Arrêter de travailler pour partir à la retraite constitue une rupture dans le quotidien de toutes celles et ceux qui entrent dans cette démarche. Pour obtenir la rémunération de remplacement que constitue la pension de retraite, il faut vérifier les informations centralisées par les caisses de retraite du régime de base et de retraite complémentaire dans le but de mettre à jour sa carrière professionnelle. Et dans le même temps se préparer à une vie sans travail salarié, organiser son temps pour rester actif. Ce double aspect du départ à la retraite cumule complexité administrative et rupture dans les relations sociales. Pour les travailleuses et travailleurs handicapés exerçant en Établissements et Services par le Travail, c’est un bouleversement plus grand encore.
Jusqu’à ces dernières années ils étaient démunis, laissés dans le cadre commun de l’information grand public et au soutien psychosocial de leurs ESAT respectifs… quand il existait. Cette lacune est comblée depuis près de deux ans par l’une des Carsat, celle de Bretagne : elle organise régulièrement des réunions collectives adaptées pour, le temps d’une journée, expliquer leurs droits à ces travailleurs et les préparer à une nouvelle étape de leur vie. « Depuis juin 2010, explique Vincent Pavis, chargé de mission retraite à la Carsat Bretagne, le réseau des Carsat va porter la bonne parole auprès des entreprises lors de réunions d’information. Dès 2011-2012, on a été contactés par des Entreprises Adaptées, et on s’est rendu compte que notre format devait être adapté en l’ouvrant aux familles, tuteurs, professionnels, etc. Puis une association d’ESAT [ARESAT, renommée Icual depuis le début de l’année NDLR] nous a contacté et on a mis en place ce dispositif parce que les usagers étaient perdus. Et en prenant en compte l’aspect psychologique, qui n’est pas mince. » Chaque journée d’information propose une matinée consacrée à cette approche psychosociale du départ en retraite, puis l’après-midi dédiée au volet formalités. Un laps de temps de six mois est laissé aux travailleurs pour préparer dossier et démarches.
« L’approche psychosociale, c’est aller au delà des démarches administratives et prendre en compte l’habitat, la santé, le lien social et la vie sociale, complète Virginie Jurkowski, chargée de prévention sociale au Département Action Sociale Retraite de la Carsat Bretagne. L’ESAT c’est le travail, les relations sociales et fréquemment le logement. La retraite n’est pas uniquement une question de dossier et de droit, mais une projection dans une autre vie pour les usagers. Ces publics sont dans un collectif, c’est encore plus compliqué, et ils se retrouvent dans du droit commun. On propose un cheminement en invitant les familles, tuteurs, employeurs, professionnels à leur contact, pour que ce soit le début d’une réflexion. Pour ces travailleurs, la retraite n’est pas si évidente, c’est anxiogène. » Où vont habiter ceux qui vivent dans le foyer de l’ESAT ? Comment vont-ils organiser leur vie d’après, avec quelles activités et relations sociales ? « L’ ARESAT forme également des animateurs au sein des établissements pour accompagner vers la retraite, ajoute Virginie Jurkowski, humainement et administrativement, avec des référents pointus sur le sujet. »
Diffusée dans les quatre départements de Bretagne à raison de deux informations collectives par an dans chacun, cette action a touché 400 personnes dont 300 usagers d’ESAT parmi lesquels une centaine a ensuite participé à des entretiens individuels. 2.500 de ces travailleurs exerçant dans les 86 établissements membres de l’Aresat Icual ont un droit à partir prochainement en retraite. Sur la France entière, ce sont 17% des effectifs, 20.000 sur 120.000 travailleurs, qui ont le droit de partir en retraite dans la période 2020-2025. Le besoin d’information est donc élevé. « Les établissement nous disent que ces réunions positionnent la retraite comme un vrai sujet, en tant que tel, traité dans sa globalité, ajoute Vincent Pavis. Les directions s’en saisissent. On travaille sur la territorialité avec les Clic [Centre Local d’Information et de Coordination gérontologique] qui renseignent les personnes en situation de handicap sur les aides à domicile et tous les sujets du quotidien. Tout cela aide à cheminer dans son projet. » La présence et l’implication des proches, familiaux comme professionnels, participe de ce cheminement, jusqu’à un certain point. « C’est la personne qui décide, conclut Vincent Pavis, et c’est ce qu’on dit, au risque de les froisser. On explique à ces travailleurs : « c’est toi qui est concerné et qui décide », au risque de déposséder le professionnel. » Quelles autres régions suivront cet exemple ?
Laurent Lejard, novembre 2022.