Partie de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie (récemment renommée Hauts de France), frontalière avec la Belgique, l’Aisne est connue des Français grâce à son numéro de département (02) facile à retenir, mais on peine parfois à la situer. Elle a pourtant vu fleurir nombre d’écrivains de premier plan (La Fontaine, Dumas père, Racine, Claudel…), est l’héritière d’une histoire aussi ancienne que mouvementée, et offre une grande diversité de paysages, à une centaine de kilomètres au nord-est de Paris. Le coût de la vie y est des plus abordables, l’accueil convivial et l’accessibilité en progression. À rebrousse-poil des sentiers battus, voici donc une petite sélection du sud au nord…
L’autre Champagne
Château-Thierry. La patrie de Jean de La Fontaine se revendique comme « un secret bien gardé », c’est tout à fait exact ! Fondée à l’époque romaine dans la vallée de la Marne mais développée à partir du Moyen-Âge, la cité conserve ses attaches en Champagne, vignoble compris (Reims n’est qu’à une cinquantaine de kilomètres). Qui s’attendrait à retrouver ici les célèbres bulles ? Une route touristique existe pourtant depuis les années 1950 ! L’une des plus célèbres maisons du cru, Champagne Pannier, rassemble plusieurs viticulteurs et propose une découverte spectaculaire de ses caves en partie médiévales, au coeur des carrières de calcaire, occasion de (re)découvrir la vinification de ce nectar mondialement célèbre et d’en déguster quelques fleurons dont un remarquable extra-brut qui ravira les amateurs, en toute modération bien sûr… Parking proche (pente), accès de plain-pied, toilettes adaptées. Du château qui a donné son nom à la ville ne subsistent que d’imposants remparts mais la maison natale de l’enfant du pays, située au pied des murailles, a été transformée en musée, malheureusement inaccessible en fauteuil roulant.
Le français à Villers-Cotterêts
À une quarantaine de kilomètres au nord de Château-Thierry, Villers-Cotterêts est aujourd’hui célèbre grâce à Alexandre Dumas (père) qui y vit le jour, y étudia et y demeura attaché toute sa vie au point de vouloir y reposer à jamais… jusqu’à sa panthéonisation en 2002. Un itinéraire conçu par l’office de tourisme permet de suivre les pas de l’auteur des Trois Mousquetaires au fil des vieilles rues (pavées) de cette élégante cité, que l’on peut compléter par une visite au musée, dont les collections permanentes, consacrées aux « trois Dumas » sont accessibles en fauteuil roulant. L’office propose par ailleurs de passionnantes visites guidées sur plusieurs thématiques rendant notamment hommage à la très riche histoire de la ville dont l’immense château royal Renaissance, jadis l’un des plus importants du royaume, attend sa réhabilitation (mais on peut en admirer les extérieurs). François Ier, qui lui a donné sa splendeur, y signa la fameuse Ordonnance de Villers-Cotterêts instaurant le français comme langue officielle de l’Administration, en remplacement du latin.
Amateurs de littérature classique, ne manquez pas, à une dizaine de kilomètres au sud de Villers-Cotterêts, La Ferté-Milon, berceau de Jean Racine, où l’office du Tourisme propose également des balades guidées sur les traces du célèbre dramaturge, avec halte obligée au petit musée (encore inaccessible) qui lui est consacré.
Gothique et Art Déco à Soissons
Soissons est la ville la plus célèbre de l’Aisne, grâce notamment à la « petite » Histoire de France qui met en avant l’épisode du célèbre vase, occasion de rappeler que la cité fut capitale du royaume franc entre le Ve et le VIe siècle, juste avant Paris, conséquence d’une importante bataille qui vit, en 486, la victoire de Clovis sur les derniers Gallo-Romains. Rien ou presque ne subsiste de cette période, du moins à l’air libre, mais Soissons, opulente place administrative et commerciale dès le haut Moyen-Âge, présente encore aujourd’hui, en dépit des vicissitudes de l’Histoire (saccage par les Armagnacs, guerres de religion, destructions révolutionnaires, bombardements prussiens puis allemands), de spectaculaires édifices, notamment religieux, qui témoignent de son importance. Ici aussi, il est profitable de se rendre à l’office de Tourisme, situé juste à côté de la cathédrale (accessible de plain-pied et remarquablement dotée en oeuvres d’art) pour de captivantes visites guidées. Les amateurs de ruines romantiques seront comblés par celles, spectaculaires, de l’abbaye Saint-Jean-des-Vignes, qu’un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine (CIAP) permet de mieux appréhender. On peut également se contenter d’une paisible déambulation en ville où l’architecture Art Déco, très répandue dans la région (reconstruction d’après Première guerre mondiale oblige) réserve quelques surprises…
Les désastres de la guerre
La Première guerre mondiale, qui a très durement atteint cette partie de la France, est évoquée à une quarantaine de kilomètres à l’est de Soissons, sur le tristement célèbre Chemin des Dames, à la Caverne du Dragon. Ainsi surnommé par les Allemands, ce lieu stratégique, très ancien réseau de carrières, fut âprement disputé tout au long du conflit. Les belligérants y ont installé des espaces de « vie » mais aussi de mort, entreposant les cadavres dans certains boyaux. L’enfer de la guerre prend ici une dimension dantesque et l’on imagine non sans effroi les souffrances endurées par les soldats, au milieu des détonations clairement perceptibles à l’extérieur. La muséographie, globalement accessible avec aide (sol inégal), est très respectueuse des lieux, laissant une grande part à l’imaginaire de chaque visiteur lors de visites accompagnées. Réservation conseillée. Accès par ascenseur, stationnement réservé à côté de l’entrée, toilettes accessibles, petite restauration possible sur place. Un belvédère aménagé devant le musée offre un spectaculaire balcon sur un paysage qui ne fut pas toujours aussi paisible et verdoyant.
S’il vous reste un peu de temps, poussez, quelques kilomètres plus loin, du côté de l’abbaye cistercienne de Vauclair (Clairvaux en verlan médiéval) dont les ruines éminemment romantiques se dressent encore parmi les champs, témoignage émouvant de la grandeur puis des folies des hommes. La voie verte qui passe par là est parfaitement roulante.
Un hippopotame et un rhinocéros sur une cathédrale
En remontant vers le nord, Laon (on prononce Lan) se dresse sur son plateau, visible à plusieurs kilomètres à la ronde. Bien que moins peuplée que Saint-Quentin ou Soissons (siège de l’évêché), c’est la préfecture de l’Aisne. Miraculeusement réchappée des conflits, la vieille cité déploie toujours le charme de ses rues (pavées) bordées de maisons élégantes aux cours pleines de mystères. Le funiculaire urbain Poma, l’un des rares en France, ayant été récemment fermé (à rebours des tendances actuelles), il est préférable de gravir la butte en voiture, les places réservées ne manquant pas au sommet, notamment près de la cathédrale, merveille de style gothique primitif dont on admire, à la jumelle, l’étonnant bestiaire dominant ses volumes extérieurs. Toutefois, l’hippopotame et le rhinocéros sont des fantaisies que se sont permis les architectes de la rénovation du XIXe siècle ! Accès de plain-pied.
L’office de tourisme, attenant (accès par rampe, interphone) dispose d’un remarquable plan-relief du site et propose des visites guidées, certaines plus accessibles que d’autres, grâce auxquelles on peut découvrir les trésors parfois cachés de l’endroit. Enfin, la promenade sur les remparts offre de très beaux points de vue sur toute la région.
Gothique et Art Déco à Saint-Quentin
À une cinquantaine de kilomètres plus au nord, Saint-Quentin est la ville la plus peuplée du département. Fondée pendant l’Antiquité, elle a dû son développement, durant le Moyen-Âge, au pèlerinage lié au saint qui lui a donné son nom. Partie du domaine royal, elle est également devenue une importante place économique. Théâtre, au XVIe siècle, d’un siège doublé d’une sanglante bataille opposant Français et… Espagnols, la cité a ensuite décliné pour ne renaître, au XIXe siècle, qu’avec l’industrialisation, laquelle s’est brutalement interrompue après les ravages de la Première guerre mondiale. Ainsi, à l’instar de Soissons, l’imposante basilique (accessible de plain-pied) a-t-elle été fortement endommagée et la majeure partie du centre ancien détruite. Les reconstructions d’après-guerre ont restitué certains édifices dans leur aspect antérieur mais l’art de l’époque brille ici plus particulièrement, y compris dans la basilique (rouverte au culte dans les années 1950) en complément des vitraux miraculeusement préservés. Il en va de même avec l’hôtel de ville, de style Renaissance, dont la salle du conseil municipal est un chef-d’œuvre Art Déco que l’on peut découvrir lors de visites guidées organisées par l’Office de Tourisme. De nombreux autres immeubles, en ville, témoignent de l’élégante inventivité de ce mouvement : levez les yeux !
Au bonheur des dames
Dans la proximité de Saint-Quentin, la Maison de Marie-Jeanne, à Alaincourt, fait partie de ces espaces muséographiques inattendus dans lesquels on peut passer des heures. Accessibles de plain-pied, les lieux abritent une évocation de l’aventurier Robert-Louis Stevenson, qui est passé par la région, ainsi que l’époustouflante collection d’objets usuels des années 1870 aux années 1950 de la couturière de talent qui les a offerts à la ville, donnant son nom au musée. C’est ludique, vivant et plein d’émotions ! Des expositions temporaires complètent la visite. Parking aisé dans la cour, toilettes adaptées.
A La Filandière
Autre découverte émouvante à Fresnoy-le-Grand, toujours dans la proximité de Saint-Quentin, où l’ancienne usine de tapisseries La Filandière, victime d’une mauvaise gestion, a laissé la place, au début des années 2000, à une Maison du textile qu’animent certains de ses anciens employés. On s’y familiarise avec l’art de la haute lisse et sa mécanisation, parmi les machines et métiers à tisser demeurés en place, prêts à fonctionner, sur lesquels des démonstrations sont faites. Cartons, tournettes, moulins et espaulins n’auront plus de secret pour vous ! À côté des ateliers, une Maison du tisserand reconstitue l’ambiance du tissage à domicile, actif jusque dans les années 1930. Accès de plain-pied, toilettes adaptées. Si vous vous déplacez en fauteuil roulant, prévenez l’accueil pour vous faire ouvrir l’accès du personnel, actuellement plus praticable que l’accès principal.
Une utopie paternaliste
Achevons ce survol de l’Aisne en restant dans le domaine industriel. À une quarantaine de kilomètres à l’est de Saint-Quentin, Guise (qui ici se prononce guïse) n’est pas seulement connue pour sa puissante famille ducale ou parce qu’elle vit naître le révolutionnaire Camille Desmoulins. Ce qui l’a rendue fameuse dans le monde entier, c’est l’utopie d’un capitalisme à visage humain incarnée au XIXe siècle par l’industriel Jean-Baptiste André Godin, celui des célèbres poêles. Self-made-man inspiré par les thèses socialo-communautaires de Charles Fourier (phalanstère), il a construit ici un véritable Versailles ouvrier en briques rouges pour loger mais aussi éduquer et divertir ses employés : le Familistère. L’utopie a duré jusqu’à la fin des années 1960, les actifs industriels de Godin étant partagés entre les marques Le Creuset et Cheminées Philippe. Outre des logements, les bâtiments, réhabilités par le département, abritent désormais de vastes espaces muséographiques parfaitement accessibles où l’on découvre l’ampleur d’un rêve achevé ici mais peut-être pas ailleurs…
Jacques Vernes, août 2016.
Sur le web, le site officiel Évasion Aisne permet d’organiser une séjour dans ses moindres détails suivant plusieurs thématiques. Une page spécifique recense les sites labellisés Tourisme et handicap mais l’offre accessible est bien plus large : n’hésitez pas à vous renseigner !