En 1999, dans le Nord de la France, un enfant de 6 ans a été victime d’un accident de la circulation. Il a subi un traumatisme crânien grave avec un score de Glasgow initial à 7, vingt-quatre heures de coma et des séquelles ophtalmologiques. Durant 18 ans, ses parents se sont défendus seuls, face à la compagnie d’assurances et à ses médecins, ils n’ont pas cru bon d’être assistés par un avocat ni par un médecin conseil de victimes. Durant ces 18 années, la compagnie d’assurances a missionné plusieurs médecins conseils qui ont remis 8 rapports d’expertise, et a versé à la victime à titre de provision la modique somme de 6.049€ au total. Puis fin juillet 2017, après réception du rapport médical de consolidation, la compagnie d’assurances a offert à titre d’indemnisation la somme de 78.203€ tout en réservant les postes préjudices professionnels et déficit fonctionnel permanent (DFP) en attente de la créance des tiers payeurs ; cette offre a heureusement été refusée par le curateur d’État de la victime.
L’indemnisation du préjudice sans la défense d’un avocat
Revenons en arrière ; fin novembre 1999, l’enfant retourna rapidement au domicile de ses parents, bénéficia d’un suivi médical pluridisciplinaire et suivit progressivement une scolarisation en milieu adapté. En 2011, il obtint difficilement un CAP puis il fut reconnu en qualité de travailleur handicapé. Désociabilisé, perdu et livré à lui-même, il commettait diverses infractions et fut incarcéré à plusieurs reprises.
18 ans après l’accident : une offre d’indemnisation de la compagnie d’assurance
En février 2017, la compagnie d’assurances réalisa une dernière expertise médicale de consolidation. Le jeune homme, là-encore, n’était pas assisté par un avocat, et l’expert de la compagnie d’assurances estimait qu’il était consolidé, et retenait notamment un taux de déficit fonctionnel permanent (DFP) de 32 %, un préjudice professionnel à temps complet sur un poste aménagé, aucune aide humaine ni avant ni après consolidation.
En juillet 2017, 18 années après l’accident, la compagnie d’assurances notifiait une offre d’indemnisation pour la somme totale de 78.203 €. Entre-temps, le jeune homme fut mis sous curatelle renforcée et son curateur d’État fit appel à un avocat spécialisé en réparation du dommage corporel pour défendre les droits du majeur protégé.
La prise en charge du dossier par un avocat spécialisé en dommage corporel
Début 2018 l’avocat spécialisé, après quelques hésitations (le dossier devant être réexaminé sur 18 années), acceptait cette défense, dans ce dossier ancien et complexe. L’avocat reconstituait l’entier dossier sur 19 années tant en ce qui concerne les documents médicaux et autres que sur le parcours familial, social et de vie de ce jeune homme et vérifiait s’il convenait ou non d’accepter l’expertise de consolidation et l’offre d’indemnisation de la compagnie d’assurances.
L’avocat spécialisé estimait que tout était à refaire, et qu’en aucun cas il convenait d’accepter l’offre indemnitaire de 78.203 euros ni l’expertise de consolidation arrêtée par l’expert de la compagnie d’assurances. Cet avis était difficile à accepter car le jeune homme avait déjà beaucoup attendu et souhaitait enfin en finir. Cependant, avec l’aide de son curateur d’État, il acceptait l’avis de l’avocat spécialisé et de tout recommencer.
L’obtention d’une provision et d’une nouvelle expertise médicale
En juin 2018, l’avocat après avoir saisi le juge des référés du Tribunal Judiciaire du Havre (Seine-Maritime) et après conclusions et plaidoiries, obtenait une ordonnance condamnant la compagnie d’assurances à payer à la victime une provision de 250.000€, ainsi que la désignation d’un expert neurologue afin de donner son avis sur l’ensemble du préjudice corporel. L’avocat spécialisé avait sollicité la désignation d’un médecin neurologue, qui seul était capable de donner un avis argumenté sur le parcours d’un traumatisé crânien sur plusieurs années.
L’avocat spécialisé fit assister la victime par un médecin conseil de victimes qui reprit son entier dossier médical sur 20 années, il faut là encore apprécier le travail considérable et l’engagement de ce médecin. L’expertise médicale judiciaire fut difficile, l’avocat spécialisé ainsi que le médecin conseil de victimes assistaient la jeune victime. A cette expertise étaient également présents le médecin conseil de la compagnie d’assurances qui avait l’assistée durant ces années et avait rendu l’expertise de consolidation de 2017 contestée, et l’avocat de la compagnie.
La situation était particulièrement tendue et les parties totalement opposées sur l’évaluation de tous les préjudices. L’expertise fut longue et difficile, et il fallait un expert judiciaire neurologue avec une forte personnalité et compétence pour accepter de donner son avis en de telles circonstances sur 18 années de vie, et là encore la victime eu cette chance dans un parcours du combattant des plus mouvementés.
En novembre 2018, l’expert judiciaire rendait un pré-rapport dont les conclusions étaient sans contestation nettement plus favorables à son client que celles de 2017 rendues par l’expert de la compagnie d’assurances, mais qui n’étaient pas suffisantes aux yeux de l’avocat spécialisé et du médecin conseil de victimes. En décembre 2018, l’avocat de la victime adressait un dire très important de 21 pages à l’expert judiciaire à l’effet de contester son évaluation essentiellement au titre du DFP, de la tierce personne et du préjudice professionnel. La compagnie d’assurances adressait aussi un dire à l’expert.
Nouvelle contestation de l’évaluation des préjudices
En février 2019, l’expert judiciaire déposait son rapport définitif en tenant compte d’une partie des observations présentées par l’avocat de la victime et retenait notamment une consolidation des blessures en 2014, un DFP de 61%, un préjudice professionnel total et définitif, ainsi qu’une aide humaine de 3 heures par jour avant consolidation et de 2 heures par jour après consolidation.
C’était déjà une très belle réussite au regard des conclusions de consolidation de l’expert de la compagnie d’assurances de 2017 qui avait retenu une consolidation en 2017, un DFP de 32%, un préjudice professionnel à temps complet sur poste aménagé, et aucune aide humaine ni avant ni après consolidation.
Cependant, l’avocat de la victime, bien que ce rapport émanât d’un neurologue expert très réputé, décidait de contester cette évaluation au titre de la tierce personne et du préjudice professionnel notamment, car il estimait que la victime avait beaucoup souffert et qu’il convenait de retenir son entier préjudice, bien qu’il soit difficile de donner un avis sur un dossier aussi ancien.
Ainsi, devant le Tribunal Judiciaire du Havre, l’avocat spécialisé assignait la compagnie d’assurances et contestait pour partie le rapport d’expertise médicale, bien que reconnaissant toutefois la grande compétence et le sérieux de l’avis expertal. Devant le Tribunal, l’argumentaire de l’avocat spécialisé de victimes était particulièrement détaillé, plus de 70 pages d’écriture et 68 pièces.
Un jugement rectificatif et définitif après 22 ans
Après plaidoiries et mise en délibéré, en avril 2021, un jugement parfaitement motivé fut rendu par le Tribunal Judiciaire du Havre. La compagnie d’assurances fut tout d’abord déboutée de ses demandes de contre-expertise et de versement d’une provision que l’avocat spécialisé avait vivement contestées. Le Tribunal liquidait le préjudice corporel total de la victime.
A ce stade, il convient de rappeler que l’expert judiciaire ne fait que donner un avis technique au juge qui ne le lie pas ; cependant, il est vrai que les tribunaux ont tendance à retenir les conclusions expertales et que rares sont les décisions qui écartent en tout ou partie les conclusions des experts. Là encore le Tribunal, même s’il n’a pas retenu tout l’argumentaire de l’avocat spécialisé, a cependant retenu pour la tierce personne une évaluation supérieure à celle de l’expert pour les périodes avant et après consolidation, et a retenu une évaluation du taux horaire nettement supérieur à celui proposé par la compagnie d’assurances. Tous les postes de préjudices furent bien indemnisés. Par suite d’erreurs matérielles, ce jugement a fait l’objet d’un jugement rectificatif et définitif en septembre 2021, accepté par toutes les parties.
Plus de 3 millions d’euros d’indemnisation pour son préjudice
Au final, la victime obtenait une indemnisation de plus de 3.400.000€ représentant une somme en capital de plus de 1.790.000€ ainsi que deux rentes annuelles de 22.248€ pour la tierce personne et 16.200€ pour le préjudice professionnel représentant une somme totale capitalisée de plus de 1.610.000€. On est loin des 78.203€ offerts par la compagnie d’assurances en 2017 pour réparer partiellement le préjudice ! Heureusement que le curateur d’État a agi pour refuser cette offre et fait appel à un avocat spécialisé qui obtenait une indemnisation judiciaire fin 2021 de plus de 3.400.000€. Heureusement que ce jeune homme a pu être défendu par un avocat spécialisé et assisté par un médecin conseil de victimes compètent, et représenté en justice par un expert judiciaire compétent. La justice arrive peut-être un peu tard, mais elle est là, et c’est l’essentiel.
Par la suite, l’avocat spécialisé a aussi assisté la victime pour obtenir l’Allocation Adulte Handicapées (AAH) qui lui était refusée, et saisi le Tribunal Judiciaire de Rouen. Ce dossier fut également traité avec succès, la Commission des droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées fit droit à sa demande en mars 2022 et lui accorda l’AAH.
Comment admettre qu’une compagnie d’assurances puisse offrir pendant 18 ans une provision de 6.049€ à une jeune victime qui n’était pas assistée d’un avocat et dont les parents ont fait confiance à cet assureur pour se voir offrir une indemnisation partielle de 78.203€ en juillet 2017, pour finalement être condamné par les tribunaux à une indemnisation totale de plus de 3.400.000€ ?
C’est un véritable scandale : deux fois victime, ce jeune homme aurait pu l’être sans l’assistance d’un avocat spécialisé en dommage corporel qui a accepté de refaire son entier dossier sur 20 ans. Je lui souhaite bonne chance, il le mérite bien et ses années passées en prison, pour une personne traumatisée crânienne, sont très lourdement payées et ne devraient pas exister. Cette histoire est bien triste ; cette victime aurait pu se faire voler, en plus, son indemnisation qui représente pour elle toute sa vie. Je suis très heureuse que cela n’a pas été le cas et d’y avoir participé.
Cabinet Meimon Nisenbaum, Avocate près la Cour d’Appel de Paris, avril 2022.