Chaque mois depuis avril 2016, une dizaine de femmes et hommes handicapés moteurs résidant dans l’Hérault s’expriment sur leur vie affective et sexuelle, et les voies possibles de leur meilleure prise en compte. Animatrice de ce groupe de parole Handisens organisé par l’Association des Paralysés de France, Elodie Favand en tire pour nous les premiers enseignements.
C’est à partir d’une première expérience professionnelle qu’elle a proposé à l’APF 34 d’oeuvrer sur ces sujets : « J’avais travaillé en tant que remplaçante éducatrice dans un établissement médico-social. J’ai constaté le manque d’intimité, le tabou et la répression de la sexualité des usagers handicapés, en étant moi-même confrontée à la sexualité du fait que je faisais des toilettes sur des personnes hébergées. Ensuite j’ai participé à une conférence de l’APPAS [Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel], puis à d’autres. Mais ce n’était que des professionnels qui parlaient, avocats, kinés, psys… » Elodie Favand a, elle, voulu recueillir l’expression des personnes handicapées sur leur propre accès à une vie affective et sexuelle : « Le tabou existe, que ce soit en établissement médico-social ou dans la vie autonome. Certains en parlent plus que d’autres, mais les familles sont dans le déni, les accompagnants aussi. » Avec des situations parfois paroxystiques : « Une maman m’a appelé il y a six mois. Pour ‘calmer’ son fils elle devait le masturber ! D’autres parents interdisent le contact avec les filles, d’évoquer le sexe, empêchent toute relation. »
Une situation qu’Elodie Favand n’estime pas réservée aux seules personnes handicapées : « Les lycéens ne parlent pas de sexualité dans leur famille, la France n’est pas un pays libéré. Les lacunes de la sexualité chez les lycéens sont effarantes. Leur éducation par la pornographie doit être rééduquée, en explicitant le consentement, en expliquant le refus d’un acte sexuel. La pornographie ça n’éduque pas ! Alors quand le corps est handicapé, on soigne le corps déficient, mais pas la sexualité. Par exemple, un jeune de 17 ans auquel personne n’a expliqué la mécanique sexuelle qui est à sa portée. Dans le groupe de parole, un homme de 21 ans devenu handicapé par accident a expliqué que, dans son établissement, personne n’a parlé de sexualité, comme si elle n’existait pas dans leur vie. La règle c’est le silence, l’exception le conseil. »
Elodie Favand voudrait trouver des solutions réalistes : « Je voudrais créer une rééducation des sens pour une perception sensorielle redonnant une capacité au plaisir, et de la jouissance. À condition de trouver le truchement, le ou la partenaire. Un travailleur du sexe n’est pas forcément disponible, alors qu’un assistant sexuel apporte du plaisir en prenant le temps. Chez les hommes et les femmes handicapés, ce qui ressort c’est être comme les autres, ressentir du désir, être nu contre un corps nu. Chez les hommes, c’est plutôt retrouver de la virilité, draguer, donner du plaisir. Chez les femmes, c’est surtout l’histoire d’amour. Dans mon groupe, deux femmes ont exprimé qu’elles en avaient marre d’être prises pour des objets sexuels, ‘se faire une femme handicapée’. Et elles ont connu la violence sexuelle, notamment de personnels d’établissement. J’ai recueilli les témoignages de femmes qui ont pas été traumatisées par des violences sexuelles subies : par exemple, pour ne pas tomber enceinte il fallait leur introduire un produit dans le vagin. C’est une agression sexuelle par ignorance de la sexualité, qui n’est pas vécue comme une agression par manque d’éducation sexuelle. »
Des échanges Handisens, Elodie Favand dégage trois points principaux. Tout d’abord, ils pointent un accompagnement déshumanisant que ce soit en établissement médico-social ou dans la vie à domicile. L’accès à la sexualité passerait par un accompagnement humain où la personne n’aurait pas peur de donner de soi, peur de s’attacher, qui ne serait plus un robot de gestes techniques dans l’intimité et sans attention au corps : « J’ai vu des soignants qui lavent un usager portes ouvertes, et parlent de leur vie avec d’autres. » Cela passerait par un tri sélectif et une meilleure formation, pour que les personnes handicapées soient entendues et considérées : « Des choses sont faites par des associations, les ministères concernés sont saisis, des articles sur la sexualité sont parus, des formations sont organisées sur la sexualité. Mais il est clair qu’il y a des défaillances dans la formation des personnels, un manque de connaissance sur la sexologie pure et dure quand des personnels sont confrontés à l’érection réflexe par exemple. Ce qui est évident, c’est la cadence de travail qui leur est imposée, la demande de toujours faire plus de choses impossibles. Faire de l’humain devient difficile. »
Deuxième point relevé, le corps de l’autre qui fait peur, la rencontre en tant qu’handicapé : « Les normes sociétales n’y sont pas pour rien. Code de beauté, normes, le corps doit être plus performant, transformé. Le corps est au centre de tout et porteur du statut social. » C’est assez flagrant dans les boites de nuit : « C’est un lieu de performance pour se mettre en scène, avoir un look, donc un corps handicapé dans ces lieux là ne colle pas dans les codes, et s’il rentre, ça risque d’être encore plus déshumanisant. Dans ce cadre, le corps handicapé choque, sidère. Je pense que dans l’imaginaire il y a un phénomène de l’ordre de la contagion, quelque chose qui pourrait s’attraper : penser qu’avec un accident de voiture, on pourrait être comme ça, cela renvoie à l’angoisse de mort. L’action sociétale serait de voir de plus en plus de personnes handicapées, dans les films, les médias, la musique, le théâtre, les téléréalités, c’est une question de vulgarisation. »
Dernier point, l’accès à la sexualité : « Le seul moyen d’accéder à la sexualité, pour des personnes handicapées, c’est la prostitution ou l’assistance sexuelle. Ça ne fait rêver personne, elles arrivent à ces solutions par défaut. Il y a une différence notable entre la prostitution et l’assistance sexuelle, même si les actes sont tarifés. Je connais une assistante sexuelle qui ne se fait pas payer mais demande un cadeau, une compensation. Elle a trouvé le chemin pour cet accompagnement, cette rencontre humaine choisie, un soin pour une personne brisée par le handicap. Au Danemark, il est pris en charge, c’est un soin. »
Elodie Favand a étudié cet accès réalisé à la sexualité : « Je recueille leurs témoignages quelques jours après. Ce qui ressort, c’est la découverte ou la redécouverte du corps, un sentiment de confiance en soi pour rencontrer l’homme ou la femme. Des participants qui n’ont jamais eu d’expérience risquent de trop projeter sur l’assistance sexuelle, le trop d’espoir, le sexe va soigner tout le handicap, l’acceptation du corps. La rencontre ne vient pas tout soigner, ce n’est pas automatique, il y a une part de projection, de fantasme. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2017.