Créés à la va-vite en octobre 2018 sous une forme incomplète, les deux centres-relais des conversations téléphoniques pour les personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles ou aphasiques ne remplissent pas les objectifs fixés. Ils sont utilisés par 0,8% du public concerné, ignorent le téléphone fixe en recourant uniquement à des applis mobiles, et les temps d’attente en Langue des Signes Française sont élevés. Parallèlement, une faible partie des services publics ou commerciaux privés assujettis à la même obligation d’accessibilité téléphonique de ces publics a organisé un tel service, en interne (rarement) ou en recourant à des sociétés spécialisées regroupées au sein de la Fédération Française de l’Accessibilité (FFA) pour défendre leur profession. Celle-ci est en effet menacée par une proposition de réforme présentée en février 2022, créant un service public financé par l’impôt et exemptant les opérateurs téléphoniques de l’obligation d’accessibilité incluse dans le service universel qu’ils doivent aux usagers-clients. Tout cela alors que la France manque d’interprètes diplômés français/LSF. « Nous sommes le 29e pays européen en nombre d’interprètes par habitants, derrière l’Ukraine, et nous disposons de 5 fois moins d’interprètes par habitants que les USA », déplore la FFA. Qu’en pense la FNSF ?
Question : Les deux centres-relais sur appli mobile RogerVoice et Free-Deafi sont utilisés par moins de 1% des publics concernés, et leur réforme est envisagée. Quel constat la FNSF dresse-t-elle des quatre ans et demi de service de ces centres-relais ?
FNSF : La grande majorité des appels passées via les centres-relais téléphoniques est en Langue des Signes. L’ accessibilité téléphonique a donc pu se mettre en place et se développer grâce aux personnes sourdes signantes. En effet, elles ont été les premières à exprimer ce besoin dans les années 2000 pour une meilleure inclusion dans la société. La FNSF était présente dès le début, pour soutenir cette revendication, et est restée extrêmement mobilisée sur ce dossier. Après plus de deux décennies de mobilisation, la Fédération était très ravie d’avoir vu le projet se concrétiser avec la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique et le déploiement du centre relais téléphonique en octobre 2018. Après plusieurs années de service, la FNSF constate de multiples dysfonctionnements et limites du dispositif actuel : une complexité du dispositif avec plusieurs parcours d’appel différents, trop orientés aux opérateurs pour les appels privés, les services publics, les services clients, etc., et un temps d’attente très long pour les appels privés [via RogerVoice et Free-Deafi] qui sont très au-delà des 80% de temps d’attente de moins de 30 secondes prévus par la loi.
Question : Quelles solutions proposez-vous ?
FNSF : La refondation, et surtout la simplification du système d’accessibilité téléphonique est plus que nécessaire. C’est pourquoi la FNSF a soutenu le rapport de la mission de préfiguration d’une solution universelle de février 2022 qui donnait des pistes d’amélioration des services. La Fédération se réjouit qu’une réforme du dispositif soit aujourd’hui envisagée par le Gouvernement. La simplification du dispositif en passant à un seul parcours pour l’utilisateur sourd nous permettra un vrai gain de temps et aussi d’être, en termes d’égalité avec les entendants, sans contrainte. Néanmoins la FNSF s’inquiète de ne toujours pas voir d’actions concrètes se mettre en place, particulièrement sur le plan métier des interprètes LSF/français. La mise en place du plan métier, c’est le point névralgique du dispositif. Pas d’interprète, pas d’accessibilité. Actuellement, il n’est pas possible de diminuer les temps d’attente des appels, d’étendre le service au-delà de 3 heures d’appel par mois et d’appeler hors des horaires définis à cause de l’insuffisance de ressources humaines, les interprètes. La FNSF s’est associée à l’Association Française des Interprètes et traducteurs en Langue des Signes (AFILS) et les 5 universités délivrant le diplôme d’interprète français/LSF pour rédiger une lettre ouverte afin de rappeler la nécessité de mettre en place rapidement un plan métiers et d’attirer l’attention sur le maintien du niveau de formation des interprètes français/LSF.
Question : Former un tel interprète prend 5 ans après le baccalauréat, et ces professionnels se plaignent régulièrement d’être mal payés et considérés. Que proposez-vous pour améliorer rapidement cette situation ?
FNSF : Le métier d’interprète de langues – peu importe la langue – nécessite le niveau Master. Notre Fédération maintient que cela soit également le cas pour les interprètes LSF/français. Pour rappel, la Langue des Signes Française est une langue à part entière. La profession d’interprète LSF mérite une pleine considération à tous les égards et la FNSF soutient les revendications de l’Association Française des Interprètes et traducteurs en Langue des Signes. Par contre, l’abaissement du niveau de diplôme des interprètes au niveau licence, proposé par certains, ne résoudra pas cette problématique, voire dégradera encore plus la situation. C’est pourquoi nous recommandons plutôt de revoir le modèle économique autour de la Langue des Signes Française dans son intégralité avec toutes les parties prenantes, dont l’AFILS, et de définir ensemble un cadre clair et consensuel. A titre d’exemple, les formateurs en LSF ne sont également pas payés à leur juste valeur. En comparant avec les interprètes français/anglais, il existe plus d’une vingtaine d’universités proposant une formation diplômante contre cinq en français/LSF. Cela est possible parce que l’anglais est une langue largement enseignée dans l’éducation nationale et mise en avant en France. Pour un plan métier efficace des interprètes français/LSF, nous invitons le Gouvernement à mettre de vrais moyens pour permettre un accroissement rapide et de qualité de l’interprétariat. La FNSF est prête à apporter des propositions concrètes et à plancher sur sa mise en oeuvre.
Propos recueillis par courriel, avril 2023.
Avec le soutien d‘Acceo-Tadeo