Le Gouvernement se fixe de grands objectifs pour les cinq ans qui viennent, tels que revaloriser l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) à 900€ mensuels pour que les revenus des bénéficiaires se rapprochent du seuil de pauvreté de 1.003€. « Elle va permettre de réduire significativement la pauvreté subie des personnes handicapées », détaille le dossier de presse du Gouvernement. Réduire mais pas supprimer, et pas pout tout le monde.
En effet, derrière cette communication abondamment reprise dans les médias se dissimulent de nombreux perdants. D’abord, contrairement aux déclarations de la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, cette augmentation ne sera effective que dans 24 mois, à compter du 1er novembre 2019. Et tous les allocataires n’en profiteront pas puisque les conditions de son calcul seront modifiées pour les 250.000 couples, soit un quart des allocataires : il leur sera appliqué un plafond particulier de cumul de leurs revenus qui va neutraliser le bénéfice de la revalorisation, même s’ils ne perdront pas un euro selon le secrétariat d’Etat aux personnes handicapées. Les couples continueront à payer « le prix de l’amour », ce que Sophie Cluzel a déjà justifié le 5 septembre dernier en répondant à une question écrite d’une députée La République en Marche, Barbara Pompili : « Ce minimum social est financé par la solidarité nationale qui s’articule avec les solidarités familiales reconnues et organisées par l’ensemble de notre droit, et notamment le droit civil s’agissant de la solidarité entre époux. » Le très droitier François Fillon ne proclamait pas autre chose dans son programme lors de la campagne pour l’élection présidentielle du printemps dernier, en invoquant la solidarité familiale pour suppléer la solidarité nationale.
Ce n’est donc pas avec ce Gouvernement que l’émancipation des personnes handicapées sera assurée, bien au contraire elles seront maintenues à la limite de la pauvreté et dépendantes des aides publiques qui vont d’ailleurs être révisées : « L’ensemble des aides publiques, dont les dépenses fiscales, pouvant bénéficier aux personnes handicapées dont la complexité reste source de difficulté pour les bénéficiaires eux-mêmes et leurs familles », lit-on dans le dossier de presse du CIH. Gageons que ce ne sera pas pour les augmenter, mais plutôt pour les réduire ou supprimer, comme le Gouvernement l’envisage pour les pensionnés d’invalidité et rentiers pour accident du travail ou maladie professionnelle : le bénéfice de la prime pour l’emploi leur sera supprimé à compter de janvier prochain parce qu’elle n’a pas été demandéée « par un grand nombre de bénéficiaires ».
A partir de novembre 2018, les allocataires adultes handicapés vivant en couple pourraient prochainement perdre jusqu’à 270€ par mois avec l’abaissement du plafond de cumul revenus-AAH, mais ils ne seraient pas les seuls perdants du fait de la fusion annoncée des deux compléments d’AAH. Ou plutôt de la suppression du plus élevé, la Garantie de ressources de 179,31€. Il ne resterait que la Majoration Vie Autonome au montant immuable depuis sa création en 2006, 104,77€. Résultat, les 65.000 bénéficiaires de la Garantie de Ressources perdraient 75€ sur les 90€ de revalorisation : cette augmentation ne serait donc que de 15€ à partir de novembre 2019. Un gros tiers des allocataires verraient ainsi leur prestation baisser ou stagner, sans parler de la révision des « avantages » fiscaux et sociaux liés. Ces réformes ont été élaborées dans la discrétion des cabinets ministériels, les associations de personnes handicapées les ont découvertes en lisant le dossier de presse du CIH, la concertation a été zappée.
La doctrine du Président de la République, Emmanuel Macron, est de respecter les promesses formulées pendant sa campagne électorale, et effectivement il les réalise : réforme du droit du travail par ordonnances, suppression de l’impôt sur la fortune, augmentation de la Contribution Sociale Généralisée y compris pour les pensionnés d’invalidité, rentiers AT-MP et retraités, revalorisation de l’AAH, entre autres mesures récentes. Mais si son Gouvernement fait cadeau de 3,5 milliards d’euros aux plus aisés des contribuables en supprimant l’impôt sur la fortune, il réduit d’autant ses recettes budgétaires alors que les 90€ d’augmentation d’AAH représentent un milliard d’euros en année pleine. Alors pour trouver l’argent, il veut réviser à la baisse les conditions d’octroi de cette prestation et des aides fiscales ou sociales qui l’accompagnent, une nouvelle version du « reprendre d’une main ce que l’on donne de l’autre » pour octroyer aux riches ce que l’on soustrait aux pauvres…
Laurent Lejard, octobre 2017.