Il aura fallu un quart de siècle pour que le Théâtre National de Chaillot (Paris 16e) soit enfin rendu accessible en autonomie aux spectateurs handicapés moteurs. Pourtant, se souvient son attachée de presse, Catherine Papeguay, une convention avait été signée vers 1991-1992 entre son directeur de l’époque, Jérôme Savary, et le secrétaire d’Etat au handicap, Michel Gillibert : quelques rampes à taux de pente élevé avaient été installées et le ministre avait délégué quelque argent pour payer pendant un an une poignée d’étudiants venant pousser les spectateurs en fauteuil roulant. Ces rampes ont maintenant disparu au profit d’une véritable accessibilité, à l’occasion d’une campagne de rénovation et de modernisation d’un théâtre ouvert en 1937 dans un bâtiment immense, le Palais de Chaillot.
Désormais, les spectateurs handicapés vont pouvoir profiter de tous les espaces de ce lieu magnifique, manifeste grandiose des fastes de l’Art Déco. Construit sur l’emplacement du gigantesque Palais du Trocadéro ouvert en 1878 pour une exposition universelle, le Palais de Chaillot se déploie sur deux ailes séparées par un parvis sous lequel se trouve le Théâtre National de Chaillot dont les immenses baies vitrées font face à la Tour Eiffel : l’une des plus belles vues sur ce monument emblématique ! C’est d’ailleurs à leurs pieds que devait s’effectuer l’entrée au théâtre, mais elle fut déplacée à l’opposé, place du Trocadéro, bien plus en hauteur. Conséquence : pour parvenir au théâtre il fallait descendre un immense escalier, doublé sur une partie de son élévation par un escalator aux marches en bois, vintage, toujours en place et en fonctionnement les soirs de représentation. Inaccessibilité totale, donc, que l’aménagement Savary-Gillibert réglait a minima : il fallait organiser l’entrée des personnes à mobilité réduite par l’entrée basse, puis gravir les rampes pour accéder aux deux salles du théâtre.
Maintenant, place à l’accès en autonomie avec la mise en service permanente de l’entrée basse, côté Tour Eiffel. Une rampe en zig-zag franchit le perron de quelques marches, et après la porte d’entrée vitrée, des vestiaires individuels à clé permettent de laisser sacs et manteaux. Tout proche, un ascenseur dessert les deux salles, Vilar et Gémier. La première dispose désormais d’emplacements pour les spectateurs en fauteuil roulant au dernier rang ainsi qu’au rang 13, pour une meilleure proximité de la scène. Les accompagnateurs sont placés sur des sièges fixes proches ou des chaises (sur demande). La salle Gémier, plus petite, a été entièrement reconstruite en « boite noire » avec sièges sur gradins. Cela ne permet de placement fauteuil qu’au premier rang mais la direction envisage également des places en haut de cette salle dédiée à la danse : son plateau en bois a été optimisé pour préserver les articulations des danseurs et leurs performances. De nouveaux WC accessibles et adaptés complètent les existants.
Au-delà des spectacles qu’on y donne, dont une partie est proposée avec audiodescription, surtitrage ou Langue des Signes Française, Chaillot est également un monument dont les spectateurs handicapés moteur pourront enfin apprécier tous les aspects : spectaculaires peintures murales de Pierre Bonnard et Edouard Vuillard dans la galerie des Nabis (du nom de ce mouvement artistique post-impressionniste), foyers Art-déco et leurs fresques, immense foyer bar avec sa fameuse vue sur la Tour Eiffel… Déposée lors de la destruction du fumoir, la grande et belle toile « La Seine de la source à Paris » d’Othon Friesz a été replacée dans le grand hall du théâtre, face à la billetterie, de même que la haute statue « L’Âme et la danse » d’Armel Beaufils. C’est dans ce programme de rénovation, qui se poursuivra notamment par le nettoyage de la vaste fresque « Le Théâtre antique » du grand foyer (Gustave Louis Jaulmes), que s’inscrit la mise en accessibilité de tous les espaces ouverts au public.
Reste à régler l’accessibilité extérieure, et l’affaire n’est pas mince : l’entrée du théâtre est située au sommet d’une longue pente, à 200 mètres du plus proche arrêt de bus, le stationnement automobile est actuellement interdit sur place et quasiment impossible à proximité. Le théâtre a donc sollicité la ville de Paris il y a un an pour créer un abaissé de trottoir, réserver du stationnement automobile devant l’entrée de l’avenue Hussein 1er de Jordanie et implanter une signalétique PMR depuis les quais de Seine et la place de Varsovie. Ce n’est pourtant qu’à l’avant-veille de l’inauguration qu’un agent municipal s’est manifesté pour communiquer les contacts utiles au secrétaire général du théâtre ! En attendant que ce chantier soit lancé, la ville va fournir une petite rampe permettant de franchir la haute bordure de trottoir. Chaillot a brillamment accompli sa partie, reste donc à la municipalité de faire la sienne…
Laurent Lejard, septembre 2017.