Le Grand Palais (Paris) a organisé il y a quelques semaines un très intéressant atelier sur les « signes de l’art ». Des guides-conférenciers et médiateurs culturels intervenant en Langue des Signes Française ont pu confronter leur expérience dans un domaine où la plupart des signes ne sont pas validés, créant une langue au vocabulaire variable selon les villes et institutions culturelles. Si les signes créés par Jean-Paul Perbost, qui a travaillé pendant dix-sept ans comme guide-conférencier pour le Centre des Monuments nationaux, ont été intégrés à la base Elix (sur laquelle chacun peut intégrer des signes, 10.000 à l’heure actuelle, sorte de Wikipédia LSF) développée par l’association lilloise Signes de Sens, il peut encore y avoir plusieurs signes pour un même mot : « C’est le premier atelier ‘Signer l’art’, a expliqué en introduction Amandine Mansilla, de Signes de Sens. Dans la base Elix, qui valide le vocabulaire, il n’existe pas d’Académie de la Langue des Signes Française, d’où l’intérêt de cette rencontre pour se mettre d’accord sur les signes. On va travailler sur la confrontation de signes à partir d’une liste de mots, voir si les participants sont d’accord, et leur demander s’ils ont des signes qu’ils utilisent. »

Exemple de la diversité des signes et de leur formation, le Grand Palais est représenté par un boulon qui tombe sur la tête, rappelant un incident remontant à l’époque d’avant les derniers travaux de réfection ! Mais l’interprète en LSF Monique Gendrot signe « grande verrière ». De même, elle conteste comme étant minoritaire le signe « cathédrale Notre-Dame de Paris » formé en combinant « nef » et deux grandes tours. Mais pour Michel-Ange, pas de contestation : le signe pointe le nez cassé parce que le peintre-sculpteur était bagarreur dans sa jeunesse ! Marion Havas, médiatrice au musée des Arts et Métiers, rappelle l’intérêt de ne pas refaire ce qui existe, et de clarifier : « À l’hôpital de la Salpêtrière, ils sont très ‘iconiques’, il faut que ce soit clair pour éviter les malentendus. Au début, ‘échographie’ était un geste sur le ventre, mais il fallait aussi montrer l’écran. Aujourd’hui, le geste sur le ventre est compris et on n’a plus besoin de signer l’écran. »

Professeur d’art appliqué à l’Institut National des Jeunes Sourds (INJS) de Paris, Hyacinthe rencontre des problèmes fréquents de vocabulaire avec ses élèves : « Il emprunte beaucoup à l’anglais, les élèves n’y comprennent pas grand-chose et ça ne correspond pas aux mots français. Par exemple, ‘layout’ désigne à la fois du papier et une composition sur un calque, le mot a un double sens. » Autre difficulté, les signes abstraits : « Certains mots sont très compliqués à expliquer : une fois que le concept est compris, les élèves progressent. Mes élèves doivent comprendre l’abstrait. ‘Maniérisme’, visuellement ça ne dit rien. Alors qu’avec un tableau, une image, c’est parlant. » C’est la méthode qu’utilise Alexis Dussaix, élève de l’école du Louvre, qui travaille comme guide-conférencier au musée du Quai Branly, au Centre Pompidou, et au musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt (92). Sur Elix, ‘Romantisme‘ est signé comme un chagrin, un regret qui vient du coeur, poing tournant sur la poitrine comme s’il tordait le coeur. Alexis Dussaix, lui, parle de sentiments, de lumière, tel un éveil à la curiosité, à l’Orient : on sort de la frustration, on s’ouvre, il signe avec empathie. Le signe qu’il forme résulte de l’analyse du contexte. Pour « néoclassicisme », il recherche le mot dans Google images, et ce corpus explique tout : à la fin du XVIIIe siècle, il y a eu un mouvement de recherche archéologique sur l’Antiquité romaine entraînant un retour à l’antique, à l’ordre dans l’architecture et la peinture, avec des règles académiques basées sur la réutilisation des formes antiques pour le mobilier. Et pour Alexis Dussaix ‘Rococo’ ressemble au galbe empesé d’une ample robe de cette époque aux meubles, tableaux et sculptures aux ornements lourds et compliqués, c’est au terme de son analyse que le signe apparaît naturellement.

Que deviendra cette fructueuse matinée de travail ? « Je suis chargée de recenser le travail pour la Réunion des Etablissements Culturels pour l’Accessibilité (RECA), a rappelé Marion Havas. Faut-il un groupe de travail pour recenser les signes créés ? » La question est posée…

Laurent Lejard, décembre 2014.


Merci aux interprètes en LSF Aude Borsato et François Lesens pour leur aimable collaboration.

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