Depuis le 19 septembre 2019, un arrêt de la plus haute juridiction civile maintient le Complément de Ressources à l’AAH (179€ mensuels) aux allocataires qui prennent leur retraite ou y sont mis d’office dès l’âge de 62 ans (lire cette analyse). Cette décision s’impose à l’organisme payeur, les Caisses d’Allocations Familiales (CAF) qui refusent toujours, 28 mois plus tard, d’en tenir compte. Interrogée depuis deux mois sur son interprétation de l’arrêt de Cassation, la Caisse Nationale d’Allocations Familiales (CNAF) refuse de répondre.
Cette situation est subie, entre autres, par une lectrice mise à la retraite d’office le 1er janvier 2020 : « Suite à un entretien téléphonique avec le médiateur de la CAF de Vendée, département où je réside depuis octobre 2020, j’ai appris que la CNAF attendait une réponse de la direction générale de la cohésion sociale pour pouvoir me verser la prestation du complément de ressources qui m’a été supprimée en janvier 2020, date de mon départ à la retraite. » On a donc logiquement demandé à cette DGCS, qui est un service d’administration centrale placé sous l’autorité des ministres chargés des Solidarités et des Personnes handicapées, de communiquer son interprétation de la situation créée par l’arrêt de la Cour de Cassation. Depuis deux mois, aucune réponse d’une administration qui doit pourtant le faire (c’est sa fonction.) Au fil des relances, la chargée de communication est partie, on attend son successeur, qui est nommé mais ne reste que quelques jours, et « vous comprenez, la crise sanitaire mobilise les services. » Pendant ces carences, les allocataires sont spoliés. Le budget de l’État, lui, enregistre quelques millions d’euros économisés sur leur dos.
Dans notre pays, la loi élaborée et votée par le pouvoir législatif est mise en oeuvre par le pouvoir exécutif (le Gouvernement et l’administration centrale à ses ordres) et cette application est contrôlée et interprétée par le pouvoir judiciaire dont les décisions finales s’imposent à tous. Dans l’affaire du Complément de Ressources, le pouvoir exécutif a visiblement décidé de résister au pouvoir judiciaire. Cette politique de déséquilibre des pouvoirs attaque l’un des piliers de notre droit, sans lequel l’arbitraire régnerait. Le Président de la République n’est visiblement pas le seul à vouloir emm… les Français.
Laurent Lejard, janvier 2022.
PS : 5 heures après la publication de cet Editorial, la Direction Générale de la Cohésion Sociale a finalement adressé son interprétation par courriel, reconnaissant l’arrêt de la Cour de Cassation et ouvrant la voie au rétablissement des retraités allocataires dans leur droit au Complément de Ressources: « Le versement du complément de ressources des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, effectué par les CAF et les caisses de la MSA, prenait fin à l’âge d’ouverture des droits à la retraite, en application du code de la sécurité sociale (article L.821-1-1). Cette pratique a été remise en cause par la Cour de cassation par un arrêt du 19 septembre 2019. Après analyse par la DGCS, en lien avec la CNAF et la CCMSA, il en ressort que le complément de ressources peut être maintenu au-delà de l’âge auquel le bénéficiaire est réputé inapte au travail. Dans cet objectif, la DGCS et les Caisses nationales travaillent pour trouver des solutions, notamment pour les personnes qui auraient dû en bénéficier (identification, modalités de versement). »