilisés à l’existence de ces troubles, pour les repérer, prendre en compte la demande des parents, reconnaître avec eux qu’il y a une difficulté et orienter les parents vers les structures et les professionnels adéquats.
Question : Dans quel délai ?
Claire Compagnon : La stratégie nationale couvre les années 2018 à 2022. La délégation interministérielle que je vais présider est actuellement en cours de constitution, on est en train d’établir avec les ministères et les services un certain nombre de priorités d’action dans lesquelles figurera la question de la formation.
Question : L’un des aspects sur lequel la stratégie nationale ne choisit pas son camp, c’est la confrontation des approches entre le médico-psychanalytique et le comportementalo-éducatif…
Claire Compagnon : La stratégie n’a absolument pas à choisir un camp ! Le champ est clairement défini aujourd’hui avec l’existence des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé, que ce soit les anciennes ou celles qui viennent de paraitre sur les adultes. La question des interventions et des approches comportementales relève directement de la mise en oeuvre des recommandations de bonnes pratiques. On n’a plus de ‘camp’ à choisir, la question ne se pose plus. Il y a des recommandations de bonnes pratiques, et aujourd’hui des pratiques qui doivent se caler par rapport à ses recommandations. La précédente secrétaire d’État aux personnes handicapées, Ségolène Neuville, avait clairement dit lors du colloque international de 2017 que ce sont les approches comportementales, avec toutes les questions techniques et méthodologiques qui se posent aujourd’hui notamment en matière d’intensivité, qui sont les seules approches recommandées en la matière.
Question : Pour autant, cela n’interdit pas des pratiques déployées dans des hôpitaux psychiatriques ou établissements médico-sociaux à base de médicaments, de camisole chimique, voire d’actes à la limite de la torture tel le packing…
Claire Compagnon : Je vous laisse la responsabilité de ces qualificatifs… Là aussi, vous le savez, les recommandations sont précises et claires. La question de la prise en charge médicale des enfants et des adultes dans les établissements psychiatriques est en cours de réflexion avec l’accord des professionnels de la santé mentale. Des travaux sont en cours avec les services du ministère sur l’évolution des hôpitaux de jour dans la prise en charge des troubles du neuro-développement. Une mission de l’Inspection Générale des Affaires Sociales sur l’activité des Centres d’Action Médico-Sociale Précoce [CAMSP] et des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques [CMPP] doit rendre ses conclusions dans les mois qui viennent. On est dans cette évolution de la prise en charge des enfants dans les hôpitaux de jour.
Question : Parmi les enfants et les adultes, un certain nombre a été placé en Belgique faute de solution en France. Disposez-vous d’un chiffrage des personnes autistes concernées ? Est-il prévu dans la stratégie nationale un plan de retour en France ?
Claire Compagnon : Une mission récente de l’IGAS a montré qu’il était difficile de faire la part des personnes autistes parmi celles qui sont placées en Belgique. On dispose en France de peu de données épidémiologiques robustes sur la question de la prévalence, et au-delà de la prévalence, sur les lieux et les modes d’intervention et d’accompagnement des personnes autistes, notamment les adultes. C’est aussi un des enjeux de la stratégie nationale pour les années à venir. S’il n’y a pas de dispositions particulières sur la Belgique dans la stratégie nationale, c’est que ces dispositions précèdent la stratégie avec les mesures qui ont été mises en place sur l’aide au retour.
Question : La stratégie nationale fait état d’un besoin de financement approchant les 400 millions d’euros, dont 53 millions proviennent d’un reliquat du 3e plan autisme, mais on ne connaît pas l’origine des 344 autres millions. Quelle est la répartition des crédits entre ministères, Sécurité Sociale, CNSA et départements ?
Claire Compagnon : Les 14 millions d’euros consacrés au financement de la recherche sont des crédits partagés entre les ministères de la Recherche et de la Santé, avec sur les aspects sciences sociales une partie CNSA. 106 millions dédiés au repérage et à l’intervention précoces auprès des enfants proviennent essentiellement de l’assurance maladie au titre de l’Ondam [Objectif national de dépenses d’assurance maladie NDLR] et une partie de financements médico-sociaux, notamment pour ce qui va concerner la création et la coordination des plates-formes d’intervention. Pour les aspects très importants des apprentissages et de la scolarisation en milieu ordinaire, les 103 millions d’euros sont fournis pour environ 30 millions par le ministère de l’Education Nationale, le complément étant assuré par l’Ondam médico-social au titre du financement de places et de services tels les SESSAD [Service d’Education Spécialisée et de Soins A Domicile NDLR]. Cela inclut l’effort que fait l’Education Nationale en matière de formation de ses équipes et de ses enseignants. 115 millions sont consacrés au plan de repérage et de diagnostic des adultes dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, dont l’organisation de prises en charge alternatives au long séjour en psychiatrie, l’emploi et le logement accompagnés; les financements proviennent de l’Ondam et du ministère du Logement. 6 millions d’euros sont consacrés aux dispositifs spécifiques de soutien aux familles, éducation thérapeutique, programme de guidance parentale, création de plates-formes de répit et de gestion des cas complexes. Enfin, la CNSA apporte des financements pour la communication et l’information. Voilà cette décomposition de 344 millions de moyens nouveaux investis dans la stratégie nationale. On dispose également de 53 millions d’euros du 3e plan autisme et qui concernent la création de 1.500 places en établissements et services médico-sociaux pour adultes, ils vont être déployés sur les années 2018 à 2020. Au total, cela représente près du double du financement du 3e plan autisme. Les financements des départements viendront en plus, en fonction de leur volonté, mais nous avons un accord assez large de leur part sur leur adhésion à la stratégie nationale, et un accord cadre sera signé à cette fin.
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2018.