Le SE/cW (prononcer sioux), ce sont trois structures culturelles dans un lieu unique, l’ancienne manufacture des tabacs de Morlaix, petite ville de caractère du nord du Finistère. Fondée il y a près de 300 ans pour transformer le tabac, elle a fonctionné jusqu’aux années 2000. Ses vastes bâtiments ont, depuis quelques mois, une vocation culturelle et accueillent salles de cinéma, organisateur de spectacles et de tournées, et le tout nouveau Centre National de Création Adaptée : au coeur de ce CNCA, la troupe Catalyse composée actuellement de sept comédiens handicapés mentaux ou psychiques et fondée il y a 37 ans au sein d’un groupe d’établissements médico-sociaux des Genets d’or.
Un monument historique pour la création adaptée
« C’est une très belle histoire, raconte Thierry Seguin, directeur du SEc/W. La Chambre de Commerce et d’Industrie a acquis les bâtiments en 2004 pour recréer de l’activité, sans y parvenir. Ses représentants sont allés avec la sous-préfète voir ce qui se faisait à Rochefort à la Corderie Royale, pour redynamiser le lieu. Le président de la CCI a proposé de créer un lieu culturel pour l’ouvrir à la population, et unir les différences. » Le temps long qui s’est écoulé a permis, pour Thierry Seguin qui participe à Catalyse depuis plus de 27 ans, d’aboutir à un projet mature. Et la nouvelle Manufacture agrège trois structures existantes qui forment le SEc/W : S pour Salamandre, cinéma estampillé Art et Essai créé il y a 40 ans et qui bénéficie désormais de trois salles joliment décorées de 150, 100 et 50 places en gradins; le E/c, c’est le théâtre de l’Entresort érigé en centre de création adaptée; et W pour Wart, organisateur de spectacles. « Ce sont des activités, des disciplines qui ne se rencontrent pas forcément, conduites par des professionnels qui ont envie de faire des choses ensemble », ajoute Thierry Seguin. Ils disposent de salles de répétition, de spectacle, d’exposition, de travail et de réunion, d’un bar-restaurant, d’une librairie, de bureaux, de cours intérieures se prêtant à des manifestations d’ampleur. L’ensemble dans des bâtiments d’architecture industrielle des XVIII et XIXe siècles, classés monument historique.
Côté publics handicapés, l’accessibilité est assez minimale et réduite aux personnes handicapées motrices : entrée en rampe douce par une rue couverte depuis un trottoir étroit sans stationnement adapté proche, ascenseurs pour les étages, places fauteuil en bas des salles de cinéma et spectacle, pas de guidage podotactile, bornes sonores ou audiodescription pour les spectateurs déficients visuels, ni d’aide aux visiteurs déficients auditifs. « Les aménagements viendront au fil du temps », tempère Thierry Seguin. Le SEc/W a un budget limité et de nombreux locaux ont encore des murs bruts, qui attendent leur peinture ! L’accès aux salles de cinéma est d’ailleurs relativement délicat pour les publics déficients visuels, du fait de poteaux de bois inclinés qui soutiennent les parois des salles : bel effet visuel, mais risque de blessure à la tête…
Créer avec tous
Le Centre National de Création Adaptée vise à jouer sur les collaborations entre la troupe Catalyse et la production de spectacles. « On s’est rendu compte que la proximité crée, par capillarité, des projets, ajoute Thierry Seguin. C’est une performance avec le musicien Rodolphe Burger qui a conduit au spectacle Ludwig, représenté en 2016 au Festival d’Avignon. Il mêlait théâtre, danse et musique. Plus récemment, des musiciens sont venus en résidence pendant le festival Panorama, et un rappeur a eu envie de travailler avec Catalyse. » Mais passer d’une troupe de comédiens issus d’établissements médico-sociaux au CNCA ne s’est pas fait par immaculée création : « Le ministre de la Culture de l’époque, Franck Riester, nous a vu à Bobigny en février 2019, il nous a proposé de créer un centre de création adaptée. Il est très intéressant d’être dans un lieu qui articule toutes les disciplines, en intégrant également les arts plastiques voisins. » Une collaboration déjà engagée pour Ludwig où « les comédiens jouent pour les musiciens qui jouent pour les comédiens. C’était une rencontre au moment du festival Panorama en installant un plateau sur un parking. On l’a montée en 24 heures dans une spontanéité travaillée, et une énorme joie de la réussir. Et Madeleine Louarn a proposé à Rodolphe Burger de travailler sur le spectacle suivant de Catalyse. »
Ce que précise la fondatrice de Catalyse, Madeleine Louarn : « Le SE/cW et la Manufacture représentent l’aboutissement d’une dizaine d’années de travail et de réflexion pour réaliser un lieu qui nous permet de développer les potentiels artistiques de chacun, Salamandre, Wart, et l’Entresort/CNCA. Nous n’avions pas de lieu de travail réellement conçu pour le théâtre et la danse. La concrétisation d’un tel lieu nous permet de travailler chez nous à la création de nos spectacles et aussi d’y accueillir d’autres artistes, croiser différentes disciplines artistiques, danse, musique, cinéma, théâtre, proposer des stages, des rencontres. Nous avons de multiples projets, avec les artistes du Phalanstère du CNCA. » Ce Phalanstère regroupe des créateurs diversifiés dont Hélène Le Cam et Bernardo Montet qui interviennent en complément des représentations de Gulliver, la dernière création de Catalyse, le metteur en scène Jean-François Auguste prépare un duo avec le comédien Jean-Claude Pouliquen, le comédien et metteur en scène Olivier Martin Salvan est en répétition pour un spectacle « Péplum » qui sera créé en 2023.
Des comédiens engagés
Qu’en pensent trois comédiens de Catalyse, Jean-Claude Pouliquen, Guillaume Drouadaine et Manon Carpentier ? Propos croisés au sujet de Médée, un texte écrit par le premier et qu’ils travaillent actuellement : « Être comédien, ça permet de rencontrer des gens et leur donner beaucoup de choses, et l’envie de revenir. Est-ce qu’ils ressentent les mêmes choses que nous, la joie, la gaîté ? Le public n’a pas la même vie, le même avis. Des fois, le public est froid, ou réactif. Les spectateurs font des commentaires, sont dedans, avec nous. Des fois c’est le vide. Des fois, ils ne le font pas ressentir, ils partent vite, c’est grave ! » Engagés pour donner le meilleur d’eux-mêmes à ceux qui viennent les voir, ces comédiens espèrent recevoir une reconnaissance du public, et ont été marqués par un spectateur qui s’est levé pour partir, dans « un public qui n’était pas du tout dans notre proposition. »
Comme tous comédiens, ils sont travaillés par la volonté de bien faire. « Des fois, on a peur d’oublier son texte sur scène. Ce qui a été difficile, un spectacle dans l’après-midi avec des fautes, comment ne pas faire la même erreur après ? On est auteur de la pièce, avec des textes enlevés, c’est difficile pour nous ».
Alors allez voir et entendre les comédiens de Catalyse, à Morlaix et partout où ils se produisent !
Laurent Lejard, décembre 2021.