Sylvie Caruso entame son deuxième mandat au conseil municipal de Montigny-les-Metz, troisième ville de Moselle en nombre d’habitants, toujours dans la même équipe, celle du maire centriste UDI Jean-Luc Bohl élu en 2001 et deux fois réélu depuis. « Personnellement, je ne suis pas engagée politiquement, je n’ai pas d’étiquette, explique-t-elle. Je pense qu’il y a des choses à prendre dans tous les partis, je l’avais dit au maire, je ne veux pas m’impliquer dans la politique politicienne. Il me connaissait par le réseau associatif, où je représentais des personnes non et malvoyantes, il m’a sollicité pour mon engagement associatif. » Sylvie Caruso est aveugle depuis la fin de l’adolescence, à cause de la maladie de Stargardt qui a détruit sa vision dès ses neuf ans, une maladie encore sans thérapie mais elle veut garder l’espoir : « J’ai 54 ans et demi. Je n’ai pas pu voir mes enfants, j’espère voir mes petits-enfants… »
Elle travaille depuis 35 ans à Gaz de France, devenu GDF Suez : « L’entreprise m’a proposé de nombreuses solutions à tester, beaucoup de monde s’occupe de moi. J’y suis entrée par la petite porte parce que mon père travaillait comme contremaître dans une centrale thermique. Notre famille est originaire de Normandie, mon père était officier militaire, on a quitté cette région pour s’installer en Lorraine où il y avait davantage d’opportunités pour des non-voyants. » L’une des soeurs de Sylvie Caruso a en effet été touchée par la même maladie : « À l’époque, il y avait davantage d’opportunités en Lorraine du fait de la proximité de la Belgique, du Luxembourg et de l’Allemagne. C’est une richesse pour nous. Et les frontaliers se sont donnés la peine, l’Allemagne est très forte en matière d’aménagement de la voirie. »
A Montigny-les-Metz, elle agit en faveur des personnes handicapées, et se désole de la nouvelle législation sur l’accessibilité qui repousse les échéances et allège les normes : « La loi de 2015 venait au bout de 40 ans après la loi d’orientation, et maintenant on va encore faire des dérogations parce que ces gens [exploitants ou propriétaires d’Etablissements Recevant du Public NDLR] n’ont pas eu le temps de faire des adaptations, alors ils appellent tout de suite pour obtenir leurs dérogations ! On se moque de nous, les personnes handicapées, il faut rester zen… Je constate un véritable recul : on avance de cinq pas, on recule de dix. Et surtout, on ne sait pas travailler en symbiose, ce que je constate dans mon travail à GDF : on trouve le moyen de ne pas synchroniser des travaux sur les réseaux, mais de les faire se succéder. Dans le handicap, c’est pareil : on est des personnes très différentes, j’assiste à longueur de temps à des réunions, les Architectes des Bâtiments de France ont toujours des circonstances atténuantes et on entend que ce n’est pas possible. Que de temps perdu ! Mais je reste convaincue qu’il ne faut pas lâcher. »
Une situation qu’elle vit au quotidien dans l’agglomération messine: « On a travaillé pendant des années pour que la ligne de bus en site propre Mettis soit inaugurée en octobre 2013, mais en oubliant l’accès des personnes à mobilité réduite! Des places ont été refaites avec beaucoup d’erreurs, les non-voyants et les malvoyants en pleurent, on entend bien l’annonce sonore dans les véhicules, mais sur les places, on ne sait plus où on est, on ne peut pas s’orienter. »
Ce nouveau réseau, qui remplace le projet de tramway défendu par l’équipe municipale battue à Metz lors des élections de 2008, fait actuellement l’objet de travaux de mise en accessibilité, alors que la ville dispose depuis plus de vingt ans d’un service ad hoc. Une situation que ne peut accepter Sylvie Caruso, qui ne rencontre aucune difficulté quand elle vient à Paris par le train: « Notre association a aménagé la Gare de l’Est jusqu’à la sortie, avec guidage podo-tactile, bornes sonores, marquage braille des rambardes d’escalier. On communique sur un réseau d’associations pour faire connaître les nouveautés. La gare de Metz est aménagée depuis un an avec guidage podo-tactile et bornes sonores. Il a fallu s’accrocher pour que cela fonctionne. »
Des soucis qu’elle ne rencontre pas dans la piscine où elle anime des cours de natation depuis l’âge de 18 ans : « J’ai appris à travailler avec des enfants, au moyen de jeux, et aussi appris à nager à des adultes. » Elle travaille en touchant le corps, pour guider le geste de l’apprenti nageur, comprendre comment il fait le mouvement pour le corriger au besoin. Et reste très fière que son père lui ait appris toutes les nages. Maintenant, elle veut aider des adultes entre 30 et 60 ans, qui veulent savoir nager mais qui ont peur de l’eau. « C’est une certaine confiance que les parents m’ont donnée il y a 30 ans. On peut apprendre à nager rien qu’en écoutant la voix. Et des maîtres nageurs ont pris exemple sur moi. Le handicap se surmonte, et tout est possible quand on a la volonté. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2014.