Autonomie par ci
A l’horizon 2024, une centaine de nouvelles rames de Trains à Grande Vitesse dites M commencera à être livrée à la Société nationale des chemins de fer français. De type duplex à étage, elles accueilleront davantage de voyageurs dans neuf voitures comportant toujours deux motrices aux extrémités. Pas de révolution technologique donc, les habitués ne seront pas dépaysés. Sauf les voyageurs handicapés moteurs se déplaçant en fauteuil roulant qui pourront enfin accéder en autonomie à ces nouveaux trains. « L’accessibilité de l’espace handicapé a été conçue avec les associations dès 2016-2017, parce qu’elle a un impact sur la caisse de la voiture, précise Florence Rousseau, responsable Marketing et expérience client TGV. On a élaboré plusieurs scénarios, dont l’accès en toute autonomie ».
La voiture dédiée sera dotée d’un comble-lacune automatique et d’une plate-forme élévatrice manoeuvrée par le voyageur ou son accompagnateur alors qu’actuellement un employé d’assistance est requis ; un tel système n’est pas nouveau, il équipe depuis 20 ans les trains régionaux suédois Regina du constructeur Bombardier et fonctionne à merveille. La nouvelle plate-forme circulaire pivotera pour se placer dans l’axe de l’entrée de l’espace handicapé, et permettra l’usage de fauteuils roulants jusqu’à 85cm de large et 1,25m de long pour un poids total de 350kg, soit au-delà de l’actuelle norme appliquée (70x120cm pour 300kg au plus). Un bouton d’appel sera placé au seuil de la porte à 80cm du quai, et la commande de la plate-forme nécessitera un maintien constant comme pour les autres élévateurs ; il est toutefois prévu qu’un accompagnant puisse l’actionner par le côté droit ou gauche, la commande étant doublée. L’assistance Accès Plus aux voyageurs handicapés étant maintenue, l’accompagnement par un employé pourrait réduire les incidents avec certains passagers peu respectueux qui s’empressent d’entrer quitte à bousculer un « fauteuil. »
« L’espace handicapé est situé voiture 3, à côté de la voiture bar, ajoute Florence Rousseau. Pour la restauration, les clients commanderont à distance via l’appli mobile lebar.sncf.com qui permet déjà de le faire. On étudie la question de la généraliser sur tous les trains. Ce n’est pas le barista qui porterait la commande, on étudie une solution via les chefs de bord » ; le précédent président de la SNCF, Guillaume Pépy, l’avait promis dès… juillet 2017 ! Cet espace en compartiment bas acceptera trois personnes restant sur leur fauteuil roulant et deux se transférant sur un siège, tous du même côté. Sur l’autre, les accompagnants disposeront de six sièges de 1ère classe : « Les associations ont demandé la séparation de part et d’autre, complète Florence Rousseau. Les toilettes en fond de salle pourront recevoir un fauteuil roulant motorisé avec assistance respiratoire ». Leurs dimensionnement et implantation ne sont pas encore finalisés, de même que le design global et la signalétique. On peut toutefois se demander si la quantité de sièges permettra de satisfaire les besoins puisque les clients en fauteuil roulant peuvent, depuis deux ans, réserver quatre autres billets via Accès Plus : un au tarif accompagnateur et trois autres avec 30% de réduction. Les clients déficients visuels devraient bénéficier d’un guidage par balises sonores bluetooth avec relais sur téléphone mobile pour se déplacer dans la rame, mais l’aide sonore au repérage des portes des voitures n’est pas définie, faute de standard international puisque les TGV M doivent circuler dans les pays voisins ; la SNCF cherche un système compréhensible par tous. Tout cela sera à découvrir fin 2023 dans les trois premières rames de présérie. Mise en circulation, si tout va bien, pour les Jeux Olympiques de 2024.
Inaccessibilité par là
Le retour en décembre 2021 des trains de nuit s’accompagne d’une inaccessibilité totale pour les clients handicapés moteurs puisque les lignes sont assurées par des matériels anciens, de vieux wagons Corail des années 1970 et 80. « La non-accessibilité de ces voitures est liée à la conception initiale des voitures Corail, qui ne prévoyait pas d’accès pour les [Personnes à Mobilité Réduite], justifie un porte-parole de la SNCF. L’accessibilité aux PMR sera disponible seulement avec l’arrivée du nouveau matériel roulant (l’État a annoncé la commande de 300 nouvelles voitures mais le calendrier n’est pas encore connu), qui sera conforme à la réglementation européenne. » La compagnie autrichienne ÖBB qui exploite le nouveau train de nuit international Vienne-Paris a pourtant inclus une voiture comportant couchettes et toilettes adaptées en rénovant une voiture âgée d’une soixantaine d’années; la SNCF n’a pas voulu suivre cet exemple.
Il en sera de même avec le retour, en fin d’année, du Paris-Lyon sur l’ancienne voie grande ligne parcourue en 5h30 : « Pour pouvoir lancer le plus rapidement possible cette expérimentation de 2 ans, SNCF Voyageurs réutilise et remet en état des voitures Corail 2e classe disponibles dans son parc, poursuit son porte-parole. Les voitures utilisées ne permettent pas à court terme d’accueillir convenablement des clients en fauteuil roulant. Cependant, un groupe de travail sur la rénovation du matériel est en cours pour pouvoir faire voyager les utilisateurs de fauteuil roulant d’ici à décembre 2023. » La compagnie dispose pourtant de voitures Corail rénovées UFR (Unité Fauteuil Roulant) mais n’en affectera pas sur ce Paris-Lyon à petite vitesse. L’offre en services ferroviaires librement organisés va donc se déployer avec, côté SNCF, une mise à l’écart de la clientèle handicapée motrice : cela a fait hurler les associations qui siègent au comité consultatif de la compagnie, visiblement peu impressionnée…
Appli neuve et inaccessible
La marque, le site web et l’appli mobile Oui.SNCF ne boucleront pas un quinquennat. Lancés en décembre 2017, ils sont remplacés depuis le 25 janvier par SNCF Connect. Les voyageurs valides peuvent y réserver des voyages multi modes de transport, mais pas ceux qui sont handicapés : s’il leur est possible de réserver des billets de train prenant en compte la tarification spécifique et l’accompagnement, cela ne fonctionne pas pour les trajets en autocar puisque les interfaces de ses partenaires, BlaBlaCar Bus et Flixxbus, n’intègrent pas ce critère. Pour voyager avec ces compagnies, il faut passer obligatoirement par la case « appel téléphonique ». Ni le site web ni l’appli mobile SNCF Connect ne sont conformes aux règles d’accessibilité numérique mais l’appli est-elle réellement inutilisable par un client aveugle ? « Malheureusement pour moi, oui, j’ai testé bien malgré moi jeudi dernier », répond Fernando Pinto da Silva, aveugle et animateur de la commission Accessibilité du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH).
« Pour les personnes malvoyantes, les contrastes des couleurs de la charte graphique facilitent la lecture, justifie SNCF Connect & Tech. La possibilité d’activer la fonction « Polices dynamiques » ou « Dynamic Type » (dans les paramètres « Accessibilité » de son smartphone), qui permet d’agrandir la taille des caractères sur l’application, est un vrai plus. Il y a aussi la possibilité de passer l’application en mode paysage. » Ce confort de lecture ne compense malheureusement pas les lacunes rendant l’appli mobile inutilisable par les clients aveugles. Par contre, les usagers sourds ou malentendants bénéficient d’un Assistant Visuel : « Il les accompagne dans les trains, pour recevoir directement, pendant leur voyage, les annonces du chef de bord sur leur smartphone. » Toutefois, les clients handicapés ne peuvent enregistrer leur profil parce que « cette donnée est assimilée à une donnée médicale, ce qui, dans le respect du Règlement général sur la protection des données, ne nous permet pas à l’heure actuelle de l’enregistrer dans le compte client. » Cela ne gêne pourtant pas les services de transports spécialisés qui enregistrent le type de handicap dans leurs fichiers clients. De même, l’achat de billets en gare ou auprès d’Accès Plus SNCF ne permet pas de les intégrer dans l’appli : « SNCF Connect étant une agence de voyage en ligne, nous ne pouvons pas d’un point de vue légal récupérer d’autres dossiers voyages achetés via d’autres agences. » Un rail en avant, deux rails en arrière, ainsi roule notre SNCF…
Laurent Lejard, février 2022.