En prenant bien soin de ne pas généraliser, ne nous le cachons pas, faire place à la personne en situation de handicap et surtout aux outils et aménagements qui rendent accessibles les lieux et les oeuvres demande encore, en 2022, de déployer une indicible énergie auprès de ses détracteurs, dont les « faiseurs d’Arts. »
On pourrait pourtant se dire que, là où toutes les formes d’expressions ont aujourd’hui droit de cité, en abolissant symboliquement toutes les frontières entre le corps, le sensible, le dominant, le dominé, l’étrange, le suspect, l’esprit, le naturel et le surnaturel et tous les êtres (surtout ceux qui ne s’inscrivent pas dans la normalité imposée par la société bien-pensante), nous devrions toutes et tous y être, aussi, bien accueillis. Eh bien il faut croire que les canons de la Renaissance ont la peau dure puisqu’il faut encore mener une lutte de tous les instants avec la majorité des acteurs, créateurs, conservateurs, scénographes, muséographes, architectes et architectes d’intérieurs, décideurs et financeurs, assistants à la maîtrise d’ouvrage et conseillers en tout genre, pour introduire l’utile, le pratique, le nécessaire à un visiteur constitué de chair et de sueur dans notre environnement bâti, dont les temples de l’éphémère et du subjectif. J’en prends pour exemple, dans nos magazines d’art, de design et d’architecture ces photos dont jamais l’élégance n’est entachée de l’ombre d’un individu, ou parfois un canon de beauté, et la lutte de tous les instants que je me souviens avoir menée, il y a 20 ans, pour réussir à introduire ne serait-ce que des sanitaires dans les espaces d’accueils de certains lieux patrimoniaux.
Des oeuvres pour tous
Et puis il y a le travail à faire avec les artistes. Non pas le service de médiation, qui viendra en compensation, mais bien avec les artistes eux-mêmes dès lors que l’oeuvre s’y prête et c’est plus souvent le cas que l’on ne le croit, ou quand l’art rencontre la qualité d’us-âges à la Samaritaine, par exemple, lors de la rénovation de ces grands magasins parisiens.
La particularité de la locution les Us et les Âges, illustre l’approche globale développée à l’échelle de la Samaritaine et des restaurants Voyages, notamment avec deux artistes, Jordane Saget et Jean-Michel Wilmotte. Citons l’invitation de Jordane Saget à intervenir sur les miroirs de l’espace Voyage, qui auraient pu générer des leurres visuels. Jordane a contribué à enrichir le lieu de son art tout en apportant une réponse artistique aux visiteurs qui présentent des difficultés visuelles et qui, de fait, pourront y évoluer en toute sécurité. Le travail de Jean-Michel Wilmotte sur le Bar, est lui aussi très intéressant : il a trouvé le juste design pour intégrer les éléments qui permettent à un client de partager un moment de convivialité avec ses amis accoudés, qu’il soit en fauteuil roulant ou de petite taille.
Une approche que l’on retrouve à l’échelle de la Fondation Luma (Arles) avec deux des artistes qui signent le lieu : Charles Arsène Henry, qui a su s’approprier le sujet et l’introduire dans son oeuvre Library is on fire, et Carsten Holler qui a su adapter son célèbre Toboggan aux personnes utilisant un fauteuil roulant (dès lors que leur santé leur permet de descendre un toboggan !) Un travail qui a su allier Art et diversité des âges, des us et des conditions physiques, sensorielles et mentales à l’échelle de tout le projet, dans le respect du patrimoine, des artistes et des visiteurs. Une magnifique démonstration qu’il est possible de faire du beau, de l’Art, de l’Architecture et du Design à partir de contraintes délicates. Parce que tout le monde mérite que les aménagements réalisés à leur intention soient beaux. Parce que l’Art fait du bien à l’âme. Parce que l’Art revalorise l’Être. Parce que les clients le valent bien !
Nadia Sahmi, agence Cogito Ergo Sum, février 2022.