Né sourd à Marseille il y a 32 ans, Julien Compan y a vécu jusqu’en 2013, quand il s’est installé à Massy (Essonne.) Actuellement sans emploi, il met ses compétences de dessinateur-projeteur spécialisé dans la construction au service d’une ville en grande rénovation.
Question : Comment êtes-vous entré en politique, que vouliez-vous faire ou prouver en vous engageant ?
Julien Compan : Après mon installation à Massy, j’étais motivé pour participer à des assemblées, des réunions publiques. Je posais des questions, essayais de trouver des solutions dans mon quartier Atlantis pour faire évoluer le bien-être des habitants. Quand je suis arrivé à Massy, il n’y avait pas d’interprètes en Langue des Signes Française, j’étais tout seul en train de réclamer que les réunions publiques devaient être accessibles pour les citoyens Sourds. Au bout d’un moment, ils m’ont vu plusieurs fois, ont remarqué que j’étais motivé, engagé, et on a réussi à avoir des interprètes. Ils sont venus me chercher parce qu’ils ont vu que je me bougeais pas mal.
Question : Vous dites « ils », de qui parlez-vous ?
Julien Compan : Ce sont des membres et la présidente de l’association Des yeux pour entendre, qui m’ont proposé de devenir président pendant 3 ans, l’association était en sommeil.
Question : Entre être président d’association et conseiller municipal, quel a été votre cheminement ?
Julien Compan : J’aime bien l’urbanisme, depuis l’enfance avec des jeux vidéos comme SimCity de construction de villes. Quand j’ai déménagé à Massy, il y avait beaucoup de constructions en cours dans le quartier. Lors des réunions publiques, des questions étaient posées aux citoyens, j’essayais d’apporter des réponses et le maire, Nicolas Samsoen, a vu que j’étais motivé, que je voulais vraiment changer les choses, il m’a proposé d’entrer au conseil municipal.
Question : Est-ce que vous vous êtes posé la question de son étiquette politique ?
Julien Compan : Non, je n’ai pas réfléchi à ça, parce que mon but n’était pas d’avoir une étiquette de droite ou de gauche. Je n’ai pas d’étiquette, je suis citoyen, je voulais faire bouger les choses. L’appartenance politique ne m’a pas paru importante.
Question : Massy connaît d’importantes mutations immobilières, des rénovations, l’arrivée de nouveaux réseaux de transport. Quels sont les enjeux de votre participation au conseil municipal dans ce contexte ?
Julien Compan : Je suis en charge de l’urbanisme, j’ai été élu pour ça. J’adore, ça me correspond bien. La ville est en pleine mutation, avec de nombreux projets en cours. On va agrandir le métro avec le Paris Express, créer un musée et le nouveau quartier Vilgénis, rénover le quartier quartier de Massy-Opéra, je participe à ces projets, je donne mes avis, et je veux contribuer à la dynamique de la ville.
Question : Du fait de votre surdité, quels actes de conseiller municipal n’avez-vous pu réaliser depuis votre élection ?
Julien Compan : En France, on a environ 400 interprètes en LSF, c’est peu par rapport au nord de l’Europe, aux USA, au Japon où il y en a beaucoup plus. Il faut réserver des interprètes plusieurs semaines à l’avance pour être assuré de leur présence le jour J. Or parfois des réunions se décident la veille pour le lendemain, et là il est fréquent qu’aucun interprète ne soit disponible dans un délai aussi court. J’utilise le « système D » : une appli mobile pour transcrire la parole des entendants, et j’écris sur mon portable pour leur répondre.
Question : Quelles sont vos plus grandes fiertés depuis votre élection ?
Julien Compan : Je suis très fier du service que je peux rendre à la population. La qualité de vie pour les citoyens sourds s’est beaucoup améliorée grâce aux projets mis en place pour l’inclusion et l’accès à la citoyenneté. Je suis une personne sourde, je prends des décisions avec d’autres personnes, et je vois que ça a un impact sur la ville.
Question : Avec d’autres conseillers municipaux sourds ou malentendants, vous vous êtres regroupés pour demander aux pouvoirs publics, à des ministres, les moyens d’exercer normalement vos mandats. Avec quels résultats ?
Julien Compan : La loi dispose que les communes prévoient un budget pour que les élus handicapés exercent leur mandat. Mais concrètement, il manque de l’argent, selon que les villes sont petites, moyennes ou grandes, on n’aura pas le même budget et on sera limité dans notre mandat. Depuis que je suis élu, j’ai des missions, je rencontre des gens, participe à des réunions, etc. Je ne peux pas disposer d’un interprète pour tout cela, à cause du budget insuffisant qui ne permet pas de le payer pour toutes mes missions. De plus, la Maison Départementale des Personnes Handicapées, l’Agefiph et le FIPHFP qui nous financent pour d’autres activités ne veulent pas nous aider pour le mandat d’élu. On n’est pas sur un pied d’égalité avec les autres élus, ce n’est pas normal. Lors de prochaines élections, des candidats handicapés pourraient être rejetés à cause de cela, il faut trouver une solution pour qu’ils disposent d’un budget indépendant de celui de la commune. Il y a deux ans, j’ai écrit aux secrétaires d’État aux Personnes handicapées et aux Collectivité territoriales, ainsi qu’à la ministre de la Fonction publique. Les deux derniers m’ont répondu mais pas Sophie Cluzel [en charge des personnes handicapées], leurs réponses n’avaient rien à voir avec mes demandes : vraiment de la langue de bois ! Avec six autres conseillers municipaux sourds ou malentendants d’autres communes, on a créé l’association de défense de nos droits « Les élus sourds », pour agir ensemble, interpeller les ministres, faire bouger les choses.
Question : Vous espérez que Massy devienne une ville accueillante pour les Sourds. Que lui manque-t-il pour cela ?
Julien Compan : Il y a une école bilingue, on a ouvert un nouveau collège l’an dernier avec un Pole d’Enseignement des Jeunes Sourds du cours préparatoire au brevet des collèges. Les services publics sont accessibles en LSF avec Acceo et il y a fréquemment des interprètes. Les personnes sourdes trouvent du travail assez facilement, dont une dizaine d’animateurs socio-culturels, à la bibliothèque, à la piscine, je trouve que la qualité de vie est vraiment exceptionnelle actuellement à Massy. Ce qui est important, c’est l’inclusion, et que ça continue. La LSF doit être accessible pour tout le monde, et pas seulement aux personnes sourdes.
Laurent Lejard, mai 2022.
En complément, regardez en replay sur France 5 ce reportage de l’Oeil et la Main sur l’activité citoyenne de Julien Compan à Massy.