Nathalie est encore tourneboulée par sa participation, le 15 octobre dernier, à une table-ronde organisée par une association de protection animale : « J’ai été choquée des réactions. J’ai eu droit à tout un tas de questions pour savoir si le chien apprécie vraiment de travailler ! » Un peu comme ces activistes animalistes anglo-saxons reprochant à des personnes aveugles d’employer des chiens guides qui seraient mieux à gambader dans les champs. Une remise en cause du rôle émancipateur de chiens de travail auprès de personnes handicapées ou vivant avec des troubles mentaux.
Parce que Nathalie Joncour a cette double casquette, maîtresse du chien guide d’aveugle participant depuis plus d’un an à son autonomie, Pop, et intervenante en médiation animale auprès de patients en hôpital psychiatrique ; là, c’est un bichon, Poppy, qu’elle fait intervenir. Bichon qui a également donné son nom au cabinet professionnel de Nathalie, la Maison de Poppy.
« Je suis arrivée en Vendée début 2020 avec un projet de médiation animale. Saint-Gilles-Croix-de-Vie m’intéressait et je suis allée aux voeux du maire en janvier. La semaine suivante, il m’a demandé de rejoindre son équipe. Au début je ne voulais pas, par manque de temps. Il m’a motivée et a fait en sorte que je vienne, pour faire de la place aux jeunes et aux nouveaux arrivants. » Pour ses 34 ans, Nathalie Joncour mettait ainsi un terme à ses années parisiennes, où elle avait oeuvré à l’accessibilité culturelle dans plusieurs musées, principalement à la Cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette et au Palais de la Découverte. « Je m’occupais de la conception d’expositions accessibles avec les créateurs de projets, j’ai travaillé dans la mission accessibilité de la CSI, participé à l’élaboration de l’expo chiens et chats. »
Comment accepter la cécité ?
Tout n’a pourtant pas été aussi simple pour une jeune femme qui a vu normalement jusqu’à ses 20 ans. « Je me suis lancée dans une fuite en avant pour ne pas être confrontée au handicap visuel. J’étais étudiante en histoire et histoire de l’art quand la déficience visuelle est apparue, j’ai du arrêter histoire de l’art dont j’avais déjà payé les cours dans une fac privée. Mais je ne voulais pas retourner à la fac publique pour ne pas exposer ma déficience visuelle, et j’ai changé d’orientation dans la fac privée pour aller en théologie en cours d’année ; c’était plutôt drôle d’être avec des séminaristes qui m’ont énormément aidée et soutenue en me faisant réviser tous les cours ! Je devais faire ma dissertation à l’oral, j’ai réussi à avoir mon premier trimestre et finalement obtenu mes licences. Après je voulais faire un mastère de recherche sur le Moyen-âge, mais il fallait déchiffrer des écritures anciennes, je ne pouvais pas suivre ces cours et j’ai fait mon mastère sur les Romantiques redécouvrant le Moyen-âge : ils avaient retranscrit des textes anciens qui me devenaient accessibles. »
Son entrée progressive dans la cécité s’est également accompagnée d’un autre style de vie : « J’ai beaucoup voyagé depuis la déficience visuelle, avant j’étais plutôt plan-plan et chemin tout tracé. Les hospitalisations et maladies m’avaient prédit une vie brève, démentie par les faits et générant un sursaut de vie vers le Japon, la Chine, la Russie, le Brésil. » Et maintenant sa reconversion professionnelle en bord de mer, près des terres maternelles : « Ici j’ai les beaux paysages et le calme. J’ai suivi deux années d’études de psychologie, en programmation neurolinguistique et zoothérapie, pour développer un projet sur la psychiatrie et les taux élevés de rechute après hospitalisation. Un ami s’est suicidé après un séjour en psychiatrie. J’ai vu un reportage sur un hôpital psychiatrique en Autriche ou le contact avec les chevaux avait réduit de moitié la dose de médicaments donnée aux patients. J’ai écrit un mémoire sur ce sujet pendant ma reconversion, et me suis dit qu’il me fallait un lieu pour faire de la médiation démédicalisée. » Ce qu’elle réalise à Saint-Gilles, tout en occupant un emploi salarié dans l’insertion professionnelle.
Elle conduit son action de médiation animale en hôpital de jour. « Je fais ma propre expérience, je pense qu’il n’y a que ça de vrai. J’interviens auprès de gens de pathologies variées dont je ne connais pas le dossier médical, donc je n’ai aucune idée de leur parcours psy. J’arrive dans le même état que le chien, encadrée par des infirmières. Je ne vois pas leurs visages, c’est tant mieux, je n’ai que les voix, les émotions, le comportement à l’égard du chien. Lui, il se fiche du passif, et ça c’est merveilleux. Je n’ai pas besoin de mettre de la distance, les patients peuvent me tutoyer, m’écrire, et il se passe des choses magnifiques. Par exemple, une femme prostrée qui au bout d’un an s’ouvre, parle, interagit. Mes chiens savent faire des parcours, des demi-tours, on fait la fête à Poppy avec l’objectif d’être en groupe, de se sentir bien. Quand on va se promener avec le chien, il crée un lien entre les humains auxquels les patients répondent. Ça simplifie les rapports, c’est utile. » Nathalie Joncour voudrait évoluer dans sa pratique en créant un lieu avec hébergement temporaire préparant au retour au domicile. « A un moment, il faut choisir pour soi-même, c’est très violent, comme pour les sortants de prison, de retourner dans une vie avec toutes ses contraintes sociales. Il faut s’approprier la nouvelle personne qu’on est devenue, auprès de soi et auprès des autres. »
Laurent Lejard, octobre 2022.