Mère isolée de trois enfants dont les deux plus jeunes sont atteints du syndrome de Cohen, la situation de Leila Ketrouci était dans l’impasse. Elle habite dans le Gers, département dépourvu des professionnels capables d’apporter soins, éducation et suivi à sa fille Nour, 5 ans, et son fils Amir, 9 ans : « Ils sont non verbaux et présentent également un trouble du spectre autistique. » Avec l’aînée Maïssa, 14 ans, la famille vit dans un logement social, à deux heures de route de Toulouse où se trouvent tous les professionnels de santé et d’éducation nécessaires à ses deux enfants multi-handicapés. Leila a donc cherché à s’y installer en effectuant depuis trois ans des demandes restées sans réponse : « Aucun des 11 organismes HLM toulousains ne m’a proposé un logement adapté. L’Agence Régionale de Santé m’avait aussi enlevé le transport taxi pour mon fils atteint d’une rétinite pigmentaire et admis trois jours par semaine à l’Institut des Jeunes Aveugles de Toulouse, en me disant de trouver un centre plus proche qui n’existe pas, ça a traîné pendant des mois et tout déclenché. » Elle s’est rendue à Toulouse le 24 juin dernier et a gravi une grue de chantier au petit matin.
Pas de logement, pas d’établissement !
Là, les autorités se sont mobilisées pour proposer des solutions. « Dans l’urgence, on me donne la première maison avec étage, et il y a une place médico-sociale pour ma fille de 5 ans et demi, trois jours par semaine à l’ASEI. L’accueil d’Amir est accordé à plein temps à l’IJA, tout le monde était d’accord. J’ai fait tous les papiers pour l’admission de ma fille dans l’établissement de Haute-Garonne, alors qu’on habite dans le Gers. Dans l’enthousiasme, j’ai signé le bail. Je visite la maison une semaine plus tard : elle n’a pas d’accessibilité, il faut passer par le jardin ou cinq maisons pour accéder ! J’ai visité une seconde maison : impossible de stocker et utiliser le matériel nécessaire (verticalisateur, siège coque, beaucoup de matériel médical, le siège de bains) avec des chambres de 8m² dont la place est prise par le lit médicalisé. Il fallait que je porte mes enfants, le matériel, les fournitures ! » Or, l’accord de placement de Nour dans un établissement médico-social de l’ASEI était conditionné à l’installation de la famille à proximité, comme précisé sur le courrier du 24 juin de l’ARS Occitanie. Première conséquence, la travailleuse familiale dont Leila bénéficie pour l’aider quotidiennement lui est retirée, bévue rapidement rectifiée.
« Je me suis retrouvée dans une situation pire qu’avant. Je ne voulais pas médiatiser mes enfants. On est suivis par quatre assistantes sociales qui ne savent pas quoi faire ! » Elles sont en effet confrontées à l’imbrication des solutions à mettre en place et qui dépendent de plusieurs organismes et administrations ayant chacun leurs priorités et règles ; la « réponse accompagnée pour tous », programme national censé ne laisser personne sans solution reste encore une succession de mots. Et des réponses peuvent ne pas correspondre aux compétences. « J’ai écrit à Sophie Cluzel [secrétaire d’État aux personnes handicapées], qui m’a répondu qu’elle prenait en compte ma situation et a demandé au directeur de l’ARS du Gers de me fournir un logement adapté ; il a répondu que ce n’était pas de sa compétence. Je plane, j’ai l’impression d’être dans un autre monde, que les gens ne comprennent pas alors que j’ai grimpé 50 mètres au sommet d’une grue ! La maltraitance administrative c’est tout le temps, partout. Je ne sais pas ce que je ferai. Je vais encore écrire au préfet. Pourtant je ne suis pas bloquée sur un département, sauf Paris. Je ne trouve aucune solution, je vis au jour le jour… et le jour où ça pète, ça pète ! Je n’ai rien, rien, rien depuis juillet. Personne ne peut prendre le relais, je suis seule avec une ado et deux enfants malades. » Qui aidera vraiment la famille Ketrouci ?
Laurent Lejard, décembre 2021.