Climat, un titre court pour un opéra créé les 8 et 11 mars 2023 à l’Opéra de Montpellier, sur un argument d’actualité : l’engagement citoyen pour la préservation climatique, sur fond de divergences entre générations. Écrit par Helen Eastman sur une musique de Russell Hepplewhite, l’oeuvre met aux prises Alice, cadre dans une entreprise polluante, et sa fille adolescente Juliette, militante pour la survie de la planète. L’ensemble interprété par les jeunes artistes d’Opéra Junior, formation créée en 1990 pour amener enfants et jeunes à l’art lyrique, et deux chansigneuses : Lisa Martin, Sourde, et Aurore Corominas, entendante, qui présentent leur travail sur cette oeuvre.
Question : Comment chansigne-t-on un opéra, plus particulièrement lorsque l’oeuvre est inconnue du public puisque Climat sera créée à Montpellier ?
Lisa Martin et Aurore Corominas : L’opéra est un style musical particulier, nous recherchons donc un style de chansigne particulier en agrandissant l’espace de signation, et en étirant la durée de certains signes par exemple. Le public sourd étant éloigné de l’univers de l’opéra, qu’il soit classique ou moderne, autant y entrer par une oeuvre contemporaine avec un sujet d’actualité qui nous concerne toutes et tous.
Question : Quelle est la part d’intégration du chansigne dans cette oeuvre, intégrale ou partielle ? Et comment interpréter à vous deux l’ensemble des protagonistes ?
Lisa Martin et Aurore Corominas : Dans l’opéra Climat, le metteur en scène Damien Robert a fait le choix de nous intégrer complètement au spectacle. Lisa prend en charge le rôle de Juliette, une adolescente, et tout l’univers de son lycée. Aurore prend en charge le rôle d’Alice, la mère de Juliette et tout l’univers de son bureau. Nous intervenons ensemble sur scène à chaque représentation. Nous travaillons une adaptation où nous interprétons Alice et Juliette en 2023 qui se souviennent des événements de l’année scolaire 2018-2019, quand des militants écologistes décrochaient les portraits du Président pour dénoncer son inaction face aux dérèglements climatiques. Nous devenons narratrices de cette histoire et dialoguons avec notre passé.
Question : Comment le chansigne peut-il contribuer à la perception de la musique, qui est une composante essentielle d’une oeuvre lyrique ?
Lisa Martin et Aurore Corominas : Nous essayons de rendre le tempo visible dans nos mouvements corporels. Pour le moment, nous n’avons pas encore répété avec l’orchestre. Des gilets vibrants seront disponibles pour le public intéressé. Les musiciens seront tout proches du public, visibles : peut-être que des vibrations passeront même sans gilet ! Cela dépend des matériaux, le bois est par exemple un bon conducteur.
Climat sera joué par une quarantaine de musiciens constituant un orchestre en formation classique, avec harpes et piano, sans percussions. Le budget chansigne sur cet opéra est d’environ 15.000€ : « Il inclut la préparation, les répétitions et cachets, précise Delphine Hamon, chargée de production et programmation chez Accès Culture. La création de ce projet artistique et esthétique nous stimule beaucoup. » Spécialisée dans l’accessibilité du spectacle vivant par audiodescription, sur-titrage ou interprétariat en Langue des Signes Française, cette association réalise ici une intégration dans le spectacle lui-même : « On travaille en lien avec l’opéra de Montpellier pour définir les contours de l’adaptation, les besoins et les envies à l’égard des chansigneuses que j’ai choisies en fonction des rôles mère-fille. Comme c’est une adaptation d’opéra, cela diffère de la simple traduction en LSF, par le chansigne qui fait passer le rythme. Le temps de travail est plus important, les chansigneuses doivent connaître le texte par coeur, sans pouvoir se caler au plateau. » Lors d’une représentation d’opéra, c’est en effet le chef d’orchestre qui, d’un geste, indique aux chanteurs le point de départ de leur intervention : en sera-t-il de même pour les chansigneuses ? Ce sera défini dans les derniers jours de répétitions sur scène et avec orchestre.
Comment le metteur en scène, Damien Robert, l’aborde-t-il ? « C’est la première fois que je travaille sur le chansigne, une incarnation décuplée sur le plateau par les mouvements des interprètes. De plus, le duo mère-fille interprété par des chanteuses va être interverti avec les chansigneuses. On questionne l’endroit de leur chansigne : est-ce qu’elles sont spectatrices, narratrices ou actrices ? » C’est donc sur une intégration totale, une fusion entre expression lyrique et gestuelle que travaille Damien Robert : « Une des deux interprètes est Sourde, j’essaie de donner de la souplesse et de trouver des façons de signer pour qu’elle interprète ce qui est chanté, ou commente un peu en retrait. Sans entrer dans un système mais en étant ludique. Et j’ai demandé à des chanteurs de signer, pour que les chansigneuses répondent. La langue des signes passe sur les visages, les mains, le phrasé. Ça porte les chanteurs, ça les tire dans une corporalité plus expressive. »
Cette création lyrique mêlant débat de société et inclusion sociale s’inscrit dans l’action au long cours de l’opéra montpelliérain. « On va chercher les publics empêchés, ou éloignés de la culture, qui ne viennent pas de manière spontanée pousser les portes de l’opéra, justifie Caroline Maby, responsable du service développement culturel. On agit avec des publics qui voient l’opéra comme réservé à une élite, alors que n’est plus ça. On les accompagne avec des ateliers, des actions de sensibilisation. » Dans cette ville universitaire, davantage de jeunes et d’étudiants assistent aux spectacles lyriques, sans références ni repères : « Ils prennent l’oeuvre telle qu’ils la voient et comprennent, avec moins d’a priori. Avec parfois un besoin de décryptage musical et livresque, pour des aspects difficiles à comprendre. » En direction des spectateurs handicapés, l’opéra conduit diverses actions : présentation de saison, audiodescription pour quatre des six opéras programmés cette saison, visites tactiles des décors et costumes, répétitions avec spatialisation de l’orchestre sur le plateau et immersion des visiteurs au coeur de cet orchestre.
En février 2019, le premier opéra du grand répertoire a été représenté avec deux interprètes LSF immergés dans le spectacle. « On a reçu une centaine de spectateurs Sourds pour Don Pasquale, poursuit Caroline Maby. On était plutôt heureux de cette première expérience. On voudrait davantage de ce public pour d’autres spectacles. Il fonctionne beaucoup par la vidéo, les réseaux sociaux et le carnet d’adresse. Pour inciter ces spectateurs, on propose des visites de l’opéra avec LSF, des ateliers de sensibilisation à la musique, pour faire venir ceux qu’un spectacle pourrait effrayer. » Parmi ces actions figure la mise à disposition de gilets vibrants qui font ressentir la musique par le corps, les sons étant captés par des micros disséminés dans l’orchestre. Rendez-vous donc à l’opéra de Montpellier pour en profiter !
Laurent Lejard, mars 2023.
Avec le soutien d‘Acceo-Tadeo