A partir du 19 mai 2015, un véhicule transportant une personne handicapée titulaire de la carte européenne de stationnement ne sera plus soumis au paiement de la redevance sur les emplacements de voirie quels qu’ils soient. Cette gratuité résulte de la loi du 18 mars 2015, l’autorité locale compétente en la matière pouvant limiter cette gratuité à une durée continue de douze heures. Si la nouvelle législation est claire pour la voirie ouverte à la circulation publique, elle est plus complexe et restrictive pour ce qui concerne les parkings fermés.
Que feront les communes ?
La loi stipule que la gratuité s’applique sous certaines conditions aux parcs fermés. « La gratuité ne s’applique pas dans les parcs de stationnement où les bornes d’entrée et de sortie sont directement accessibles depuis le véhicule, explique par exemple le directeur de Lyon Parc Auto, François Gindre. C’est le cas dans nos parcs, qui étaient accessibles depuis de nombreuses années. La loi n’évoque pas le paiement à ces bornes, mais le fait que leur accessibilité aux handicapés pourra rendre le stationnement payant aux bornes en Carte-Bleue ou en caisse automatique en espèces. » La balle est donc dans le camp des conseillers municipaux et métropolitains de Lyon, dont les collectivités sont actionnaires majoritaires de la Société d’Economie Mixte LPA : « La réflexion doit être conduite par ‘l’autorité compétente’, soit la Métropole au renouvellement de chacun des contrats de concession », conclut François Gindre. Une réflexion qui ne concernera pas les plus chers des parkings, ceux des aéroports d’Orly et de Roissy, qui sont la propriété d’Aéroports de Paris (ADP) et gérés directement par cette société anonyme dans laquelle l’Etat détient la majorité des actions. Petite consolation, une réduction de 50% est consentie de longue date aux titulaires de la carte de stationnement dans les parkings mitoyens des aérogares… les plus chers.
Autre exemple : sans attendre la date-butoir, le Conseil Municipal d’Aurillac (Cantal) a étendu, le 6 avril dernier, la gratuité aux parcs fermés, les personnes handicapées étant déjà exemptées de paiement pour les places de voirie (la page Stationnement du site web de la ville ne mentionne pas cette exemption). Cela nécessitera une procédure particulière, comme le précise Vincent Fournier, directeur de cabinet du maire : « La gestion de l’accès aux parcs fermés se fera manuellement pour les usagers handicapés qui se présenteront : appel à l’interphone à l’entrée, demande du numéro de la carte européenne de stationnement ainsi que du nom du titulaire, demande du numéro d’immatriculation du véhicule, appel à l’interphone en sortie avec les mêmes données à fournir. Si ce dispositif ne fonctionnait pas à l’usage ou si la demande était trop importante, une réflexion serait alors lancée pour mettre en place un autre dispositif. Pour l’instant, cette gestion simplifiée devrait pouvoir assurer les demandes de stationnement gratuit des usagers handicapés. » La gratuité, limitée à douze heures consécutives, sera affichée sur la grille tarifaire à l’entrée des parkings.
Les privés réticents
Le stationnement payant s’avère une activité particulièrement lucrative pour les sociétés privées qui exploitent des parcs fermés. A tel point que le géant Vinci aux 2.500 parkings refuse de communiquer sur le sujet : à la fois constructeur et gestionnaire, Vinci est un « pauvre » trust pesant 24 milliards d’euros toutes activités confondues. Heureusement que ses concurrents ne travaillent pas dans l’opacité la plus totale, telle Effia, filiale de la SNCF : « L’intégralité des 300 parkings gérés par Effia est équipée de bornes d’entrée et de sortie accessibles aux personnes handicapées à partir de leur véhicule, explique son directeur général, Fabrice Lepoutre. Cette situation reflète la volonté assumée d’Effia d’être parfaitement aux normes, qu’il s’agisse des normes en matière d’accessibilité ou de sécurité, et nous avons investi des sommes considérables pour être au rendez-vous de la loi PMR 2015. »
Mais pas de gratuité envisagée, d’autant que, poursuit Fabrice Lepoutre, « à l’occasion des contacts réguliers que nous avons avec les associations, notamment à travers la Fédération Nationale des Métiers du Stationnement, nous n’avons vraiment pas perçu cette demande comme étant prioritaire. A contrario, nous avons compris que la préoccupation des associations concerne avant tout la possibilité pour les personnes handicapées de pouvoir se garer dans de bonnes conditions, c’est-à-dire qu’il y ait des places disponibles et bien situées, et que le parc soit accessible facilement en entrée et en sortie. »
Chez le troisième grand groupe du secteur, Q-Park, 90% des 200 parkings sont « équipés de moyens de paiements par cartes en borne de sortie et garantissant aux personnes handicapées le confort nécessaire afin d’éviter qu’elles n’aient à sortir de leur voiture », précise sa directrice générale, Michèle Salvadoretti.
Comme son homologue d’Effia, elle évoque l’investissement que représente la mise en accessibilité restant à réaliser grâce aux Agendas d’Accessibilité Programmée, en omettant de se souvenir que la loi du 11 février 2005 offrait un délai de dix ans que sa société n’a pas respecté, comportement laxiste récompensé par l’actuel gouvernement qui accorde de larges délais supplémentaires. Toutefois, Michèle Salvadoretti soulève une difficulté particulière résultant de l’automatisation du contrôle d’accès : « La gratuité dans les parcs en ouvrage et sur la voirie pose le problème de l’identification des personnes handicapées par nos matériels (équipements de péage et de contrôle d’accès), et interdit les moyens automatiques de contrôle sur voirie basés sur la reconnaissance par les plaques numérologiques. Or, les PMR ayant droit à la carte de stationnement disposent d’une reconnaissance attachée à la personne et non à leur véhicule. Ce sujet rejoint donc celui de la falsification et de l’usurpation de droit. »
Risques de fraude
L’une des principales objections des dirigeants d’Effia et de Q-Park repose sur le risque d’explosion de la fraude à la carte de stationnement. « Nous constatons d’importants problèmes de falsification des cartes de stationnement, déplore Michèle Salvadoretti. La Fédération Nationale des Métiers du Stationnement a saisi récemment Madame Ségolène Neuville, secrétaire d’état chargée des Personnes handicapées, sur ce sujet qui concerne autant le stationnement sur voirie que les parcs de stationnement. Nous sommes évidemment en faveur d’avantages octroyés aux personnes handicapées afin qu’elles bénéficient d’une accessibilité facilitée, mais souhaitons éviter que certaines personnes mal intentionnées ne s’accaparent ces avantages de manière frauduleuse. »
Son homologue d’Effia redoute une « baisse très importante des recettes de voirie du fait de l’ampleur que pourrait prendre la fraude si des mesures efficaces de contrôle d’utilisation des cartes ne peuvent être mises en oeuvre. Par le jeu des vases communicants, la baisse des recettes entraînera une hausse de la fiscalité locale. […] La police ne cesse de constater des fraudes par des personnes valides utilisant à tort soit des cartes falsifiées soit des vraies cartes qui leur sont prêtées […] Un vaste contrôle lancé par la Préfecture de police de Paris [le 2 décembre 2014 NDLR] a montré que plus d’un tiers des voitures contrôlées ne respectaient pas la réglementation en vigueur. » Mais Fabrice Lepoutre semble exagérer quand il affirme : « Le taux de véhicules affichant un macaron PMR peut atteindre alors 20%, chiffre à mettre en perspective avec la proportion de places réservées aux PMR dans les parkings en ouvrage, qui est de 2%. Dans ces parkings, on constate que les places PMR ne sont en moyenne utilisées qu’à 30% environ, ramenant le besoin réel de places dédiées aux PMR à 0,6% environ. Il n’est pas question pour nous de remettre en cause ce taux de 2%, mais plutôt de constater qu’implicitement cela signifie que dans les villes pratiquant cette tolérance, il y a 30 fois plus de macarons qu’ailleurs ! » Une dérive qui reste à prouver, d’autant qu’Effia ne peut guère donner de leçons de civisme puisque cette société ne fait pas verbaliser les véhicules indument garés sur les emplacements réservés de ses parkings : « On n’a pas senti de problématique, déclarait Fabrice Lepoutre en 2011 lors d’une conférence de presse sur le salon Transports Publics. Quand il y a des abus, nos employés font de la pédagogie ». Son Président, Frédéric Baverez, confirmait alors : « On n’est pas rentré dans une approche répressive. »
La contrefaçon de la carte européenne de stationnement est facilitée par la simplicité du document qui ne contient, depuis sa création en France en 2001, aucun système de sécurité. Depuis 2003, les huit ministres ou secrétaires d’Etat successivement chargés des personnes handicapées ont assuré vouloir régler le problème sans que rien n’ait bougé. Dernière en date, Ségolène Neuville s’est bornée à supprimer la signature de la carte par son titulaire afin que toute la superficie du document soit plastifiée, ce qui n’empêche en rien de le contrefaire. Le 24 mars dernier, la secrétaire d’Etat informait Henri Jibrayel, député socialiste des Bouches-du-Rhône qui l’interrogeait sur le sujet, que le « ministère chargé des affaires sociales a ainsi conduit l’ensemble des travaux nécessaires (étude de faisabilité puis marché de développement) à la mise en production d’un système d’information dédié ‘GO. CARTES’, qui est actuellement en phase de test et pourra être déployé en 2015, en direction prioritairement des services déconcentrés chargés de la cohésion sociale, puis des MDPH qui seraient intéressées. Les sujets ayant trait à la potentielle falsification des cartes sont examinés dans ce cadre. »
Un chantier visiblement réalisé sans concertation avec les associations nationales de personnes handicapées : « Je n’ai pas d’information sur ce sujet à l’heure actuelle », indique Nicolas Mérille, Conseiller national Accessibilité et Conception universelle de l’Association des Paralysés de France. Le président de la Commission Accessibilité de la Confédération Française Pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), Thierry Jammes, confirme : « Je n’ai entendu parler de rien. »
Dans sa réponse au député, Ségolène Neuville ajoutait : « L’emploi de techniques d’impression particulières (fonds imprimé de guilloches entrelacées, inscriptions en encre à effet variable…) par l’imprimerie nationale doit permettre de lutter contre les risques de contrefaçon et de falsification. » Interrogée sur ce point, la porte-parole de cette vénérable institution qui fournit annuellement entre 250.000 et 300.000 cartes vierges, répond qu’il « est un peu trop tôt pour en parler. On discute sur le projet de sécurité. La sécurité, c’est l’ADN de l’Imprimerie Nationale ! » Sur ce dossier, son interlocuteur est la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS), qui n’a pas répondu à notre demande de précisions, pas plus que le cabinet de Ségolène Neuville…
Laurent Lejard, mai 2015.