La manoeuvre avait échoué à l’Assemblée Nationale en juillet 2015, elle a réussi un an plus tard : les logements sociaux neufs n’auront plus l’obligation d’être accessibles et adaptables, selon les termes d’un amendement porté par le mouvement HLM via les mêmes députés, dont le socialiste Marcel Rogemont. Le 6 juillet 2015, lors de l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance d’allègement de l’accessibilité du cadre bâti et des transports, cet élu défendait non sans cynisme et mépris (« On parle ici des personnes handicapées moteur avec chariot ») les intérêts de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) au comité exécutif duquel il siège : « Il ne s’agit pas d’empêcher, bien entendu, tel ou tel handicapé de choisir son logement, proclamait le député. Il s’agit simplement de permettre à l’organisme HLM d’adapter les logements à la demande. » L’USH n’est autre que la fédération des organismes HLM, un lobby particulièrement puissant puisque le Gouvernement compte sur lui pour atteindre son illusoire objectif de construction annuelle de 500.000 logements « tous formats ». Malgré le très faible coût du crédit et l’important allègement des normes (dont celles d’accessibilité) engagé depuis trois ans, l’objectif n’a été atteint qu’aux deux-tiers. Aussi, la profession en demande toujours davantage, dont les organismes HLM qui représentent 90.000 des 376.000 logements collectifs ou individuels bâtis en 2016.
Lors du débat de juillet 2015, le député socialiste Christophe Sirugue, rapporteur du texte, avait alors nettement rejeté l’amendement : « La politique de rénovation urbaine conduit à détruire un nombre important d’immeubles élevés, avec des ascenseurs, pour y substituer d’autres immeubles qui, jusqu’au R+4, ne sont pas soumis à l’obligation d’installer un ascenseur […] Dans votre proposition, il reviendrait à la personne handicapée de demander la mise en accessibilité de son logement. Si ce n’est pas là la négation complète de l’esprit de la loi du 11 février 2005, il faudra que l’on m’explique ce que c’est. » Christophe Sirugue avait parfaitement perçu les conséquences de l’amendement : réduire l’accessibilité et l’adaptabilité au peu d’immeubles HLM neufs d’au moins quatre étages. Présente en séance, la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, n’avait rejeté que du bout des lèvres la suppression de l’obligation d’accessibilité des logements sociaux : « Lors de l’examen de ce texte au Sénat, un amendement avait été adopté en commission pour étendre l’assouplissement des normes […] Je m’en étais inquiétée et j’avais souhaité sous-amender pour que les bailleurs soient obligés de prendre en charge le montant des travaux […] Je m’en remettrai à la sagesse de l’Assemblée, même si ma sagesse tend plutôt vers un avis défavorable. » Ponce Pilate à l’Assemblée…
Douze mois plus tard, le même amendement est revenu lors du débat sur le projet de loi Egalité et Citoyenneté. Il a été adopté sans débat, avec l’accord du Gouvernement représenté par la ministre du Logement, l’écologiste repentie Emmanuelle Cosse. Ce texte de loi est devenu, au fil des débats, un fourre-tout dont le Conseil Constitutionnel a supprimé plus d’une quarantaine d’articles à la demande de parlementaires de l’opposition. Mais pas celle qui concerne l’inaccessibilité des logements sociaux, que les sénateurs de l’opposition voulaient déjà introduire dans la loi de ratification de juillet 2015 comme on l’a vu plus haut. Bien que cet amendement relatif à la construction d’HLM neufs n’ait aucun rapport avec la loi en débat, ce « cavalier législatif » n’a pas été censuré et fait désormais loi. Dès que les décrets d’application rédigés par une administration très sensible aux lobbies de la construction auront été publiés, l’accessibilité des logements HLM ne sera plus garantie, ramenant la France du XXIe siècle à la condition de pays du tiers-monde du siècle dernier. Au-delà des personnes en fauteuil roulant, cela concerne les centaines de milliers d’occupants qui deviendront handicapés et/ou âgés avec des difficultés de mobilité, ou jeunes faisant des bébés qu’ils devront porter dans les escaliers en supportant seuls les conséquences d’une éventuelle chute. Au mieux, on assistera au retour du quota de logements sociaux accessibles et adaptables avec implantation dans des rez-de-chaussée inconfortables, plus sujets aux effractions, au pire au refus de loger des candidats handicapés.
Première conséquence de cette création légale d’une ségrégation dans l’accès aux logements sociaux, une personne handicapée motrice ne pourra pas rendre visite à un parent ou ami résidant dans un immeuble HLM neuf en étant assurée de pouvoir accéder à l’appartement et d’en utiliser les toilettes. Deuxième conséquence, un organisme HLM pourra affirmer sans mentir qu’il ne dispose pas d’appartements accessibles ou adaptables pour répondre aux demandes de candidats handicapés moteurs. Troisième conséquence, un organisme HLM qui voudra bien envisager de loger un candidat handicapé moteur devra restructurer l’appartement, casser des murs pour redistribuer des pièces, agrandir toilettes et salle de bains, modifier la cuisine et son mobilier, un chantier qui prendra du temps et coûtera cher : combien de bailleurs sociaux le feront, et pour combien de logements ? Exclues du logement social, où iront-donc habiter les personnes handicapées dont la plupart ne peuvent payer un loyer dans le secteur privé ?
Enfin, il faut souligner que cette destruction de l’accessibilité et de l’adaptabilité du logement social a été réalisée avec l’accord du Gouvernement, sans concertation, en catimini, foulant aux pieds la circulaire de son Premier ministre sur la prise en compte du handicap dans les projets de loi. En créant une ségrégation dans l’accès physique aux logements HLM, tous les discours du Président de la République et de ses ministres sur l’accessibilité universelle, le vivre ensemble, l’insertion sociale des personnes handicapées volent une fois de plus en éclats devant la réalité…
Laurent Lejard, février 2017.