Se déplacer dans Paris n’est généralement pas une partie de plaisir, et cela pour tous les usagers des transports collectifs gérés par une régie qui bénéficie encore d’un monopole jusqu’en 2024 pour les autobus, 2029 pour le tramway et 2039 pour le métro. La RATP se contente de gérer cette rente de situation en investissant a minima, tout en allant conquérir des marchés à l’international comme n’importe quelle société privée. Sauf que la Régie Autonome des Transports Parisiens est un établissement public, propriété de la nation et au service de la population, aspect que ses dirigeants oublient largement, comme le vivent quotidiennement les millions de personnes qui voyagent sur ses lignes. Parmi elles, les personnes à mobilité réduite (PMR), et particulièrement celles qui se déplacent en fauteuil roulant, sont spécialement maltraitées. Et c’est probablement parce qu’elle est consciente de cette situation que la mission accessibilité de la RATP élude les questions précises qui lui sont posées, se contentant des banalités d’usage : « L’accessibilité est une préoccupation déjà ancienne à la RATP. La première gare RER accessible fut ainsi mise en service dès 1993; en 1995, la ligne 20 devenait la première ligne de bus déclarée accessible. Cette prise en considération de l’accessibilité […] nous permet à ce jour d’avoir 60 gares de RER sur 65, près de 170 lignes de bus (dont l’intégralité des 63 lignes parisiennes) sur 350 […] toutes les lignes de tramway sont ainsi déjà accessibles. »
Métro : une ligne devenue mal accessible.
Le réseau du métro parisien comporte seize lignes, dont une seule est considérée accessible : la ligne 14, entièrement automatisée, ouverte en 1998. La RATP a interprété la législation à sa manière, considérant être déchargée de l’obligation pour les 15 autres lignes sans avoir démontré que « la mise en accessibilité du réseau existant s’avère techniquement impossible ». La mission accessibilité de la RATP invoque de « nombreuses infaisabilités techniques et des difficultés d’insertion dans le sous-sol parisien que supposerait sa mise en accessibilité aux personnes utilisatrices de fauteuil roulant » tout en refusant de communiquer le document qui établit cette impossibilité technique, de même que l’autorité organisatrice qu’est le Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF), ce qui conduit à s’interroger sur l’existence dudit document. D’autant que la démonstration d’impossibilité technique est difficile à soutenir, la plupart des lignes et leurs stations étant quasiment sous le bitume des rues. Mais pour justifier sa politique, la mission accessibilité de la RATP prend un exemple paroxystique : « Les stations qu’il apparaît le plus intéressant de rendre accessibles, autrement dit celles qui offrent le plus de correspondances, sont aussi les plus difficiles à réaliser. Un exemple : pour rejoindre la surface depuis la ligne 5 du métro à Gare du Nord, il faudrait emprunter pas moins de 7 ascenseurs différents, qui ne devraient jamais être en panne en même temps. » Ce dernier argument est significatif du peu d’intérêt porté aux clients : il nous apprend que les ascenseurs ne seront jamais doublés pour assurer aux PMR la continuité du service.
Si l’on fait une comparaison européenne, on ne peut que constater que le plus ancien métro au monde, celui de Londres, est partiellement accessible, alors que celui de Berlin dont la première ligne date de 1902 (soit deux ans après Paris) est très accessible. Mais la capitale de la France entend se singulariser en refusant aux 30% de sa population qui a une mobilité réduite (personnes âgées, handicapées, fatigables, avec poussette, etc.) le droit de se déplacer rapidement en évitant les embouteillages. Seule la ligne 14 dispose d’ascenseurs dans toutes les stations… Enfin presque: ceux du terminus Gare Saint-Lazare sont hors service depuis plus d’un an et doivent être remplacés à une date encore inconnue, ceux de Châtelet depuis juin dernier et au moins jusqu’au 18 février 2014 selon le site d’information destiné aux clients handicapés Infomobi, site qui oublie totalement d’informer de l’inaccessibilité du terminus Saint-Lazare! On relève également l’absence totale d’affichage de ces « indisponibilités durables » dans les autres stations.
Autre difficulté structurelle d’accès aux stations de cette ligne : la fermeture des passages PMR dont la largeur assure l’accès aux clients en fauteuil roulant, avec poussette ou bagages. Dans les neuf stations de cette ligne express, quatre de ces sas à doubles portes sont condamnés par des barres métalliques et un panneau « sens interdit », dont deux depuis cinq ans au moins ! Les clients sont obligés de demander au guichet ou par interphone qu’on leur ouvre une porte d’accès, ce qui prend du temps. Selon la RATP, ces sas favoriseraient la fraude, plusieurs personnes pouvant passer avec un seul ticket, et ils ont été condamnés pour cette raison. Sauf que l’argument ne tient pas : d’abord parce qu’il en reste un en service, à Bercy, ensuite parce que le système qui les remplace dans trois stations est un « passage confort » à simple jeu de portes bien plus propice à la fraude, enfin parce qu’à la station Saint-Lazare, ouverte en décembre 2003, le sas PMR n’a jamais été mis en service ni remplacé par un passage confort. Reste le cas de la station Châtelet qui était dotée d’un sas PMR, actuellement invérifiable pour cause d’inaccessibilité durable…
Autobus : des clients discriminés.
A Paris, toutes les lignes d’autobus sont déclarées accessibles en fauteuil roulant, ainsi que 77 des 196 lignes RATP des autres départements d’Ile-de-France, dont le Schéma Directeur prévoit la mise en accessibilité d’ici 2015. Toutefois, le règlement applicable aux voyageurs ne comporte aucune disposition relative aux usagers en fauteuil roulant, dont le nombre n’est donc pas formellement limité. Or, il est fréquent qu’un conducteur refuse d’embarquer un deuxième passager en fauteuil roulant, mésaventure récemment arrivée au militant pour la vie autonome Jean-Luc Simon : la conductrice du dernier bus de la soirée, invoquant le fait qu’il n’y a qu’une Unité Fauteuil Roulant (UFR), refusait de le laisser monter à bord. Jean-Luc Simon a empêché le départ du véhicule jusqu’à ce que le service de régulation accepte qu’il puisse rentrer chez lui… Curieusement, cette restriction n’est jamais appliquée aux poussettes dépliées, qui peuvent dépasser fréquemment le nombre réglementaire de deux. La RATP conseille sur ce document de placer les poussettes face à face sans obligation que les enfants soient attachés, alors qu’elle considère dangereuse le même positionnement de deux personnes en fauteuil roulant. C’est donc, bien évidemment, au nom de la sécurité que les voyageurs handicapés sont discriminés, alors qu’il n’a jamais été réalisé de tests avec des passagers en fauteuil roulant justifiant la restriction imposée. Le nombre des incidents avec des voyageurs en fauteuil roulant devrait logiquement s’accroître, ceux-ci voulant profiter de l’amélioration de l’accessibilité urbaine, des loisirs et des lieux de spectacle.
Il est grand temps que la RATP en tienne compte en ajoutant une deuxième UFR dans tous ses autobus et en proposant un service de remplacement quand elle ne peut remplir sa mission de service public. Sa mission accessibilité précise que « les nouveaux bus commandés depuis fin 2013, comportent 2 emplacements pour les personnes en fauteuil », ainsi qu’elle l’a annoncé le 21 juin 2013 au Comité Consultatif de l’Accessibilité qui réunit neuf associations. Mais près de 4.500 autobus sont en circulation, et deux décennies seront nécessaires pour qu’ils soient tous remplacés… Les lignes de bus constituent en effet le « transport de substitution » rendu obligatoire par la législation du fait de l’inaccessibilité du métro. Or, la plupart des lignes ne fonctionnent pas en soirée aux horaires de retour de spectacle, les fréquences sont très réduites par rapport au métro, les services partiels ou interrompus le dimanche et jours fériés, ce qui restreint fortement le droit des clients handicapés par rapport à celui des valides. De facto, si la loi était respectée, la RATP ne devrait plus percevoir d’aides publiques puisque celles-ci sont subordonnées « à la prise en compte de l’accessibilité. »
Les « fauteuils » voyagent en infraction.
La mission accessibilité de la RATP affirme être attentive au vécu des clients handicapés : « Nous réalisons par exemple chaque année une enquête baptisée ‘Les Carnets de Voyage’ auprès des utilisateurs de fauteuil roulant empruntant nos réseaux, [les] volontaires notent sur un carnet l’évaluation de leurs déplacements pour évaluer les différents facteurs intervenant dans la réussite de leur trajet : la charge, la civilité, les aménagements de voirie, la rampe rétractable, sans oublier le stationnement illicite… Il est essentiel de mieux cerner les situations et leurs évolutions d’une année sur l’autre : nous partageons ainsi les plans d’actions avec les associations et tous les acteurs de l’entreprise. » Alors, comment est-il possible que les difficultés et restrictions décrites ci-avant perdurent ? Pourquoi les clients en fauteuil roulant voyagent-ils en infraction depuis 1995 ? En effet, tous les clients doivent valider un titre de transport, et les voyageurs en fauteuil roulant ne font pas exception. Sauf que pour la plupart des trajets ils ne le peuvent pas : leur accès aux autobus s’effectue via une palette rétractable qui équipe les portes centrales marquées de panneaux « sens interdit », et sur la plate-forme où se trouve l’UFR, il n’y a pas de valideur de titre de transport, sauf dans les quelques lignes à bus articulés. Il est à la fois impossible et dangereux d’aller jusqu’à l’avant du bus alors qu’il roule et qu’il est rempli de passagers, pour valider ticket ou passe Navigo.
Alertée sur ce problème, la RATP a toujours refusé d’installer un valideur à proximité de l’UFR, prétextant que les passagers valides seraient encouragés à monter par les portes centrales. Avec comme conséquence la mise en infraction des passagers en fauteuil roulant, une situation qui se produit également dans la ligne 14 du métro : dans les stations dont le sas PMR est condamné, le passage s’effectue par une porte à verrouillage télécommandé et il est alors impossible de valider un ticket, de même lorsque le « passage confort » des autres stations est en panne, ce qui se produit fréquemment. Cela, la RATP le sait parfaitement mais elle n’agit pas. Que nos lecteurs utilisateurs de fauteuils roulants soient toutefois rassurés : ils peuvent espérer compter sur la mansuétude des contrôleurs…
Laurent Lejard, janvier 2014.