Le prochain Maire de Paris sera une femme, c’est actuellement la seule certitude que l’on puisse avoir à quelques semaines des élections municipales des 23 et 30 mars 2014. Tête de liste d’union des partis de la droite et du centre (UMP, UDI, Modem), Nathalie Kosciusko-Morizet, connue en France sous l’acronyme NKM, a accepté de répondre directement à quelques questions essentielles, dans une interview filmée dont vous lirez ci-après la transcription intégrale. Pour sa part, malgré une réponse positive le 13 février dernier et de multiples relances, Anne Hidalgo, tête de liste des partis de gauche (PS, PCF, PRG) a malheureusement préféré s’abstenir de répondre aux mêmes questions…
Question : Les personnes à mobilité réduite espéraient une France accessible en 2015, mais le Gouvernement travaille sur un report de six à neuf ans de cette échéance. Comptez-vous utiliser ce délai supplémentaire ou rester sur l’échéance 2015 pour les bâtiments appartenant à la ville de Paris, et avec quelles dispositions ou dérogations ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je souhaite que la ville de Paris soit exemplaire pour ce qui concerne ses propres bâtiments en matière d’accessibilité. Du retard a été pris, il faut voir dans quelle mesure on peut le rattraper, mais je souhaite dans la mesure du possible que l’échéance que nous avions fixée dans la loi de 2005 soit respectée pour les bâtiments de la ville de Paris. Pour moi c’est important, en matière d’accessibilité comme sur d’autres sujets, que la ville de Paris montre l’exemple, sinon comment peut-elle prétendre entrainer les différents acteurs si elle-même, pour ce qui la concerne, n’a pas un temps d’avance ? Je le dis avec d’autant plus de gravité que la ville, dans son ensemble, est en situation d’avoir plutôt aujourd’hui un temps de retard. On l’a vu avec le classement de l’accessibilité de l’APF, Paris a encore été dégradée récemment, sa note est inférieure à la moyenne nationale, alors que Paris devrait plutôt être à la tête, à la pointe, elle ne montre pas l’exemple sur ce sujet.
Question : En tant qu’Autorité Organisatrice de Transports, le Syndicat des Transports d’Ile-de-France a validé la décision de la RATP de maintenir inaccessible le métro parisien. Même si le Maire de Paris n’est pas en charge des transports, les contribuables parisiens (y compris handicapés) les financent. Comment agirez-vous pour que Paris ne soit pas la seule capitale au monde à interdire son métro aux personnes à mobilité réduite ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : En matière d’accessibilité, pour ce qui est des bâtiments publics, ma priorité ira sur les établissements scolaires, les écoles, les collèges, les lycées, parce qu’aujourd’hui les difficultés à se former quand on est une personne handicapée entrainent des retards, des difficultés pour la suite de la vie. On a par exemple une proportion de personnes handicapées qui n’a pas pu aller au maximum de ce qu’elles pouvaient, de ce qu’elles souhaitaient en matière de formation, du fait des difficultés d’accessibilité, et derrière évidemment ce sont des problèmes d’accès à la vie professionnelle. En matière de transport, oui je veux, je souhaite que le métro progressivement devienne accessible. Ce serait une folie de dire que du jour au lendemain on va rendre tout le métro accessible parce que le métro parisien est ancien et c’est loin d’être simple. Mais aujourd’hui, on est très très loin du compte, il n’y a que 9 stations accessibles sur 303 et en plus, ces 9 stations sont celles d’une ligne, la 14. En fait, si on ne va pas de l’est à l’ouest, on ne peut aller nulle part quand on a un problème d’accès dans le métro. Je souhaite que l’on puisse avoir la démarche qui a été celle des Anglais au moment des Jeux Olympiques de Londres : ils ont choisi des stations prioritaires, très fréquentées, ils y ont travaillé en priorité l’accessibilité totale dans la mesure du possible, avec parfois une accessibilité partielle. Ils ont procédé comme cela, avec en quelque sorte plusieurs cercles concentriques, accessibilité premier niveau prioritaire, accessibilité deuxième niveau, etc. Si on regarde l’ampleur du problème, on se dit « c’est tellement d’investissements », c’est ce qu’a fait la municipalité sortante, c’est ce que font dans une certaine mesure la RATP et le STIF [Syndicat des transports d’Île-de-France NDLR]. Moi je ne veux pas renoncer, et pour ne pas renoncer je veux qu’on se fixe des priorités avec une première série, une deuxième série et tout cela en fonction de la fréquentation, du caractère nodal, central de certaines stations.
Question : Paris est aussi un département où il faut actuellement un an pour obtenir de la Maison Départementale des Personnes Handicapées une décision de Prestation de Compensation du Handicap, soit le triple du délai légal. Comment comptez-vous améliorer le service que doit rendre la MDPH aux Parisiens handicapés ?
Nathalie Kosciusko-Morizet: Tout le travail sur le programme en matière de handicap, je l’ai fait avec Frédéric Bouscarle, qui est par ailleurs candidat sur une liste, et avec des personnes qui étaient en situation de handicap, ou qui accompagnaient des personnes en situation de handicap pour avoir une vision diversifiée en fonction des handicaps et des expériences réelles. En ce qui concerne la MDPH, ce que j’ai retenu, ce qui revient le plus fréquemment c’est d’abord une vraie insatisfaction sur le délai, le délai légal de quatre mois n’est quasiment jamais respecté, on est très au-delà du délai. J’ajoute aussi une vraie insatisfaction sur la qualité du contact. Je ne mets pas en cause le personnel de la MDPH dont je pense qu’ils font leur maximum, mais il y a tellement de travail au regard des personnels, des capacités, qu’il y a une vraie déception de la part des personnes handicapées qui ont le sentiment bien souvent d’être confrontées à une société qui est hostile ou inadaptée, qui au moment de se tourner vers la MDPH attendent une attention particulière et sont en droit de se dire que c’est le lieu où il va y avoir un écho à leurs préoccupations, où il y a un lien particulier qui va pouvoir se nouer et en fait la relation avec la MDPH est très décevante pour beaucoup d’entre elles.
Je souhaite que l’on réinvestisse dans la MDPH pour pouvoir tout simplement tenir le délai légal. Ça nécessite de l’argent, c’est vrai, mais je pense que c’est une priorité et qu’il y a aujourd’hui beaucoup de gâchis à l’intérieur de la municipalité auquel on peut mettre fin pour pouvoir mieux réinvestir cet argent et par exemple sur la MDPH. Je vous donne un exemple : il y aujourd’hui 36 adjoints au maire à la Ville de Paris, c’est 16 de trop pour moi, j’ai dit qu’il en faut 20 au maximum. 36 adjoints au maire, c’est beaucoup d’argent perdu, le cabinet d’un adjoint au maire c’est en moyenne 500.000€ par an, une multiplication de conseillers pour pouvoir traiter les uns et les autres, et les différentes sensibilités politiques. 16 adjoints au maire en moins, c’est 8 millions d’euros d’économies par an, cet argent sera mieux utilisé en réinvestissant sur la MDPH.
Question : Paris compte environ 200.000 personnes handicapées, et deux d’entre elles seulement sont en position éligible au prochain Conseil de Paris, sur votre liste du 10e arrondissement et celle de la gauche dans le 20e. A qui la faute ? A la faible visibilité des personnes handicapées, à leur carence d’engagement citoyen, ou au mode de fonctionnement des partis politiques ? Quelles seraient vos solutions ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je souhaite beaucoup, et je le dis ici, que Frédéric Bouscarle puisse être élu dans le 10e. Je le souhaite à la fois pour ce qu’il représente, pour le travail qu’il réalise auprès de moi et pour le talent, l’effort qui lui est particulier. Frédéric Bouscarle est quelqu’un qui, à l’intérieur de l’équipe de campagne, réussit à impressionner tout le monde à la fois par le travail qu’il fournit et par la manière dont il réussit tout en assumant son handicap, à le dépassant en quelque sorte. Sur la question de la présence des personnes handicapées sur les listes, vous parlez des postes de Conseillers de Paris, il y a évidemment beaucoup plus de personnes handicapées, par exemple dans le 14e arrondissement il y a quelqu’un qui est à la limite d’éligibilité, donc la première personne qui monte au Conseil de Paris. Il y a donc plus de personnes handicapées sur les listes. Est-ce que cette proportion, ce nombre de postes potentiels de conseillers de Paris représente la réalité de la société ? N on, à l’évidence. C’est un problème des partis politiques. Je suis plutôt honorée d’être dans une famille politique qui a porté les grandes lois en matière de handicap, qui fait des efforts sur ce sujet. Est-ce que les efforts sont suffisants ? Non ! C’est une longue route, vous avez évoqué les raisons pour lesquelles la route était longue : le monde de la politique est tellement concurrentiel, en fait, il faut y faire sa place, il faut se battre dès qu’on est porteur d’une forme des différences. Moi-même, j’ai plusieurs différences : je suis ingénieur et il n’y a quasiment aucun scientifique, je suis une femme et il n’y en a pas assez, dès qu’on est porteur d’une forme de différence, c’est vrai qu’on est dans un monde de cooptation dans lequel c’est dur. Moi, ça fait partie de mes batailles
Question : La prochaine mandature débutera avec la mise en place de la métropole de Paris, conformément à la loi adoptée en janvier. Le Gouvernement envisage d’y fusionner les départements de Petite Couronne, ce qui créerait une collectivité unique administrant près de 7 millions d’habitants dont au moins 700.000 handicapés. Comment imaginez-vous la métropole de Paris, et appréciez-vous le projet de recréation du département de la Seine ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je suis favorable au Grand Paris, je milite pour le Grand Paris. Paris c’est aujourd’hui 2.300.000 habitants, c’est trop peu pour se battre avec les grandes métropoles. J’ai d’ailleurs été une militante précoce du Grand Paris puisque par exemple je me suis occupée comme ministre des transports du Grand Paris express. Mais la manière dont le Gouvernement actuel est en train de dévoyer le projet du Grand Paris, ça non ! On va perdre sur tous les tableaux. Leur vision, ce n’est pas un Grand Paris des solutions en matière de transports, de logement, et d’ailleurs les transports et le logement, qui devraient être rapprochés dans la même entité ne le sont pas, restent séparés, le transport à la Région, le logement au Grand Paris. Le Grand Paris qu’ils font, c’est un Grand Paris de la dette, un Grand Paris des impôts. Ça va être beaucoup plus d’impôts pour les Parisiens, 35% d’augmentation de la cotisation foncière des entreprises en plus, 20% d’augmentation de la taxe d’habitation en plus, ça va coûter très cher, une couche administrative en plus, des fonctionnaires en plus, des impôts en plus, avec un risque en plus de perte de proximité. Comment cela va se passer avec les MDPH ? On a déjà un problème à Paris, on ne répond pas dans les délais, on a un problème de qualité de la relation, on a beaucoup de déficit, en fait, en terme de proximité, au regard de ce qu’on souhaite. Moi, j’appelle de mes voeux le Grand Paris de l’attractivité, des investissements, c’était le sens du Grand Paris express, un grand réseau de transport moderne donc accessible, et le gouvernement est en train de remplacer ça par le Grand Paris d’une nouvelle couche administrative, des impôts, de la dette et de la perte de proximité, c’est exactement le contraire de ce que l’on voulait.
Question : Pour vous, quel est le devenir des personnes handicapées ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Pour moi, la modernité c’est une ville, une société qui fait la place à chacun, et qui sait reconnaître dans chacun à la fois son semblable et lui-même. C’est-à-dire qu’on est tous à un moment ou à un autre de notre vie, en fait, dans une situation de handicap ou de difficulté d’accessibilité. On a tous à un moment ou à un autre de notre vie une poussette, des paquets à porter, des enfants, une difficulté à marcher, un accident qui nous rend de manière temporaire ou permanente invalide, un parent qui est passé à travers un malheur de la vie et dont le statut à cet égard a changé. Le handicap, ce n’est pas le problème des uns contre le problème des autres. Le handicap, c’est le sujet de tout le monde et aujourd’hui notre société est encore très loin d’avoir accepté de le prendre comme ça. C’était le sens de la loi de 2005 en fait, une société qui reconnaît que la place qu’elle fait aux personnes handicapées est le reflet d’elle-même, de ce qu’elle est, et je trouve que le Gouvernement remet en cause cette philosophie avec une très grande légèreté.
Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2014.
Post scriptum : L’équipe de campagne d’Anne Hidalgo a finalement adressé, après le bouclage et la publication du magazine Yanous.com du vendredi 7 février 2014, les réponses aux mêmes questions posées à Nathalie Kosciusko-Morizet. Suivez ce lien pour télécharger le document :