Depuis le décret du 27 mai 2016, l’Administration est autorisée à faire réaliser des formalités administratives par téléprocédures. Rapidement, ces téléprocédures par voie numériques sont devenues l’unique possibilité d’effectuer ces formalités indispensables à la vie quotidienne de la population. Des associations ont protesté en invoquant l’exclusion de nombreux administrés non connectés ou « illectronisés », le Gouvernement Valls a promis que les usagers handicapés pourraient continuer d’effectuer leurs formalités sur papier et continueraient à être reçus si nécessaire. Manuel Valls parti en Espagne, la promesse s’est envolée avec lui…
Numérique obligatoire pour les étrangers
Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a été marqué par l’accélération et la généralisation de l’administration électronique, avec suppression progressive de la procédure papier-courrier et de l’accueil physique dans de nombreux services. Les étrangers demandant un titre de séjour ou son renouvellement ont été les grandes victimes de ce système : plus d’accès aux préfectures sans un premier rendez-vous à prendre sur leur site Internet. Or, il s’est avéré impossible à la plupart d’entre eux d’y parvenir, les créneaux de rendez-vous étant ouverts au compte-gouttes et pris d’assaut. Les naïfs ont voulu y voir des problèmes techniques ou une difficulté d’accès liée à de l’illectronisme, les lucides la volonté d’empêcher des ressortissants étrangers de rester en France. Résultat, un trafic lucratif de créneaux de rendez-vous a été développé par des petits malins « aspirant » ceux disponibles afin de les vendre à des demandeurs… Des avocats ont saisi la justice pour obtenir un rendez-vous, le Conseil d’État s’est prononcé le 27 novembre 2019 : il a rappelé que les textes réglementaires « ne prévoient en revanche aucune obligation de saisine électronique [Le décret du 27 mai 2016] n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de rendre obligatoire la saisine de l’administration par voie électronique. »
Donc, pour la plus haute juridiction administrative l’administration électronique ne peut être unique et obligatoire. Sauf que dans les faits elle l’est devenue, comme les magistrats du Palais Royal l’avaient d’ailleurs relevé : « Si les organisations requérantes font état des difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour prendre rendez-vous par voie électronique dans les préfectures, ces difficultés ne trouvent pas leur origine dans le décret litigieux, mais dans les décisions rendant obligatoires de telles prises de rendez-vous. » Les mêmes organisations accompagnées de plusieurs autres ont à nouveau saisi le Conseil d’État qui, le 3 juin dernier, a confirmé sa précédente décision : « Le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l’objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique mis en oeuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement. »
Les exigences de l’accessibilité
On pourrait logiquement penser que les usagers handicapés, essentiellement ceux qui sont déficients visuels, sont concernés au premier chef, d’ailleurs les organisations plaignantes ont invoqué la législation les concernant : droit à la compensation du handicap, convention internationale des droits des personnes handicapées, accessibilité numérique. Les juges ont écarté l’invocation de cette dernière parce que « ces exigences […] s’imposent en tout état de cause. » Là, les magistrats ignorent la réalité : seules 4 des 245 téléprocédures considérées comme les plus utilisées sont totalement conformes aux exigences d’accessibilité. Mais il ressort toutefois de cette décision l’obligation pour les administrations d’organiser une procédure de substitution.
« On ne peut que s’en féliciter, clame Manuel Pereira, en charge du responsable du pôle accessibilité de l’Association Valentin Haüy. Quand on voit le nombre de démarches numériques accessibles, ce n’est pas significatif par rapport aux formalités globales. Que le Conseil d’État demande une alternative nous convient parfaitement. » Alternative déployée ces dernières années dans les 2.200 points d’accès France Services (site web non conforme et cartographie inaccessible) ; les administrés peuvent y effectuer des formalités sur ordinateur en étant aidés par des employés qui ne sont toutefois pas formés aux spécificités des publics handicapés. « Les points France Services apportent de l’humain, complète Manuel Pereira. On a fait la proposition au secrétariat d’État au Numérique de former les agents de ces structures aux besoins des administrés déficients visuels, sans recevoir de réponse. On pense que les agents d’accueil ne maîtrisent pas l’accueil des personnes handicapées, il faut introduire de la médiation humaine. » Autre solution existante pour les administrés qui ne parviennent pas à utiliser l’informatique : les tiers de confiance Aidants Connect dont il faut connaître l’existence et la localisation; ces aidants professionnels réalisent les formalités à la place de l’administré.
« Les personnes aveugles et malvoyantes souhaitent être autonomes dans leurs démarches administratives, affirme la présidente de la Fédération des aveugles et amblyopes de France, Anne Renoud. La Fédération est consciente que la mise en application de la loi du 11 février 2005 rencontre des difficultés dans son application pour couvrir l’ensemble des services, cependant elle reste attentive aux avis prononcés sur sa mise en oeuvre. » Et de rappeler que le retour au formulaire papier n’assurerait pas aux usagers déficients visuels l’autonomie dans leurs démarches administratives. Il leur reste donc France Services avec son numérique inaccessible…
Laurent Lejard, juin 2022.
PS : Figurant dans l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne, le dépôt de plainte en ligne n’est pas réalisable en ligne… Créée par la loi de réforme de la justice du 23 mars 2019, cette démarche électronique sera, au mieux, disponible en avril 2023.