Amputée de la jambe gauche il y a trois ans après rechute d’un cancer, Sophie Teboul a reconstruit sa vie au moyen d’une prothèse de jambe comportant une articulation du genou et de la cheville. Elle explique le cheminement qui l’a conduite à se réconcilier avec son corps et retrouver sa pleine féminité.
Question : Quelle est l’expérience de vie qui vous a motivé à communiquer après cet accident de la vie ?
Sophie Teboul : J’ai été atteinte d’un ostéosarcome, un cancer des os, à l’âge de 23 ans, et donc 10 ans de lutte contre ce cancer : je l’ai eu quatre fois ! On m’a amputée de la jambe droite il y a trois ans. Effectivement, on peut considérer ça comme un accident de la vie, qui a été plutôt long, avec des passages très difficiles et, après les traitements et les chimios, l’amputation d’une jambe : il faut apprendre à se reconstruire.
Question : Vous auriez pu le faire par le sport comme Tiphaine Soldé ou Marie-Amélie Le Fur mais vous êtes passée par quelles étapes pour cette reconstruction ?
Sophie Teboul : Deux choses. Il y a d’abord eu ma rencontre avec Proteor. J’étais amputée depuis un an et demi, en pleine rééducation, j’avais repris mon travail et la vie me paraissait assez difficile. J’avais une prothèse de la Sécurité Sociale, je marchais très très mal, et mon orthoprothésiste m’avait demandé si j’avais envie d’essayer une nouvelle prothèse : « Pourquoi pas ? » Mais ce qui est embêtant avec une autre prothèse, c’est que si elle me plaît, après il faut que je puisse la garder sinon je préfère ne pas essayer… Je l’ai adorée tout de suite : je marchais très très bien avec, sans canne, et en plus elle permet de changer de chaussures, de porter des talons alors que j’avais jeté toutes mes petites robes et mes chaussures à talons. Pour les premiers essayages, on m’a demandé d’en retrouver, ce qui a été un grand plaisir pour moi, comme de réapprendre à m’habiller. Et comme Proteor cherchait quelqu’un pour porter cette prothèse et les accompagner dans des événements de promotion, voilà !
Question : Quelles sont les caractéristiques de la prothèse que vous portez ? Il existe déjà depuis pas mal d’années des prothèses électroniques avec articulation du genou et de la cheville…
Sophie Teboul : J’ai utilisé ce C-leg, un genou électronique remboursé par la Sécurité Sociale, et une lame de carbone qui me servait de pied, avec une esthétique de pied en plastique autour. En fait, une lame en carbone c’est une cheville fixe, comme si vous étiez bloqué dans des chaussures de ski à essayer de marcher avec toute la journée ! On a effectivement l’articulation du genou, qui est la plus importante, mais la cheville fixe empêche beaucoup de mouvements comme s’accroupir pour ramasser quelque chose par terre, s’asseoir sans se laisser tomber, descendre les escaliers sans avoir à se pencher en avant. La cheville permet une triple flexion, d’avoir les mouvements d’une jambe humaine.
Question : Donc une prothèse à double articulation…
Sophie Teboul : C’est ça. Genou et cheville qui fonctionnent ensemble, c’est la seule prothèse où le genou ne peut pas fonctionner sans la cheville, et vice-versa. Aujourd’hui, les concurrents commencent à sortir des chevilles et genoux électroniques qu’ils assemblent, mais ne fonctionnent pas ensemble : la cheville ne va pas nécessairement se plier en même temps que le genou et vice-versa.
Question : Quel est le procédé technique qui permet que les deux fonctionnent en synchronisation ou symbiose ?
Sophie Teboul : Ça vient tout simplement d’une très vieille prothèse mécanique hydraulique qu’avait Proteor. Mécaniquement, le genou faisait en sorte que la pointe du pied se relève à chaque pas. A cette structure a été ajoutée de l’électronique au niveau des deux articulations.
Question : Une prothèse, c’est un tube, de la structure, une articulation électronique mais ce n’est pas de l’os, de la chair ni de la peau. Comment l’habillez-vous… ou pas ?
Sophie Teboul : Je l’habille avec des strass, des paillettes, du rose, de la laque. Je ne la recouvre pas. Jusqu’à maintenant beaucoup de personnes recouvraient la prothèse d’une mousse esthétique de couleur chair, avec un collant couleur chair. Je ne le fais pas parce que la prothèse en elle-même a déjà une une forme qui ressemble pas mal à ma jambe valide, mais on voit bien que c’est une prothèse. Et surtout je veux garder tous les mouvements de cette prothèse ; si je rajoute de l’esthétique autour, ça va me bloquer un peu au niveau du genou et de la cheville, alors que je veux un maximum de mouvement.
Question : Vous avez retrouvé une marche naturelle comme comme n’importe quelle femme, où un oeil attentif va voir qu’il y a quelque chose ?
Sophie Teboul : Non bien sûr, je suis quand même amputée fémorale. Je marche très bien mais je boite. Ma jambe coupée n’a pas de muscles, elle est placée dans une emboîture qui me tient comme elle peut et je n’ai que la hanche, en fait, pour activer ma prothèse. Je marche vraiment très bien pour une amputée fémorale, néanmoins je ne peux pas dire que je marche aussi bien qu’un être humain.
Question : Quel est votre périmètre de marche; vous l’avez évalué ?
Sophie Teboul : Non, pas du tout. Je ne fais pas attention en fait; je marche autant que je veux au quotidien. Si je fais une randonnée, je vais pousser un peu mes limites, ça va quand même me fatiguer. Lorsqu’on est handicapé et qu’on veut faire une activité sportive, c’est toujours compliqué, il y a rien de facile et du coup on est obligé de repousser ses limites.
Question : Comment retrouve-t-on sa féminité après une amputation et un appareillage de ce genre ?
Sophie Teboul : C’est évidemment très compliqué, je suis passée par plusieurs stades. Très peu de femmes arrivent à retrouver leur féminité. Moi, comme je l’ai expliqué, le fait d’avoir une belle prothèse sur laquelle beaucoup de personnes ont travaillé, l’ingénieur qui me l’a mise me disant « Sophie, si on te la laisse il faut que tu sois fière de la porter », ça m’a obligé à me montrer, à la mettre en valeur et en le faisant, je me suis efforcée de me mettre en valeur. Ça fait partie de la récupération de l’estime de soi. Le fait d’avoir participé à des événements promotionnels avec Proteor m’a obligée d’aller chez le coiffeur, porter de nouveau des jolies robes, et donc tout ça fait partie de l’estime de soi. Je devais en passer par là pour pouvoir ensuite m’accepter et reconstruire quelque chose avec quelqu’un, par exemple. Évidemment, on a le corps meurtri, et surtout pour une femme, c’est très compliqué d’accepter de se montrer.
Question : C’est votre propre rapport au corps, ou le regard des autres sur votre corps ?
Sophie Teboul : Ce sont les deux. En fait, ça a été surtout le regard des autres. Mon ex-mari, par exemple, avait un très mauvais regard sur moi. Jusqu’au jour où vous vous rendez compte que pas tout le monde va vous regarder comme ça. Quand on récupère l’estime de soi, on fait abstraction des mauvais regards, il y en aura toujours de toute façon. Il faut du temps pour ça, jusqu’au jour où l’on rencontre quelqu’un qui va nous regarder différemment…
Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2023.