Traditionnellement à droite, Nancy (Meurthe-et-Moselle) qui compte plus de 100.000 habitants est pour la première fois, depuis la Seconde guerre mondiale, dirigée depuis deux ans par une municipalité de gauche rassemblant socialistes, communistes et écologistes. Élu en juin 2020 sur la liste d’union de la gauche, Arnaud Kremer, handicapé moteur âgé de 31 ans se déplaçant en fauteuil électrique, est en charge… du Handicap et de l’inclusion, tout en travaillant comme chargé de mission en ressources humaines à la direction régionale Grand Est de Pôle Emploi.
Question : Comment êtes-vous entré en politique ?
Arnaud Kremer : Ce qui m’a amené à m’engager politiquement, c’est d’abord mon engagement dans des associations « grand nancéiennes », tel le Groupement pour l’Insertion des personnes Handicapées Physiques de Lorraine (GIHP). J’ai également monté avec des proches Accessibilité Intégration Autonomie (AIA) qui aide nos bénéficiaires dans leurs demandes de financement de matériels adaptés et aides techniques. Le GIHP Lorraine a confié son service transport à Synergihp et le service d’aide à domicile à une autre structure, à cause de difficultés financières. Depuis la crise sanitaire du Covid nous avons recentré nos activités vers le militantisme, et on s’est rapprochés de l’association Accueillir Guider par l’Intégration (AGI) qui gère un foyer médicalisé pour héberger des étudiants handicapés.
Question : Que s’est-il passé entre l’engagement associatif et la politique ?
Arnaud Kremer : De belles rencontres qui ont généré des opportunités. La directrice de campagne de Mathieu Klein [nouveau maire de Nancy et ancien président du Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle NDLR] était l’une de mes professeurs à l’Institut d’Administration des Entreprises où je suivais un mastère en ressources humaines. Lors de la recherche de compétences diverses, au moment de la constitution du groupe formant la liste de candidats à l’élection municipale, elle m’a proposé de rencontrer Mathieu pendant l’été 2019, de discuter sur mon engagement, mes ambitions, ma vision pour Nancy, les marges de manoeuvre qu’on pourrait mobiliser et les lignes qu’on pourrait bouger ensemble pour rendre la ville plus accessible et inclusive. La campagne a débuté pendant l’automne avec la construction du programme sur les parties handicap, accessibilité et inclusion qui sont devenues ma délégation d’élu municipal.
Question : Cet engagement à gauche s’est traduit par la prise de la carte d’un parti politique ?
Arnaud Kremer : Non, je n’ai pas adhéré à un parti. Je suis simple citoyen représentant la société civile, c’est ce qui m’a motivé à rejoindre l’équipe de Mathieu Klein. Il y avait des représentants de différents partis de gauche, le Parti Socialiste, le Parti Communiste Français, Europe Écologie Les Verts, La France Insoumise et Génération.s, avec une grande majorité de représentants de la société civile. Ce qui m’a attiré, c’est l’homme, la démarche qu’il a menée, la dynamique qu’il a impulsée. Je trouvais très intéressant de ne pas être encarté pour amener ses idées et compétences.
Question : Les rues de Nancy ont été modernisées lors de la construction du « tramway » (Transport sur Voie Réservée) qui, outre de nombreux incidents, a créé d’autres difficultés aux personnes handicapées à cause de son inaccessibilité dans les communes voisines d’Essey et Vandoeuvre…
Arnaud Kremer : Ce TVR arrive à bout de souffle. Il répondait aux besoins en terme de topographie, la ville est en forme de cuvette avec le pôle santé de Brabois qui est sur les hauteurs. Pour un tram ferré, il aurait fallu réaliser un tracé plus long, passant par le jardin botanique. Le choix de la municipalité en 2000 du bus guidé TVR, qui a connu des frasques relayées dans la presse et subies par les habitants, se justifiait par la pente à gravir. Aujourd’hui, il est en fin de vie et son autorisation de circulation ne sera pas renouvelée fin 2023, il sera remplacé par des trolleybus suisses et les arrêts seront rendus accessibles. Nous avons aussi engagé avec les habitants et la métropole une réflexion sur une refonte du réseau actuellement en étoile depuis la gare, pour élaborer des lignes structurantes qui correspondent aux besoins réels de la population.
Question : Nancy s’est fait remarquer en décembre par l’ouverture d’une salle de change pour jeunes et adultes handicapés. Quelle est sa fréquentation, depuis lors ?
Arnaud Kremer : Je tiens à souligner la fierté de l’équipe municipale, et moi en particulier qui l’a porté, que ce projet soit issu du budget participatif soumis au vote des Nancéiennes et des Nancéiens qui l’ont très bien positionné. On sent que les habitants ont conscience des citoyens qui ont besoin d’une attention plus forte. Pour la fréquentation, on n’a pas de données chiffrées précises mais on sait, par le nombre de sollicitations du gardien du parking Maurice Barrès où elle est installée, et d’employés municipaux, qu’elle est utilisée une cinquantaine de fois par semaine.
Question : Début août, un article de presse a évoqué des trottoirs et une voirie mal accessibles, dont l’emblématique place Stanislas aux pavés à joints creux. Que compte faire la municipalité ?
Arnaud Kremer : On a récupéré la ville dans une situation de non prise en compte du handicap qui était flagrante, avec un affichage qui était du vent. L’ancien élu en charge avait malheureusement une délégation creuse, on ne lui laissait pas de marge de manoeuvre. Aujourd’hui les finances publiques sont malmenées par la crise, et le chantier de réfection de la place Stanislas va s’inscrire à moyen et long terme dans la piétonnisation des rues voisines, pour réduire la pollution et sans réitérer les erreurs passées en posant des pavés avec des joints creux qui noircissent et s’effritent, ou des dalles très belles en été mais qui sont en hiver de véritables patinoires.
Question : Autre sujet préoccupant, un hôtelier a refusé fin 2019 de louer une chambre à une dirigeante associative aveugle parce qu’elle était accompagnée d’un chien-guide, refus que l’avocate générale près la Cour d’Appel de Nancy a validé en juin 2020 en allant chercher une jurisprudence portant sur la redevance télé dans les hôtels. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Arnaud Kremer : C’est une aberration totale. Je ne remets pas en cause notre système judiciaire mais le choix de certaines personnes d’aller à l’encontre du bon sens et du droit des personnes pour des intérêts privés. Je sais que cet hôtel est dans une configuration particulière, étant situé dans un monument classé de la place Stanislas, mais ça ne permet pas d’agir à la tête du client. L’exploitant a peut-être bénéficié d’un réseau de connaissances qui lui a permis d’obtenir cette décision, en jouant sur un flou entre législation et jurisprudence.
Question : Vos deux années de conseiller municipal vous donnent-elles envie d’aller plus loin, en briguant un mandat départemental, régional voire national ?
Arnaud Kremer : Ma jeune expérience n’enlève rien à mes convictions et je pense à ma volonté d’agir pour une ville plus inclusive. J’ai la volonté de faire bouger les choses en local, même si je me rends compte du chantier énorme qui nous attend localement comme au niveau national. J’aimerais poursuivre mon engagement politique à des niveaux plus importants, pour avoir davantage de marges de manoeuvre pour des actions plus percutantes. Le premier frein, c’est la mobilité et l’accès aux très beaux bâtiments historiques où sont installées nos instances de décision. J’ai cette volonté de poursuivre, peut-être pas pour les prochaines élections mais plus tard. Je suis déjà suppléant d’un conseiller départemental, et souhaite m’orienter vers le conseil départemental ou régional, et à terme, pourquoi pas, me présenter à la députation. Le handicap me tient à coeur, il me concerne directement, mais il est transverse à beaucoup de thématiques. L’emploi des personnes en situation de handicap et l’emploi au sens large sont parmi mes préoccupations fortes. C’est peut-être une déformation professionnelle au vu de mon activité mais ça fait partie du champ de bataille des sujets sur lesquels je souhaite m’investir et poursuivre mon engagement politique.
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2022.