« On peut s’interroger sur la relativité et la pertinence de certains critères généraux, inscrits dans la loi, liés à l’âge, puisque l’acquisition des connaissances et des apprentissages, même de base, est naturellement plus longue et complexe pour des mineurs confrontés à des handicaps lourds. » Cette appréciation de la limite d’âge définie par la législation sur l’obligation scolaire n’émane pas d’une association, d’un chercheur en sciences humaines ou d’un ministre, mais du magistrat du Tribunal Judiciaire de Narbonne (Aude) qui vient de contraindre l’Institut Médico-Educatif Les Hirondelles à appliquer ce qui est inscrit dans le Plan Personnalisé de Scolarisation de l’un de ses usagers, Bastian Imbert. Un juge parce que les parents de cet adolescent autiste non verbal âgé de 17 ans ont dû saisir la justice pour obtenir le rétablissement de ses 4 demi-journées de scolarité au collège Montesquieu, dans une Unité d’Enseignement Externalisée (UEE). Gestionnaire de l’IME, l’Afdaim-Adapei gère dans l’Aude une trentaine d’établissements et services médico-sociaux concernant 2.600 personnes, et quelques-uns des usagers de ses IME bénéficient de demi-journées en UEE primaire ou secondaire, sans que cela soit défini par un PPS. Sauf pour Bastian Imbert, et c’est son respect assorti d’une obligation de résultat que la justice a réaffirmé.
« C’est la première fois que j’obtiens un si beau jugement ! s’exclame Maître Sophie Janois, avocate spécialisée santé et autisme. C’était mon premier dossier de déscolarisation. Les unités d’enseignement sont assez récentes, et c’est la première fois que des parents vont au tribunal pour faire respecter les droits de leur enfant, après avoir négocié avec l’association qui gère l’IME. » Parce que l’adolescent a plus de 16 ans, la direction de cet IME a décidé de ramener à 2 les demi-journées de scolarité, et c’est en invoquant le prolongement à 18 ans de l’obligation de formation, depuis la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, que l’avocate a obtenu le rétablissement du mi-temps de 4 demi-journées. « Quand j’ai connu Bastian, il avait des troubles du comportement et de la sensibilité, relate Olivier Paolini, enseignant et coordinateur de l’unité d’enseignement. Lors de sa scolarisation, ses parents l’ont vu progresser en connaissances, socialisation, acquis cognitifs, il a appris des codes sociaux. Mais diviser par deux ses temps d’enseignement a créé une coupure totale avec le collège, et en plus il est scolarisé à l’IME depuis septembre dernier et non plus au collège. Cette coupure a fait qu’il n’a plus d’interaction sociale. Son développement est bloqué et il régresse. »
L’IME entre le marteau et l’enclume ?
La décision de justice ne réjouit pas Jean-Marie Gorieu, directeur général de l’Afdaim : « « L’Éducation nationale nous demande de limiter la scolarité à 16 ans, en menant des actions de professionnalisation pour les autres, en travaillant en ateliers, sur le savoir faire et le savoir être. » Et il s’inquiète des conséquences du jugement : « L’enjeu de ce sujet est l’opposabilité ou non du PPS, et une association condamnée alors qu’elle ne dispose pas des moyens nécessaires. » Il met ainsi en cause l’administration de l’Éducation nationale qui ne met à disposition que 2,5 postes d’enseignants spécialisés pour 64 enfants et jeunes. Une carence que le juge constate en la renvoyant à l’Afdaim : « Le tribunal ne peut que relever […] la position quelque peu contradictoire de l’association gestionnaire qui d’une part, ne méconnaît pas les besoins spécifiques du jeune concerné […] et d’autre part, justifie une modification du programme qu’il sait moins favorable à l’intéressé en raison d’une impossibilité matérielle liée aux moyens dont il dispose. » En clair, il est de la responsabilité de l’Afdaim de respecter et remplir son obligation de résultats en obtenant les moyens nécessaires auprès de l’Éducation nationale et de l’Agence Régionale de Santé, le juge écartant « le fait de ne pouvoir disposer au final que d’un demi-poste d’enseignant ou de ne pas avoir de moyens pédagogiques supplémentaires ou suffisants. » Et finalement il renvoie à l’association ses propres carences : « Les parties requises […] ne sauraient arguer d’un manque de moyens qui ne résultent que de leur manque de prévisibilité gestionnaire et à tout le moins de choix internes qui leur incombent. »
Ce que n’apprécie guère Jean-Marie Gorieu : « Là où il y a une injustice, c’est que sont condamnés les parents qui ont agi en créant des établissements. C’est perçu comme extrêmement violent par les militants qui se bagarrent avec l’Éducation nationale depuis 65 ans. Il était sans doute plus efficace en termes collectifs d’aller ensemble vers l’Éducation nationale pour éteindre cette situation. On va bien voir, en fonction des prochaines affectations, si elle dégage des moyens en fonction des PPS. » L’Afdaim anticipe ainsi d’éventuelles demandes de parents auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées parce qu’à ce jour, Bastian Imbert est le seul usager de l’association à bénéficier d’un tel plan que le juge estime opposable à un IME.
« Je suis très content d’avoir été entendu par un juge qui rédige un jugement de 12 pages, se réjouit Patrice Imbert, le père de Bastian. Il a bien expliqué les raisons de ce jugement. Personne ne va chercher les moyens supplémentaires, donc le processus ne fonctionne pas dans l’Aude. » Pour lui, il faudrait que la MDPH se tourne vers l’ARS et l’Éducation Nationale pour qu’elles mettent des enseignants en face des besoins des enfants. Concernant son fils, l’appel éventuel de l’Afdaim n’interviendra qu’après ses 18 ans, et sa scolarité devrait aller à son terme : « Il a fallu beaucoup de fatigue et d’énergie pour se faire entendre, mais je n’ai aucun regret, pour Bastian et les autres enfants. » Comment l’Afdaim et d’autres associations gestionnaires dans la même situation réagiront-elles ? « Ce jugement n’est au fond pas défavorable aux IME, conclut Maître Sophie Janois. Cela leur donne des arguments pour se battre auprès de l’éducation nationale. » La balle est dans leur camp…
Laurent Lejard, mars 2022.