Le 19 février dernier, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, et la secrétaire d’État chargée des Personnes Handicapées, Sophie Cluzel, ont annoncé installer une commission chargée de faire des propositions pour prévenir la maltraitance des personnes âgées ou en situation de handicap. Comme disait Georges Clemenceau : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission ! »
Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de mettre en place des commissions, faire un empilage de textes, de rapports, de belles déclarations sans que, sur le terrain, jamais aucun professionnel, parent, association ne voit l’once d’une réelle avancée et d’actes forts. Cela au détriment des personnes âgées et vulnérables que les pouvoirs publics sont sensés devoir protéger, conformément à l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et les articles 15 et 16 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées que la France a pourtant ratifié il y a maintenant onze ans.
En cause, une politique menée depuis plus de 40 ans qui tend à considérer la situation des personnes handicapées de façon spécifique et non comme un sujet de droit, ce qui est vecteur de discrimination sociale, de violences institutionnelles et de maltraitance. Le droit commun est intangible et la citoyenneté est Une et Indivisible.
En cause la non application de contrôles efficients et indépendants comme le promeut l’alinéa 3 de l’article 16 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, dénoncée à de multiples reprises par l’Organisation des Nations-Unies et notamment par le Comité des Droits de l’enfant qui s’est dit, dans ses observations de février 2016, préoccupé par le fait que les établissements français ne faisaient « pas suffisamment l’objet d’une surveillance indépendante ».
En cause, les textes de lois existants qui n’ont pas été appliqués, tandis que le rapport du Sénat en 2003 « Maltraitance envers les personnes handicapées, briser la loi du silence » n’a jamais été pris en compte. Faut-il rappeler la jurisprudence de la cour de Cassation datant du 26 septembre 2007 qui a confirmé un arrêt de Cour d’Appel considérant que la dénonciation de maltraitance « constitue une liberté fondamentale qui doit profiter d’une protection légale renforcée. ». Elle fut, à l’époque, largement diffusée à tout le secteur social et médico-social. Le clou fut un peu plus enfoncé par le décret du 23 décembre 2016 qui oblige tous les établissements et services à signaler tout dysfonctionnement grave ou événement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être des personnes prises en charge. De tels agissements s’exercent donc en pleine conscience. Ce qui en dit long sur le sentiment de toute puissance et d’impunité qui animent leurs auteurs, conforté par l’inertie et le manque total de volonté des pouvoirs publics a vouloir éradiquer de manière efficace et définitive la maltraitance faite aux personnes âgées ou en situation de handicap.
Ce que nous pouvons déplorer hormis l’inertie, l’inefficacité, le manque de volonté et une certaine forme de « caution » des pouvoirs publics, c’est le manque total de concertation entre cette commission chargée de faire des propositions pour prévenir la maltraitance des personnes âgées ou en situation de handicap, et les associations de terrain, non gestionnaires et non subventionnées par les pouvoirs publics, qui oeuvrent chaque jour auprès des professionnels, des familles des résidents et/ou usagers qui se retrouvent confrontés à des situations beaucoup trop souvent dramatiques, pour ne pas dire mortifères. A se demander alors si cette volonté délibérée de non concertation ne cache pas un énième désinvestissement pour une cause dont l’actuel Président de la République avait pourtant déclaré vouloir faire une des priorités de son quinquennat.
En l’état actuel de la situation, face au constat et aux enseignements que nous pouvons tirer, nos doutes sont plus que fondés quant à la volonté de ce gouvernement de vouloir enfin faire cesser les traitements indignes et dégradants sur nos plus fragiles et vulnérables. Notre insoumission face à l’injustice, à la discrimination, à la maltraitance multiforme dont certaines sont sans cesse victimes, est plus que jamais justifiée. Nous croirons la ministre des Solidarités et la secrétaire d’État au Handicap lorsque enfin des actes forts et immédiats seront mis en application, en conformité avec les recommandations que l’ONU fait à la France. Mon Comité de soutien et moi-même exigeons l’inscription du terme et de la locution « maltraitance » et « maltraitance institutionnelle » dans le code pénal [actuellement, seul le terme « mauvais traitements » y figure ce qui permet à des maltraitants de poursuivre leur accusateur en diffamation NDLR] qui aujourd’hui encore n’y figurent pas, ce qui est objectivement des plus préjudiciables : lors de la mise en oeuvre et application du nouveau code pénal en 1994 seule la notion de « vulnérabilité » y fût insérée, créant ainsi un vide juridique permettant notamment de fait de classer sans suite toute plainte pour « maltraitance ».
Après ma relaxe remarquablement motivée par la Justice de Toulouse, nous ne pouvons concevoir que les auteurs et les complices de ces maltraitances perpétrées pendant 20 ans à l’encontre de résidents polyhandicapées de l’Institut Médico-Educatif de Moussaron ne soient pas jugés. Nous exigeons donc à ce titre une enquête parlementaire et un audit ministériel afin de déterminer les responsabilités de chacun et chacune, notamment celle des pouvoirs publics. Nous exigeons que soit mise au jour la chaîne de responsabilité qui a permis qu’aujourd’hui encore les auteurs et responsables d’actes de maltraitance graves ne soient jamais condamnés. Quels sont les mécanismes ou les mesures de protection dont ils ont bénéficié pour qu’une telle impunité perdure ? Nous réclamons que soit porté à l’Assemblée Nationale et au sein du Ministère des Solidarités et de la santé un véritable travail de réflexion et d’élaboration à ce sujet, en conviant les acteurs et experts de terrain à y participer. Pour que la lutte contre la maltraitance ne reste pas une belle Arlésienne.
Céline Boussié et Sylvie Bataille, Comité de Soutien à Céline Boussié, initiateur du Plaidoyer pour des institutions sociales et medico-sociales de qualité, mars 2018.