Plus de 1,1 million de dollars, telle est la facture que doit régler depuis près de 7 ans Laura Nataf, depuis le refus de l’Assurance Maladie de couvrir une opération exceptionnelle qui n’était alors plus pratiquée en France : la greffe de deux bras, intervention dont la première s’est déroulée avec succès en janvier 2000… en France ! Comment cette jeune femme amputée à l’âge de 19 ans des quatre membres du fait d’un choc septique en est-elle arrivée là ?
« Après l’amputation en septembre 2007, je me suis accommodée du port de prothèses pendant un certain temps, jusqu’à ce que je voie en 2009 un reportage sur la greffe de bras, explique Laura Nataf. J’espérais pouvoir ainsi m’occuper de moi même à 100%, prendre ma douche seule, arriver à me coiffer, me maquiller. Ce qui m’handicapait alors, c’était le besoin d’aide au quotidien. A Paris, je vivais avec ma mère mais, quand elle partait, il fallait qu’un autre membre de la famille ou une infirmière ou du personnel prenne le relais. » Employer des aides humaines, c’est ce qui s’est produit après sa reprise d’études. Comme l’obligation de voyager ou prendre des vacances avec des personnes proches, entraînant une dépendance limitant fortement son autonomie ainsi qu’une intrusion répétée dans son intimité.
« Avec les prothèses, j’arrivais à conduire, à travailler, à m’occuper partiellement de moi, ajoute Laura Nataf. Mais c’était compliqué avec certains vêtements et chaussures. Je ne pouvais pas m’attacher les cheveux, couper des aliments. Tout ça je le fais avec les greffes. Et j’ai le toucher, quand on est une femme c’est important. » Cela, elle le doit à la double greffe de bras réalisée à l’hôpital universitaire Penn Medicine de Philadelphie aux USA. Mais pourquoi si loin alors que la première double greffe réussie a été réalisée en France, à Lyon, il y a tout juste 23 ans par le professeur Jean-Michel Dubernard ? « Au moment où elle a bénéficié de l’opération aux USA, Laura avait été retirée de la liste nationale de greffes, explique son avocate, Valérie Sellam Benisty. Elle y était inscrite depuis 2013 dans le cadre d’un processus supervisé par le professeur Laurent Lantieri, chirurgien spécialisé dans la greffe de visage et la reconstruction. Mais elle a été radiée arbitrairement en février 2016 par un courrier simple sans avis médical ni voie de recours et signature ! Le second verrou était l’inexistence d’un protocole de soins alors que le protocole de recherche n’était plus financé depuis 2014. Cela traduisait une double volonté de ne plus réaliser ce genre de greffe. » Ce n’est que récemment, le 13 janvier 2021, qu’une double greffe de membres supérieurs a été de nouveau effectuée.
En mai 2016, Laura Nataf a eu la chance que le professeur Lantieri lui propose de se faire greffer aux USA. Elle est donc entrée dans le protocole. Les hasards de la vie ont fait qu’un don d’organes compatibles lui a été proposé dès août 2016 : l’époux d’une femme accidentée en état de mort clinique acceptait le prélèvement des deux bras.
« Laura s’est lancée dans l’inconnu, complète Maître Sellam Benisty. Comment a-t-elle géré ? C’était une opération très exceptionnelle, une avancée importante mobilisant deux chirurgiens, Scott Levin et Laurent Lantieri. L’hôpital a accepté d’avancer les frais et de voir après. » Laura Nataf bénéficiait toutefois d’un garde-fou : la réglementation avait changé fin décembre 2015 afin de couvrir les frais de santé à l’étranger des personnes qui « ne peuvent recevoir en France les soins appropriés à leur état. » Sauf que l’Assurance Maladie a refusé de payer puisque Laura Nataf avait été retirée de la liste d’attente des candidats à la greffe d’organes.
Depuis, la procédure engagée par son avocate a conduit à la condamnation de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie à payer près des deux-tiers de la facture, soit 652.486,34€. Ce premier jugement du Tribunal Judiciaire de Paris, rendu le 12 juillet 2021, sera-t-il confirmé par la Cour d’Appel de Paris ? Maître Sellam Benisty a plaidé en ce sens le 5 janvier dernier et espère vivement sa confirmation le 10 mars prochain.
Cela comblerait Laura Nataf dans l’accomplissement de sa seconde vie avec sa fille née il y a dix mois : « Ce que je n’ai pas encore dit, c’était mon souhait d’avoir un enfant. Avec des prothèses, c’était problématique pour prendre un bébé dans les bras. Avec les greffes, je peux m’occuper du bébé totalement. Ma fille, je peux la toucher, tenir sa main, ce sont des sensations énormes. »
De quoi relativiser sa situation : « Je ne m’attendais pas au risque de payer un million de dollars. Pour moi, l’opération était réalisée aux USA avec une prise en charge par la Sécurité Sociale française. Sa Caisse nationale me semble une grosse machine froide, inhumaine, il semblait difficile de gagner contre elle. Je n’ai jamais eu affaire à un être humain, mais à un simple courrier sec, sans tentative de conciliation, de négociation. L’Agence Régionale de Santé et d’autres organismes voulaient m’arrêter dans mon rêve. » Laura, elle, continue de le vivre.
Laurent Lejard, janvier 2023.