L’administration de l’Éducation nationale impose aux familles de faire un choix entre scolarisation à l’école ou en établissement médico-social, avec de nouvelles conditions qui impactent essentiellement les enfants et jeunes déficients intellectuels. C’est ce qu’a constaté début juillet l’association Les Papillons Blancs du Finistère en recevant de la direction départementale de l’Éducation nationale un courrier de désactivation de l’inscription dans leur école de proximité d’enfants également accueillis à temps partiel dans un Institut Médico-Educatif. Pour les réintégrer, l’Administration exige un nouveau conventionnement et le transfert à la charge de l’IME des frais de transport, sans nouveaux moyens. Qu’en pense la principale association de parents, l’Unapei, qui relance son opération annuelle #Jaipasecole ? Sa vice-présidente Sonia Ahehehinnou répond et exprime les craintes de son organisation pour cette rentrée scolaire.
Question : Quelles sont pour l’Unapei les prévisions de la rentrée scolaire ?
Sonia Ahehehinnou : Malheureusement ce sont à peu près les mêmes chaque année [lire cet entretien de septembre 2020.] Toutefois on constate une dégradation, notamment dans la scolarisation partagée, accompagnée entre école ordinaire et Institut Médico-Éducatif. Elle repose sur une double notification par la Maison Départementale des Personnes Handicapées, avec élaboration d’un Projet Personnalisé de Scolarisation et, aléatoirement selon les territoires, un suivi GEVA-sco. On a constaté une espèce de bricolage MDPH-établissements entraînant des disparités territoriales, avec des dispositifs hybrides reposant sur des personnes volontaires sur cette démarche. Ça repose sur de la bonne volonté, une bonne entente entre personnes et institutions, mais ne permet pas une éducation dans la globalité.
Question : Cette situation de l’éducation partagée résulte-t-elle d’une évolution de la volonté politique ou de moyens redéployés ?
Sonia Ahehehinnou : Je pense qu’il y a un mélange des deux, un contexte à prendre en compte, avec une grande tension en ressources humaines pour recruter des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), un manque d’enseignants spécialisés, de grandes difficultés de recrutement dans le médico-social, des SESSAD (Services d’Éducation Spéciale et de Soins A Domicile) avec moins de personnels. Alors on réduit le nombre d’élèves orientés à la fois en établissements scolaires et en médico-social. Pourtant ce sont ceux qui ont le plus besoin de scolarisation ordinaire. Les coupes se font toujours au détriment des plus fragiles.
Question : Pourtant l’éducation partagée est inscrite dans la loi du 11 février 2005, sans avoir été mise en oeuvre partout…
Sonia Ahehehinnou : Ce qui est dommage, c’est qu’on travaille au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) sur une co-construction de cette éducation partagée, alors que des territoires la déconstruisent. On ne peut pas passer de tout noir à tout blanc, il faut organiser la transformation de l’offre. Notre analyse est que la volonté politique est là mais qu’elle ne s’oriente pas vers une évaluation des dispositifs constitués d’un empilement, sans être sûr que cela corresponde à l’intérêt de l’enfant. Le sujet qui parle au public, c’est l’AESH alors que ce n’est pas une solution universelle. Quand on affecte un AESH, est-ce que ça résulte d’une évaluation des conditions de réalisation du parcours de scolarisation de l’enfant ? Comment alors évaluer le besoin en AESH dans chaque territoire ? On ne développe pas une politique sans analyse des besoins ni connaître les moyens disponibles. Ce qui m’a interpellée, c’est le livret de parcours inclusif réalisé par l’Éducation nationale : il réunit tous les dispositifs sauf l’éducation partagée et la scolarisation en établissement médico-social. On voit bien que les élèves du médico-social ne sont pas intégrés dans la scolarisation. Ce n’est pas l’élève en situation de handicap qui n’est pas capable d’être scolarisé, c’est le système éducatif qui ne crée pas les conditions pour accueillir tous les élèves, notamment ceux avec des besoins particuliers.
Question : Le nouveau ministre de l’Éducation nationale voudrait déléguer aux chefs d’établissements le recrutement de personnels et d’enseignants, pour coller davantage aux spécificités des territoires au risque de voir des établissements moins enclins à intégrer des élèves handicapés…
Sonia Ahehehinnou : Cela peut sembler curieux par rapport à l’harmonisation des pratiques ; est-ce que c’est décidé en rapport des cultures territoriales ? En prenant ces mesures, sans évaluation et en one shot, on ne peut pas répondre à des parcours de scolarisation en éteignant des feux sans voir la globalité du système. On ne peut pas prendre des décisions sans avoir réfléchi globalement, sans garantir un parcours adapté de scolarisation pour chaque élève. Ça me partait dangereux et les plus fragiles le subiraient. Avec une scolarisation inadaptée, on peut flinguer l’avenir d’un enfant et d’une famille.
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2022.