Cela s’est passé le 1er juillet dernier à bord du TGV inaugural de la ligne à grande vitesse reliant Bordeaux à Paris. Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, entre dans le compartiment dédié aux voyageurs en fauteuil roulant des toutes neuves rames duplex Océane et engage la conversation avec votre serviteur qui n’a pas oublié de préciser qu’il participe à ce voyage en tant que journaliste : « Oui, l’espace voyageurs handicapés est confortable. En 1ere classe, on a le choix de rester sur le fauteuil ou de s’asseoir sur un siège inclinable, et on dispose de toilettes adaptées. Mais on est bloqué ici, impossible d’aller à la voiture-bar, et pas de service alternatif pour compenser cette inaccessibilité ». Le ministre écoute attentivement; derrière lui, le président du conseil de surveillance de la SNCF, Frédéric Saint-Geours, note. Tous deux vont ensuite rejoindre au fond du compartiment la ministre chargée des Transports, Elisabeth Borne, placée sous la tutelle de Nicolas Hulot, et le président de la SNCF, Guillaume Pépy. Quelques minutes plus tard, ce dernier vient nous voir : « J’ai bien reçu votre remarque, mais vous savez, le service à la place on va le faire sur cette ligne. » Bonne nouvelle donc, puisque actuellement rien n’est prévu : les passagers de l’espace handicap peuvent certes appeler un contrôleur au moyen d’un bouton ad hoc (lorsque celui-ci fonctionne) mais sans garantie que ledit contrôleur vienne ni qu’il veuille bien aller demander au personnel de la voiture-bar de venir prendre la commande d’un voyageur handicapé qu’il devra ensuite revenir apporter en laissant les autres clients en plan !
Pourtant, le service à la place (qui existe sur d’autres compagnies telles Lyria et Eurostar) coule de source : la ligne est nouvelle, les rames qui y circulent sont neuves, les dispositions sur l’accessibilité de la loi du 11 février 2005 et sa révision par l’ordonnance du 26 septembre 2014 s’appliquent pleinement. De ce fait, puisque le donneur d’ordre SNCF a commandé au fabricant français Alstom des trains dans lesquels les passagers handicapés moteurs ne peuvent se déplacer, un service de remplacement doit compenser cette inaccessibilité. Inaccessibilité qui n’est pas la règle partout : Siemens fabrique les trains à grande vitesse allemands (ICE) dont la voiture-bar est mitoyenne de l’espace voyageurs handicapés, ceux-ci pouvant aisément la rejoindre grâce à un couloir large. L’inaccessibilité des voitures-bar des trains français résulte de choix techniques délaissant les clients handicapés, pas d’une impossibilité absolue. Mais le président de la SNCF me l’annonce, le problème sera rapidement réglé par un service à la place, au moins sur les TGV Paris-Bordeaux, plus de dix ans après que la loi l’a rendu de facto obligatoire.
Les paroles ayant la fâcheuse habitude de s’envoler, il nous fallait donc obtenir une confirmation écrite. Elle est arrivée par courriel le 27 juillet dernier sous la signature conjointe de la responsable du pôle Courriers institutionnel et citoyen du secrétariat général de la SNCF et de la directrice du TGV Atlantique : « Lors de l’inauguration des lignes Sud Europe Atlantique et Bretagne Pays de Loire, vous avez interpellé le Ministre de la transition écologique et solidaire à propos de l’accès des utilisateurs de fauteuil roulant à l’espace de restauration dans les rames TGV Duplex. Vous avez également écrit au Président du Directoire de la SNCF et au Président du Conseil de surveillance. Ce sujet est actuellement discuté dans les groupes de travail du projet TGV 2020 et aucune décision n’a encore été prise. Par ailleurs, le Conseil Consultatif pour l’Accessibilité, auquel siègent les neuf associations nationales représentatives des personnes handicapées et à mobilité réduite, présidé par le Secrétaire général Stéphane Volant, est l’instance par laquelle ce sujet doit également être instruit. » Le président de la SNCF est donc démenti par sa technostructure, le service à la place est renvoyé aux calendes ferroviaires : cochon qui s’en dédit ?
Laurent Lejard, août 2017.
PS : Informé de ces péripéties, l’Ambassadeur de l’accessibilité de la SNCF, Patrick Toulmet, n’a pas jugé utile d’y répondre.