Yann Jondot est un enfant du pays. Né à Pontivy (Morbihan) il y a 46 ans, il vit depuis 38 ans à une vingtaine de kilomètres, dans le village de Langoëlan où il a été élu maire en mars 2014, ce qui l’a conduit à changer de vie : « J’étais international de tennis de table, je suis entraîneur fédéral et je peux m’occuper de pratiquants handicapés ou valides, j’ai une double capacité. Avant de devenir maire, parce que maintenant je n’ai plus le temps en gérant les affaires municipales, mon travail consistait à travailler avec les écoles, les collèges, les lycées, jouer des matches avec aussi des personnes en difficulté, aller dans les hôpitaux. J’entrainais aussi six clubs de pratiquants valides, et en parallèle je m’occupais de personnes handicapées. A travers le sport on arrivait à effectuer une valorisation humaine de leurs capacités, en leur montrant qu’elles étaient capables de réaliser plein de choses. Ça servait évidemment à la personne, et aussi à son entourage médical pour se rendre compte qu’en travaillant un peu et en utilisant les capacités restantes, on arrivait à une évolution très positive, pour elle et pour l’entourage. »
Si Yann Jondot a arrêté la pratique de haut niveau, il est toujours champion handisport de Bretagne et fut sixième au plan national dans sa catégorie. Quand il a décidé de se présenter aux élections municipales, il préparait encore un tournoi en Jordanie : « J’ai arrêté la compétition, je n’ai vraiment plus le temps. Je suis tout le temps à disposition de ma commune aujourd’hui, je suis maire à plein temps. C’est un petit peu le destin ! Généralement, quand je fais quelque chose je le réalise jusqu’à un certain niveau. Je voulais à tout prix devenir international de tennis de table et entraîneur valides et handis pour montrer qu’on est capable de le faire. La première fois que je suis entré dans une salle de tennis de table, très peu de gens voulaient jouer avec moi, sauf une petite jeune fille ! Et puis après, c’est moi qui a entraîné le club. J’ai voulu montrer, c’était plus un défi qu’autre chose, qu’on était capable de le faire. Ensuite, je me suis rendu compte qu’arrivé à un certain niveau, ce n’était pas forcément ce que je recherchais parce que j’étais davantage dans le cadre d’un défi en rapport avec mon handicap, alors que là, à travers ma fonction de maire je suis plutôt dans un défi humain. Le défi de rendre ma commune la plus citoyenne possible : on travaille beaucoup sur le bénévolat, sur une façon de vivre complètement différente. »
« Mon expérience de vie à travers un accident, les voyages que j’ai faits et les rencontres, m’ont permis d’avoir une vision complètement différente de la façon de gérer une commune. La première chose que j’ai faite, c’est de créer des groupes de bénévoles pour pallier la taille de la commune, qui ne compte que 400 habitants : on n’a pas les moyens financiers de pouvoir faire vivre la commune correctement. On travaille beaucoup sur le tourisme. Là, par exemple, j’ai une équipe qui est en train de couper du bois, le récupère et prépare le terrain, d’autres habitants viennent faire la signalisation, on récupère la peinture comme on peut et on refait la sécurité routière dans le bourg pour quasiment rien. Je vais entraîner gratuitement les jeunes de la commune voisine de Gourin et en contrepartie elle nous donne des tables, des chaises, du matériel, des livres pour la bibliothèque. On appelle ça une mutualisation. C’est un échange petite commune, grande commune. Nous, on est la plus petite de la communauté de communes. On a créé une bibliothèque citoyenne, en récupérant des livres dans celle de la ville de Gourin qui renouvelait la sienne. Des gens amènent ou empruntent des livres, il n’y a pas de registre c’est-à-dire que si le livre leur plaît, ils peuvent le garder, il n’y a aucun problème, en contrepartie s’ils le veulent bien ils en ramènent d’autres, notre bibliothèque fonctionne comme cela, sans personnel, et c’est pourtant toujours très bien rangé ! On a aussi un verger citoyen, qui a été planté par des enfants : quand les pommiers seront à maturité, les gens viendront chercher des fruits, on travaille beaucoup sur l’échange. »
Mais s’engager dans l’action politique quand on se déplace en fauteuil roulant et que l’on vit en milieu rural n’est pas forcément évident : « C’était un grand enjeu, parce qu’il y a deux façons de voir la politique : la politique d’aujourd’hui qui pour moi est complètement obsolète, cette politique bipolaire de partis, et la vraie politique de ville, humaine et citoyenne, qui consiste à fonctionner avec les moyens que l’on a et en s’efforçant d’être au service de nos concitoyens. C’est complètement différent. Moi, je n’ai pas de volonté électorale, j’ai une mission à faire, je veux faire passer un message et ça se passe bien, avec plein de personnes qui ont la même volonté : mutualiser pour réussir ensemble et bien vivre. Je me sens complètement hors jeu du système politique actuel… et je ne le regrette pas ! »
Yann Jondot revendique un engagement social, plutôt à gauche, tout en se demandant ce que cela veut encore dire aujourd’hui : « Quand je suis avec mes collègues maires qui me parlent de droite, de gauche, de je ne sais quoi, pour moi ils ne sont pas dans le coup. Il y a un véritable besoin d’humain à la base de notre société et je pense qu’il faut repartir de là, j’attends de voir ce que cela va donner après. Beaucoup de gens se demandaient comment j’irais aux réunions, je n’étais jamais rentré auparavant dans une mairie. Mais j’ai été bien élu, les citoyens m’ont suivi justement parce que j’étais sans étiquette. J’incarnais du renouveau, je suis parmi les quelques maires de France à être en fauteuil roulant. Et surtout, à l’image de notre société d’aujourd’hui, il y avait un ras-le-bol de ce qui est standard. Les gens me connaissent depuis que je suis tout petit, avec ce que ça apporte comme contrainte et comme aide, mais je vous assure que les gens n’attendaient pas que je fasse autre chose que ce que je fais : mettre la paix dans notre petit village, sauver notre commune des nouvelles normes administratives qui la mettent en danger aujourd’hui. »
Avec des actions très concrètes, pour maintenir la vie au village : « On va relancer le tourisme, en installant une buvette au bord de l’étang, en créant des chemins communaux de randonnée, en ne s’appuyant pas sur d’autres institutions, on va construire deux pavillons destinés à des personnes handicapées. C’est aussi une innovation. Quand j’ai eu mon accident, j’ai remarqué qu’on n’avait pas la possibilité de vivre directement dans un monde rural. Aujourd’hui, nos anciens vivent à l’hôpital parce que leurs maisons datent des années 1920-1930, pas du tout adaptées pour les recevoir. Il existe une aide départementale mais la procédure met tellement longtemps que leur situation devient tragique, voire fatale : étape à l’hôpital pour une fracture du col du fémur, séjour en maison de rééducation et ensuite ils ne peuvent plus rentrer chez eux. Donc ils se retrouvent en centre de long séjour, puis en maison de retraite, puis ils meurent. On connaît des gens qui meurent sur cinq ou six ans sans pouvoir revenir chez eux. Les pavillons serviront de maisons d’accueil, les gens retrouveront leur milieu social et culturel, leur famille, là où ils ont toujours vécu. Le temps que l’on puisse aménager leurs maisons, ils pourront continuer à aller dans leur jardin et des choses comme ça. »
Yann Jondot veut conjuguer handicap et ruralité : « On dit que le handicap, c’est quelque chose d’assez lourd à supporter par les communes, eh bien dans une commune rurale comme la nôtre on va montrer que le handicap est une chance, que cela va faire revenir des familles ! J’ai lancé ce projet avec le conseil municipal il y a un an, même si je l’ai dans la tête depuis très longtemps. On n’a pas encore construit les maisons qu’on a déjà de nombreuses demandes, de partout, de gens qui veulent vivre à la campagne, qui ont la chance aujourd’hui de pouvoir habiter une petite commune comme la nôtre. En plus, ce n’est pas un investissement très élevé, c’est 210.000€ pour deux pavillons, ça apporte de nouveaux habitants, ça revitalise. C’est de la politique d’insertion, une idée simple qui met en marche une dynamique très positive humainement. La région, le département, des associations nous suivent. On va faire fonctionner tous les services à domicile, les aides ménagères, repas à domicile, soins infirmiers, comme une chambre d’hôpital ouverte sur l’extérieur et la nature. Imaginez aussi ce que cela représente comme création d’emplois. Et ces personnes handicapées apportent à notre commune, redonnent une dynamique démographique, sont intéressées par les activités culturelles et associatives parce qu’elles ont du temps disponible, c’est un échange. Ce n’est pas le cadre de la bonne action habituelle ou on va adapter une rampe pour des personnes handicapées alors que l’on sait pertinemment que personne ne viendra l’utiliser. Là, c’est vraiment un échange : vous venez chez nous, vous pouvez vivre chez nous, vous serez heureux chez nous, eh bien vous nous rendez heureux d’être là ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2016.