Une fois de plus, la ministre déléguée aux personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère lors d’une interview au quotidien Le Monde publiée le 3 janvier : « J’ai découvert en mars 2013 les ‘boîtes à Français’, et combien elles étaient mal contrôlées, en visitant avec mon homologue wallonne des établissements proposant des modes d’accompagnement des enfants autistes encore rares en France. On m’a alors parlé du développement d’établissements créés par des associations privées à but lucratif pour accueillir des personnes handicapées mentales françaises, parce que les prix de journée français, notamment ceux payés par les conseils généraux, sont supérieurs aux prix payés par la Wallonie pour les handicapés belges. » La suite du propos ministériel s’ingéniait à dissimuler l’inacceptable pourtant accepté : l’abandon par les pouvoirs publics français de milliers de jeunes et adultes handicapés mentaux, laissés dans leurs familles sans solution de prise en charge éducative et sociale. Quelques parents résidant dans la région Nord Pas-de-Calais, sinistrée dans les années 1990 et 2000 en terme de places en établissements médico-sociaux par rapport aux besoins, ont trouvé un accueil pour leurs enfants dans des établissements belges.
Le fait est avéré, ce sont les carences françaises qui ont créé le business wallon de l’accueil des français handicapés mentaux laissés sans solution. Et qui resteront exilés en Wallonie encore longtemps, le Gouvernement français n’ayant pas élaboré de plan de retour. Ce qu’explique ainsi Richard Vandenhoven, président d’une association d’aide aux handicapés mentaux à Tournai, répondant à la RTBF : « Le regard de la personne handicapée mentale embête beaucoup le Français moyen. Quand on voit les grosses structures françaises au niveau de l’handicap mental, elles sont en général au milieu des bois » ! Sur cet aspect, le quotidien belge L’Avenir renvoie Marie-Arlette Carlotti à ses responsabilités : « D’aucuns pourraient dire que la ministre française est un peu gonflée; la situation actuelle étant aussi et surtout la conséquence d’un manque de structures d’accueil de l’autre côté de la frontière et du laxisme observé en ce domaine depuis des années dans l’Hexagone […] Depuis 2000, pas moins de 140 institutions se sont implantées en Belgique, en zone frontalière […] Les subventions accordées par les autorités de l’Hexagone étant plus importantes que celles auxquelles peuvent prétendre les centres hébergeant des handicapés du Plat pays. »
Sur ce dernier point, toujours dans L’Avenir, la ministre wallonne de la Santé, de l’Égalité des chances et de l’Action Sociale, Éliane Tillieux, veut relativiser : « Il est difficile de comparer les prix. Le financement français est un prix pour la journée. Le subside journalier est versé si le bénéficiaire est effectivement présent dans l’institution. Il ne l’est donc pas quand celui-ci retourne dans sa famille le week-end ou durant les vacances. Le subside de l’AWIPH [Agence Wallonne pour l’Intégration des Personnes Handicapées, versé aux établissements wallons accueillant des Wallons] est quant à lui un forfait annuel. Il faut aussi tenir compte du fait que les structures agréées et subventionnées par l’AWIPH ont généralement obtenu des subsides pour la construction ou la rénovation de leurs infrastructures. » Ce qui est également le cas en France.
La prise en charge des exilés français serait-elle mauvaise en Belgique, comme le laisse entendre Marie-Arlette Carlotti ? « Il n’y a pas de recette, estime Richard Vandenhoven au micro de la RTBF. On connait des maisons françaises qui ont ouvert en Belgique et qui font du très bon travail en comparaison de certains services conventionnés belges. Et puis d’autres qui font du travail de merde, comme certains qui cherchent le profit. » L’accord de coopération signé le 11 décembre 2011 entre les ministres wallonne et française définit le contrôle des établissements wallons accueillant des exilés français, et vise à garantir une qualité de service. Il a été ratifié par le Parlement wallon en avril 2013 seulement, et sept mois plus tard par le Parlement français. Et depuis ? « Chaque partie signataire doit notifier à l’autre l’accomplissement des formalités internes nécessaires à l’entrée en vigueur de l’accord, rappelle L’Avenir. Éliane Tillieux vient d’adresser un courrier en ce sens au Ministère français des affaires étrangères. Le Gouvernement Wallon attend la réponse… »
Laurent Lejard, janvier 2014.