Deuxième ville de France et l’une des plus anciennes d’Europe occidentale, Marseille dont nous brossions en 2013 un portrait « handitouristique » qui n’a guère évolué, a été cette même année capitale européenne de la Culture sans que cela change radicalement son image. À commencer par celle qu’en ont ses habitants : une cité où il fait bon vivre dans un brassage ethnoculturel du meilleur aloi mais où la culture « traditionnelle », réservée à une élite supposée ou aux visiteurs de passage, cède le pas aux cultures urbaines particulièrement vivantes ici. Les touristes, beaucoup plus nombreux qu’on ne le suppose (et pas uniquement grâce aux croisières), constituent donc la clientèle principale des musées, commerces et établissements hôteliers de l’hyper-centre. Peut-être est-ce pour cette raison que l’accessibilité, notamment de la voirie, se limite souvent à cette partie de la ville : rappelons, en matière de transports, que si le tramway et quelques lignes de bus sont praticables en fauteuil roulant, tel n’est toujours pas le cas du métro hormis les quatre dernières stations de la ligne 1…
Cosquer : une réplique mal accessible
Nous ne reviendrons pas ici sur les nombreux lieux culturels évoqués en 2013 (sauf pour déplorer, à l’instar de nombreux Marseillais, la fermeture du richissime musée de la faïence de la campagne Pastré ainsi que la liquidation de celui de la Marine, un comble pour cette ville portuaire) mais nous intéresserons principalement à la grande nouveauté de cette année 2022 : la restitution de la célèbre grotte Cosquer dans la Villa Méditerranée, contiguë au Mucem, en bord de mer, non loin du Vieux-Port.
Disons-le d’emblée : l’endroit est splendide, la muséographie impressionnante mais les doutes que nous émettions en 2021 se confirment, hélas, quant à l’accueil du public handicapé moteur (lire ce Flop et l’actualité du 15 juillet 2021.) Les visites, qui se font sur réservation avec créneau horaire, conduisent à attendre à l’extérieur (en plein cagnard en été) sans autre possibilité de s’asseoir, pour les publics fatigables, que les bancs publics situés plus loin sur l’esplanade. Une passerelle permet, une fois passé le guichet, d’accéder, au-dessus de l’eau, jusqu’à l’entrée du bâtiment où l’on est immédiatement dirigé vers le prêt d’audioguides et l’ascenseur : tant pis pour la muséographie restituant le club de plongée cassidain auquel le plongeur Henri Cosquer doit sa découverte en 1985 de la grotte qui porte son nom.
L’accès à la « grotte » (rappelons que l’entrée de la vraie est située, dans les Calanques, à 36 mètres sous le niveau de la mer), s’effectue donc via un ascenseur dont la descente est scénarisée pour donner l’impression de plonger sous les flots. Les choses se corsent ensuite quand on est en fauteuil roulant : si on peut se transférer, on est conduit jusqu’à un wagonnet à accoudoir escamotable, lequel complète le « train » des autres visiteurs pour une découverte plus ou moins confortable et immersive de ce qui constitue un exemple aussi bouleversant qu’unique d’art pariétal dans cette partie de la Méditerranée : empreintes de mains, animaux gravés ou peints disparus datés de 35.000 ans.
On pourra regretter le manque d’intimité avec ces fac-similés (au contraire de ceux de Chauvet, pourtant exploités par la même société) et le côté attraction foraine mais la magie n’est pas complètement absente. Au contraire de ce qui est proposé aux personnes ne pouvant effectuer de transfert, cantonnées dans un coin, à un espace vidéo sans réel intérêt. Cela au nom de la sécurité, comme souvent, les marins-pompiers de Marseille estimant que la hauteur à laquelle se situeraient les personnes embarquées rendrait l’évacuation en fauteuil trop risquée ; la commission départementale d’accessibilité a validé la dérogation, octroyant ainsi à la réplique Cosquer une accessibilité du siècle dernier. Avec le même tarif pour tous, handis embarqués ou à l’écart. Des fauteuils roulants de type hospitalier (non manoeuvrables en autonomie) sont par ailleurs disponibles en prêt. Quant aux visiteurs déficients auditifs ou visuels, il devront attendre quelques semaines boucles magnétiques et livrets de visite, audioguide descriptif et livret tactile.
Assez curieusement, la suite de la visite semble boudée par la plupart des visiteurs, mal orientés peut-être par le circuit muséographique : un passionnant documentaire sur grand écran relatant la découverte de la grotte et l’histoire plurimillénaire des Calanques, et surtout, dans l’immense porte-à-faux du bâtiment (le plus important au monde) la splendide galerie Méditerranée où l’on peut se confronter à la méga-faune qu’ont connue les populations préhistoriques ; qui peut imaginer que des pingouins géants pullulaient alors ? À ne manquer sous aucun prétexte. La traditionnelle boutique de souvenirs à sa sortie ainsi qu’un café restaurant au rez-de-chaussée (prix raisonnables) complètent l’offre, à notre sens encore inaboutie, de cet espace qui deviendra sans doute un incontournable du tourisme marseillais.
Un musée pour l’histoire
Outre le Mucem, dont les expositions font depuis longtemps l’objet d’adaptations et visites tous handicaps (on vous recommande celle consacrée aux « pharaons superstars » et son parcours tactile, jusque mi-octobre), l’immense Musée d’Histoire, situé à l’emplacement du port antique (accès par ascenseur côté centre commercial, par élévateur côté jardin des vestiges au 2 rue Barbusse avec maquette tactile en bronze de l’état supposé au 4e siècle), permet de parcourir les siècles en toute accessibilité et dans le plus grand calme…
Le musée dispose de quelques tables thématiques tactiles et braille, mais l’information sur les visites adaptées aux visiteurs déficients visuels ou auditifs passe par des associations locales et ne vise donc pas les touristes handicapés.
Pour des visites urbaines adaptées, voyez du côté de l’Office de tourisme : elles méritent réellement le détour et il y a en pour tous les goûts, parole de Marseillais, du pittoresque (mais mal accessible) quartier du Panier jusqu’aux audacieuses hauteurs de la Cité Radieuse (où l’on peut également se restaurer) en passant par l’enivrant quartier Noailles ou le célébrissime stade-vélodrome récemment reconstruit… sans vélodrome.
A la Maison du fada
La Cité Radieuse, justement, plonge le visiteur dans une architecture innovante proposant de vastes appartements confortables avec services, commerces, gymnase et école, le tout dans un unique immeuble en béton. L’architecte de cette « maison du fada » comme l’ont surnommée nombre de Marseillais, c’est Le Corbusier. Dans les années de l’après deuxième guerre mondiale, il avait convaincu les autorités nationales de lancer un vaste projet de 70 immeubles de ce type, dont trois autres seulement ont été finalement construits en France, et au rabais : Briey (Meurthe-et-Moselle), Firminy (Loire) et Rezé (Loire-Atlantique.) Parce que la construction de la première unité d’habitation a explosé budget et délais alors que les besoins de reconstruction étaient aussi pressants que nombreux. La Cité Radieuse, elle, est particulièrement soignée : dépose-minute automobile sous auvent, vaste hall d’entrée avec gardien et sécurité incendie à demeure, nombreux et vastes ascenseurs, design étudié, couloirs monacaux pour inciter au silence, rue intérieure au 3e niveau avec supérette et commerces de proximité incluant la livraison, bibliothèque, gymnase et école sur le toit terrasse.
La plupart des appartements sont traversants, en duplex avec escalier intérieur et salon à immense baie vitrée, cuisine intégrée entièrement et intelligemment aménagée par du mobilier conçu par Charlotte Perriand et Jean Prouvé dont le moindre élément s’arrache dans les ventes publiques, isolation phonique très soignée. Boudés par les Marseillais à son ouverture en 1952, ces appartements sont aujourd’hui très recherchés, d’autant que la campagne originelle a été rattrapée par la ville. Côté visite, l’accessibilité PMR est presque totale, à l’exception notable de l’étage de l’appartement classé monument historique, pour apprécier l’évolution de l’habitat marseillais en 35.000 années de traces d’occupation humaine.
Philippe Gimet & Laurent Lejard, août 2022.