Entré en France il y a trois ans pour faire soigner les multiples et graves problèmes de santé résultant des séquelles d’une poliomyélite, Diadé Ba, 46 ans, avait rapidement obtenu un titre de séjour en France pour raisons médicales. Mais la réglementation a encore changé en décembre dernier avec le transfert aux médecins de l’Office Français des Migrations et de l’Immigration de l’avis médical précédemment fourni par ceux des Agences Régionales de Santé. Avec un net resserrement des décisions favorables dont Diadé Ba vient de faire les frais : renouvellement du titre de séjour refusé en juillet dernier assorti d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une décision contre laquelle il a formé un recours, avec le soutien de l’Association des Paralysés de France d’Ile-de-France. Diadé Ba est l’un des militants actifs de l’APF du Val-de-Marne où il résidait chez l’un de ses frères qui est… officier de police judiciaire ! Sauf que deux jours avant la signification de cette décision, l’Agefiph l’avait informé de la prise en charge d’une formation de remise à niveau pour intégrer un parcours qualifiant de 18 mois en Centre de Rééducation Professionnelle.
Diadé Ba a tout fait pour vivre pleinement, même s’il n’a pas tout réussi. Une poliomyélite contractée à l’âge de 4 ans a atrophié ses jambes, il n’a été appareillé qu’à 12 ans, et malgré cela a suivi une scolarité ordinaire à Saint-Louis du Sénégal où il vivait alors, en affrontant l’inaccessibilité quasi générale : « Vers 6-7 ans, je voyais mes frères, mes copains aller à l’école, j’ai insisté pour y aller. C’était dur, il fallait me porter. Une fois j’ai même été amené dans une brouette ! Mais l’école était la seule voie pour m’insérer. » Bien qu’issu de la classe moyenne, son père ingénieur et sa mère n’ont pu trouver sur place les moyens d’appareiller leur fils avant sa préadolescence. Et c’est avec des orthèses antédiluviennes d’une bonne dizaine de kilos qu’il a pu trouver un peu d’autonomie : « Terre des Hommes venait tous les trois ans pour faire l’appareillage. S’il y avait un problème dans l’intervalle, il fallait se débrouiller. Il n’y a toujours pas de centre d’appareillage à Saint-Louis, il faut aller à Dakar pour trouver des spécialistes mais l’appareillage est de première génération. » Une conception ancienne, comme si en France on utilisait encore les orthèses d’il y a vingt à quarante ans. Mais Diadé Ba n’en est plus là : les séquelles de polio le confinent désormais au fauteuil roulant.
S’il a suivi des études supérieures, c’est dans une filière imposée. « Je voulais étudier l’architecture, pour apporter ma touche en accessibilité. Mais je n’ai pas pu faire ces études, l’architecture était regroupée avec d’autres disciplines techniques dans un bâtiment inaccessible. Le Rectorat a refusé pour des raisons de sécurité et m’a dirigé vers la gestion. » Il a obtenu une licence en informatique de gestion, mais n’a pas trouvé d’emploi à cause de l’inaccessibilité des entreprises : « Un jour, j’ai passé un entretien d’embauche dans un garage parce qu’on ne pouvait pas me recevoir dans les bureaux, au 2e étage ! J’ai fait des petits boulots, tout le temps des problèmes d’accessibilité se posaient. J’ai vécu avec le soutien de mes frères, chez mes parents. » Aujourd’hui âgés de 92 et 78 ans, ceux-ci ne sont plus en mesure d’aider un fils dont la scoliose s’est aggravée depuis une dizaine d’années au point d’engendrer une insuffisance respiratoire. Et comme ses frères vivent en France, il est venu les retrouver, la solidarité constitue toujours le ciment de la famille africaine.
L’obtention d’un premier titre de séjour pour raisons médicales lui a permis d’obtenir une carte d’invalidité, l’Allocation aux Adultes handicapés et une orientation professionnelle, le début d’une autonomie sociale et professionnelle que la décision préfectorale désintègre. Pourtant, il est évident que Diadé Ba ne trouvera au Sénégal ni les soins nécessaires au maintien de son autonomie ni même de sa santé, aucun moyen d’insertion professionnelle, que ses parents très âgés ne peuvent plus s’occuper d’un fils dont les attaches familiales sont maintenant en France, ses frères sont devenus Français… et fonctionnaires. Mais la logique purement comptable de l’Administration et de l’Etat est de faire partir le maximum d’étrangers, sans considération pour leur situation, le cas de Diadé Ba ayant été traité comme n’importe quel autre.
Ce que n’entend pas laisser passer l’APF en intervenant auprès d’une députée du parti majoritaire, Albane Gaillot, qui a écrit au Président de la République. La secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, a été saisie, sans suite à ce jour; son cabinet n’a pas souhaité préciser quelle action elle aurait menée. « Nous avons de grandes espérances sur la résolution positive de ce dossier », insiste Claude Boulanger-Reijnen, représentant régional de l’APF. Cette espérance sera-t-elle satisfaite ? Ces temps-ci on apprenait que l’Office des migrations de Suède voulait expulser vers l’Afghanistan une dame âgée de 106 ans, aveugle et impotente, parce qu’un « âge avancé ne justifie pas une protection », et que la France multiplie l’expulsion de réfugiés afghans au prétexte fallacieux que des régions en seraient sûres ! Diadé Ba sera-t-il l’une des victimes expiatoires de la politique de répression du séjour en France des étrangers malades ou handicapés ? Espérons que non…
Laurent Lejard, octobre 2017.