La malentendance est l’un de ces handicaps invisibles dont on parle beaucoup mais en faveur desquels peu de réalisations pratiques sont mises en oeuvre au quotidien puisque la population n’est pas éduquée à communiquer avec des personnes malentendantes, engendrant des situations pénibles constatées par Jean-Pierre Montaufier, créateur de l’Oreille blanche. « Mon épouse, Marielle, est malentendante appareillée, elle n’entend rien sans ses prothèses auditives. Les gens les comparent aux lunettes, il faut leur expliquer que ce n’est pas le cas. Elle peut entendre les conversations, mais pas dans le bruit, et ne peut aller ni au cinéma ni au théâtre. » La faute à l’absence de cinéma équipé de boucles à induction magnétique, à La Rochelle (Charente-Maritime), près du village où ils vivent, alors que Marielle peut utiliser son téléphone et écouter la télévision. « Quand vous voyez le handicap, vous pensez compensation. Mais quand il est invisible, on ne voit pas la souffrance des personnes qui le vivent. Moralement, c’est dur. »
C’est grâce aux postiers que Jean-Pierre Montaufier a eu l’idée de créer un signe distinctif devant permettre d’identifier une personne malentendante pour s’adresser à elle de manière intelligible : en la regardant, sans hurler, en parlant distinctement avec un débit normal. « Quand Marielle allait à la poste, elle ne recueillait au guichet qu’une partie de l’information. Un jour elle m’a dit : « un aveugle avec une canne blanche, tu vas l’aider à traverser la rue ! » Alors j’ai pensé à créer le symbole visible d’une oreille blanche à épingler sur le vêtement, et ça a été extraordinaire parce que les malentendants auxquels je l’ai présenté m’ont dit « c’est génial ! » Mais je leur ai répondu que si les entendants ne la connaissaient pas, ça ne servirait à rien. »
Jean-Pierre Montaufier s’est lancé dans de multiples actions d’information des ministres, parlementaires, personnalités, décideurs, jusqu’à déchanter : « J’ai perdu du temps, bossé comme un malade pour faire connaître cette Oreille blanche, mais comme c’est un handicap invisible, tout le mode s’en fout à l’exception de Charles Aznavour, Michel Cymes et Michel Drucker. » Si ces personnalités médiatiques ont soutenu l’Oreille blanche, cela n’a pas suffi : 14.500 pins Oreille blanche ont été vendus depuis 8 ans, alors que les personnes malentendantes sont estimées à plus de 5 millions.
« J'ai fait des conférences un peu partout, je suis étonné que ça ne prenne pas en France. Il faudrait passer de la publicité, mais on n'a pas d'argent pour cela. J'ai envoyé des Oreilles blanches gratuitement, c'était peut-être une erreur. Je commence à être très âgé et je cherche une entreprise qui reprendrait l'idée avec des moyens et de la publicité. »
Jean-Pierre Montaufier s’est heurté à plusieurs obstacles de taille : « Il y a eu très peu de retombées des associations de personnes malentendantes. Dans le milieu, on m’a dit : « fais gaffe, elles ne s’entendent pas entre elles ! » Le Sourd profond déteste mon oreille ! C’est pareil avec les audioprothésistes, l’Oreille blanche étant lancée alors qu’Afflelou communiquait sur les prothèses auditives invisibles. On dirait que la malentendance est honteuse. » C’est d’ailleurs ce qui s’est produit avec le secret entretenu autour des prothèses auditives de Jacques Chirac, alors Président de la République ; s’il avait annoncé clairement sa surdité, tout aurait changé pour des millions de personnes malentendantes.
Parce que derrière l’incompréhension émerge la stigmatisation. « Certains ont mal compris le message, précise Jean-Pierre Montaufier. Et j’ai découvert un truc curieux : quand on crée, on est jalousé, les gens ne comprennent pas ou ne cherchent pas à comprendre. J’ai envie que l’Oreille blanche intéresse, mais ça ne servira à rien si les entendants ne sont pas informés. Une dame m’a récemment raconté qu’à un guichet l’employé l’a repérée, et la communication a fonctionné. L’Oreille blanche n’est pas un truc extraordinaire, mais elle est utile. »
Laurent Lejard, mai 2023.
Avec le soutien de la Fédération Française de l’Accessibilité