Présentée en 2015 à Paris, Vichy, Niort, et début 2016 à Versailles, l’exposition commémorative du 150e anniversaire de la mort de Claude Montal devrait être prochainement accueillie à Lille et Troyes. « Ces choses-là se font au fil du temps, explique Thierry Géroux, président de l’Atelier Euterpe et organisateur de cette commémoration. On a rencontré des difficultés liées à l’organisation et la planification des différents lieux d’accueil. Comme cette exposition n’avait jamais eu lieu, il a fallu convaincre pour fédérer et avoir tous les suffrages des organisateurs locaux. » Il faut dire que transporter pour les exposer six imposants pianos (dont un de concert) n’est pas simple à réaliser, d’autant que chaque exposition s’accompagne d’événements musicaux et de conférences. Et lors de chaque escale, une organisation de personnes déficientes visuelles est associée pour valoriser leurs capacités.
Celles de Claude Montal, né en 1800, furent remarquables. « Si l’on veut résumer très grossièrement le travail de Claude Montal, poursuit Thierry Géroux, on retiendra trois aspects fondamentaux. D’abord, il a goûté au métier d’accordeur de piano à l’Institut royal des aveugles, s’est professionnalisé là et a transmis son savoir-faire. Second aspect, il a déposé beaucoup de brevets; il dessinait beaucoup, c’est ça qui est incroyable, des brevets qui ont donné naissance à une dynamique de conception et d’ingénierie acoustique et mécanique autour du piano. Troisième aspect qui l’a propulsé dans le succès, ce sont les trois éditions qui ont ‘statufié’ son travail en tant qu’accordeur : on trouve dans ses ouvrages une technique d’accord que tout accordeur en France et même aux États-Unis utilise; cela constitue encore une référence. Il a rencontré le succès en 1836 et l’a tout de suite partagé : il est retourné dans l’école qui était la sienne et a fondé une classe d’accord-facture qui existe encore aujourd’hui. L’année dernière, trois jeunes sont sortis avec leurs diplômes d’accordeur, qui sont de très haute qualité et reconnus par la profession. » Créé en 1784 par Valentin Haüy, l’Institut royal des aveugles était installé au séminaire Saint-Firmin (Paris 5e) lors des années d’apprentissage et d’enseignement de Claude Montal, il rejoindra les bâtiments du boulevard des Invalides (Paris 7e) en 1844 où il demeure encore, devenu l’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA).
Le parcours de Claude Montal a pourtant été très sinueux. Né en juillet 1800, devenu aveugle à l’âge de quatre ans à cause d’une fièvre typhoïde mal soignée, il devra son salut à sa mère : « Cette cécité sera le drame de sa mère, assurément, reprend Thierry Géroux. Elle a tout fait, et elle a trouvé une combine entre 1816 et 1817 pour inscrire son fils dans la seule classe où l’on enseignait aux jeunes déficients visuels, à l’Institut Royal des Aveugles. Cela s’est dénoué parce que Madame Royale [la duchesse d’Angoulême] était un peu déficiente visuelle et que son oculiste, le docteur Guillié, était à l’origine des premiers soins prodigués aux aveugles à l’Institut Royal. C’est en rencontrant Madame Royale à Vichy, en prenant les eaux, que Madame Montal a obtenu que son fils soit accueilli à Paris à l’Institut. Claude Montal y est resté 13 ans, jusqu’en 1830. Il devient un excellent mathématicien et physicien, très bon acousticien, il connaitra parfaitement les claviers d’orgue, de piano, il est violoniste, hautboïste. Les jeunes élèves de cet Institut subissent des enseignements très lourds, toute la journée, et finalement ce sont des esprits pertinents et très riches culturellement. Pendant ces années, Claude Montal passe d’élève à répétiteur puis professeur, puis en 1830 quitte le monde des déficients visuels : il a envie de vivre pleinement sa citoyenneté et sa vie civile. Il est convaincu de ses qualités d’accordeur, il pense pouvoir les vendre, sauf qu’il sort en 1830, année d’émeutes contre la monarchie de Charles X, année d’épidémie, aussi. »
« En 1831, il est inscrit à l’hospice des XV-XX et mange à la soupe populaire, il est au fond du gouffre. Le pécule accumulé quand il travaillait à l’Institut est épuisé. Il va avoir une petite chance, en rencontrant des professeurs au conservatoire qui vont saisir ce qu’il sait : ils sont convaincus qu’il a une grande compétence dans l’accord, qu’il faut qu’il enseigne. C’est certainement leurs conseils répétés qui vont inciter Claude Montal à éditer sa méthode pour accorder soi-même un piano. Un peu forcé, il est déficient visuel, il a un métier, communiquer par une publication c’était nécessairement donner tout ce qu’il savait par le canal visuel, dont il n’a pas besoin personnellement. On est bien dans une logique d’offrande, il réalise cette publication et en un an, il passe de l’état de misère au début de la fortune ! En 1836, non seulement elle lui sourit, mais il épouse également Astasie Denis, il aura deux enfants avec elle, une vie familiale tout à fait épanouie, une vie citoyenne accomplie. L’argent qu’il va gagner grâce à cette publication ‘L’art d’accorder soi-même le piano’, il va le réinjecter dans sa machine de guerre, être le premier facteur de pianos aveugle. » Grâce à ses relations avec l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie, il envoie au Brésil, à l’empereur Don Pedro, huit pianos ainsi que sa méthode d’accordage et se retrouve à l’origine de la formation d’accordeur de piano dans ce pays, toujours dispensée à l’institut Benjamin Constant pour personnes aveugles, qui a diplômé deux élèves en 2015.
Sur plus de vingt ans, Claude Montal concevra et fabriquera 2.500 pianos (par comparaison Erard et Pleyel en fabriquaient 10.000 par an) dont certains d’exception, dotés de ses inventions tel le transpositeur de clavier ou le contre-tirage. L’Atelier d’Euterpe en a acquis quelques-uns et les a fait soigneusement restaurer pour les rendre à nouveau jouables et les exposer. On peut ainsi découvrir un étonnant piano-pont, ou niche de chien, à cordage croisé, construit en 1837 comme le « pianino », piano droit compact adapté aux chambres de jeunes filles de l’époque. Au terme de cinq ans de conception, Claude Montal présentera en 1843 un pianoforte de concert, aux armatures de fer et cadre serrurier, coffré de palissandre et courbaril, un bois aujourd’hui épuisé. Cet emploi de précieuses essences accompagnera la production de ces pianos d’exception, tel le piano droit des Expositions universelles de 1851 et 1855 orné sur toutes ses faces de délicates marqueteries colorées de bois provenant des diverses colonies, et de bronzes dorés : privé de la vue, Claude Montal a produit des instruments destinés à la flatter autant que l’ouie, ce que le public est convié à redécouvrir 150 ans après sa mort…
Laurent Lejard, avril 2016.