11,7 milliards d’euros : tel est le montant des crédits qui seront consacrés en 2016 par l’État au handicap et à la dépendance, identique à celui de 2015 à six millions près. Sur cette somme, 8 milliards 762 millions seront affectés au paiement de l’Allocation aux Adultes Handicapés, total identique à celui de 2015. Sauf que la loi de finances rectificative pour 2015 adoptée par les parlementaires le 17 décembre augmente de 313 millions d’euros les crédits de paiement de l’AAH, dont le budget initial voté fin 2014 ne couvrait pas l’intégralité de la dépense. Les allocataires n’ont en pas subi les conséquences puisque l’organisme payeur, la Caisse Nationale d’Allocations Familiales, a fait l’avance. Mais cela veut dire que l’AAH sera largement sous-financée en 2016 : il manquera au moins 800 millions en tenant compte de l’augmentation prévisible du nombre de bénéficiaires et du montant moyen versé. En fait, l’AAH « coûtera » 9,1 milliards d’euros en 2015, et si l’on applique le même pourcentage d’évolution (4%) pour l’année qui vient, près de 9,5 milliards en 2016. Cela sans que le montant mensuel progresse en 2016, la loi de finances pour 2016 modifiant les conditions de la revalorisation annuelle : au lieu d’être établie sur l’inflation prévisionnelle, elle le sera au 1er avril en fonction de la progression de l’indice des prix à la consommation qui était de 0,02% sur les neuf premiers mois de 2015. L’AAH n’augmentera donc probablement pas en 2016. On comprend mieux pourquoi le ministère des Finances espérait imposer aux allocataires de déclarer les intérêts reçus sur les comptes épargne non imposables (livret A, populaire, logement, etc.), Bercy voulant réduire la dépense sur le dos des bénéficiaires. La mobilisation associative fut à cet égard brève mais efficace, et le Gouvernement se retrouve avec un gros trou à combler.
La même loi de finances rectificative prélève 50 millions d’euros sur les ressources de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie destinés à financer un fonds de soutien aux départements « connaissant une situation financière particulièrement dégradée, notamment du fait du poids de leurs dépenses sociales. » Cette ponction les aidera à payer la Prestation de Compensation du Handicap et l’Allocation Personnalisée d’Autonomie, mais également d’autres interventions qu’il n’incombe pas à la CNSA de financer. Une fois de plus, le Gouvernement pratique le détournement d’argent pour couvrir ses carences en matière sociale, comme il le fait dans la loi de finances en maintenant cette année encore la ponction de 58 millions d’euros au détriment de l’accès à l’emploi des personnes handicapées. Leur chômage ne cesse de progresser, à près de 450.000 individus selon les derniers chiffres publiés, alors que les moyens pour le combattre ne cessent de diminuer. Sur ce point, le financement de 500 nouvelles aides au poste dans les Entreprises Adaptées est l’une des seules bonnes nouvelles du budget 2016, avec la progression des crédits en faveur de l’intégration scolaire (+ 5,85 % à 794 millions) pour financer l’aide humaine aux élèves. Les communes pourront également étendre jusqu’à 20% l’abattement de taxe d’habitation pouvant être accordé aux personnes handicapées.
Mais pour 2017 se profile une réforme d’ampleur : le transfert à l’Assurance Maladie du financement du fonctionnement des Etablissements et Services d’Aide par le Travail. Ce transfert a été approuvé par le Parlement, avec la garantie formelle du Gouvernement d’une compensation à l’euro près. On pourrait donc penser que cette réforme n’aura pas d’effet sur le budget de l’Etat et les moyens de fonctionnement des ESAT dont seul le subventionneur changera. Toutefois l’expérience enseigne que dans de tels cas l’Etat « oublie » de revaloriser annuellement les crédits qu’il transfère, les sous-dimensionne volontairement, et il y a fort à craindre que l’Assurance Maladie ponctionne son budget pour combler une carence prévisible. Carence déjà présente dans les crédits pour 2016 de la garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH) qui baissent de 0,1 % alors que le salaire ouvrier et employé a, lui, progressé de 1,2% ces douze derniers mois et que le SMIC doit augmenter de 0,6% le 1er janvier prochain. A effectif égal, les ESAT disposeront donc en 2016 de moins d’argent pour financer le complément de salaire des travailleurs handicapés qu’ils emploient. Comment s’en sortiront-ils ? D’autant que l’on attend un arrêt de la Cour de Cassation quant au statut au regard du droit du travail des travailleurs en ESAT qui, si la Haute Cour suit l’avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne qu’elle a interrogée sur ce point, pourrait révolutionner le secteur : la CJUE estime que ces travailleurs ne sont pas les usagers d’un établissement médico-social mais des travailleurs au sens du droit du travail communautaire, ce qui entrainera nécessairement d’importantes modifications des conditions d’emploi et de rémunération. A sa manière, la loi de finances pour 2016 anticipe cette décision en se déchargeant du financement sur l’Assurance Maladie et en maintenant la GRTH au niveau de 2015. Une manière pour le ministère des Finances de proclamer « après nous le déluge ! »
Laurent Lejard, décembre 2015.