Un soir de 1986, parce qu’elle venait de voir à la télévision un reportage sur l’aide quotidienne qu’un chien éduqué pouvait apporter à une personne handicapée motrice, Marie-Claude Lebret a voulu introduire cette action en France et a créé, le 19 avril 1989, l’Association Nationale pour l’Education de Chiens d’Assistance pour personnes Handicapées (Anecah), plus commodément renommée Handi’Chiens. Depuis, cet animal d’assistance a trouvé à la fois sa place et son public, il est reconnu à l’égal du chien-guide d’aveugle depuis la loi du 11 février 2005. Parmi les récentes évolutions réglementaires, un certificat national identifie les chiens d’assistance qui sont admis dans les lieux publics même pendant la période d’éducation et de formation assurée par une famille d’accueil. A l’occasion de la célébration des 25 ans d’Handi’Chiens, sa présidente, Brigitte Lamorte, dresse le bilan de l’association et de la situation du chien d’assistance en France.
Question : L’association Handi’Chiens célèbre ses 25 ans et 1.800 animaux d’assistance remis. Quel bilan tirez-vous de ce quart de siècle ?
Brigitte Lamorte : Ce sont 25 années de bonheur parce que nous avons de plus en plus de demandes et lorsque l’on voit les personnes à la sortie du stage de remise, avec un grand sourire et retrouver un peu d’autonomie, pour nous c’est très important. La première année, nous avons remis quatre chiens, et cette année 2014, ce sera 140 ! C’est grâce à tous nos bénévoles, délégués, familles d’accueil, éducateurs, qui participent à l’éducation de nos chiens. Et à tous ceux qui choisissent d’aider financièrement Handi’Chiens puisque nos chiens d’assistance sont confiés gratuitement à leurs maitres handicapés [lire ce Focus NDLR].
Question : Arrivez-vous à répondre à l’ensemble de la demande des personnes handicapées ou y a-t-il un délai ?
Brigitte Lamorte : On a forcément un délai, d’autant que nous avons trois types de chiens : le chien d’assistance qui est remis à des personnes à mobilité réduite enfants ou adultes, le chien d’assistance dit « chien d’éveil » qui est remis à des parents pour des enfants polyhandicapés, trisomiques ou autistes, et le chien d’assistance dit « d’accompagnement social » qui est remis à des établissements médico-sociaux recevant des enfants ou des adultes dépendants. Nous avons beaucoup de demandes pour les chiens d’éveil, on est obligé d’avoir des délais d’attente, puisque ce qui nous fait orienter un chien dans un sens ou dans l’autre, c’est vraiment son caractère. Et il faut que nous ayons le chien qui convient à une personne et une situation données.
Question : Le chien d’assistance est fourni gratuitement à la personne handicapée puisque votre structure est financée par des dons et legs, quelques subventions et des actions de charité publique. En 2005, le Gouvernement avait envisagé d’intégrer le coût d’élevage et d’éducation des animaux d’assistance dans la solidarité nationale. Ce dossier a-t-il évolué depuis ?
Brigitte Lamorte : Non, ce dossier n’a pas évolué. On nous a éconduit en nous disant que, pour le bien-être du chien, nous voulons en rester propriétaire, et comme il n’est pas donné complètement à la personne, on ne serait pas aidé davantage. Nous voulons rester propriétaire du chien parce que nous voulons avoir la possibilité, s’il n’est pas bien entretenu, de pouvoir le récupérer. Cela arrive très peu, mais nous voulons conserver cette possibilité.
Question : De même, le montant de l’aide animalière qui est fournie au titre de la Prestation de Compensation du Handicap n’a pas évolué depuis sa création en 2006…
Brigitte Lamorte : Effectivement. Et même, certaines personnes ont du mal à l’obtenir, cela dépend des maisons départementales des personnes handicapées. Certaines sont plus généreuses que d’autres. Et des bénéficiaires qui touchent l’aide animalière perdent d’autres aides, ce qui n’est pas normal; malheureusement c’est toujours une lutte pour eux.
Question : Ce que vous dites, c’est que des départements appliquent la loi à leur manière, ou font la leur ?
Brigitte Lamorte : Un petit peu. C’est ce qui ressort de ce que nous disent les personnes qui ont beaucoup de difficultés à obtenir l’aide animalière.
Question : Que disent la tutelle d’État, le ministère des Affaires sociales, le secrétariat d’État aux Personnes handicapées ?
Brigitte Lamorte : Pour l’instant, on n’a pas vraiment repris contact avec eux depuis le changement de gouvernement. On a le projet de le faire prochainement, parce qu’on a quand même beaucoup de personnes qui sont en difficulté.
Question : Des élèves qui bénéficient de chiens d’assistance rencontrent des difficultés pour être acceptés avec leur animal. Pourtant, votre association est prudente, elle pratique l’intégration en collaboration avec l’équipe pédagogique, les enseignants, les personnels, mais face au rejet, au refus, pourquoi n’agissez-vous pas publiquement en mettant en avant ces situations totalement illégales ?
Brigitte Lamorte : Oui, on essaye. C’est assez compliqué, on a plus de facilité à faire intégrer nos chiens dans les lycées, beaucoup plus que dans les écoles primaires et les collèges. On a plus de difficultés quand les enfants sont jeunes. Peut-être que les directrices d’école où les principaux de collège ont peur que l’enfant ne soit pas suffisamment grand pour gérer son chien. On a des écoles qui les acceptent de façon merveilleuse, il y en a même qui ont des chiens en éducation avec des institutrices, tout dépend de l’inspecteur d’Académie [lire cet article NDLR]. À chaque fois il faut se tourner vers lui, bouger ciel et terre, quelquefois on y arrive.
Question : Là encore, la loi nationale est appliquée à géométrie variable ?
Brigitte Lamorte : Oui, à géométrie variable. Il y a des lycées qui vous diront « on n’a pas de place, on a des enfants allergiques », ou si l’élève bénéficie de l’accompagnement par une tierce personne c’est difficile de concilier les deux. Récemment, on a remis un chien à Blois et le proviseur accueille l’élève handicapé et son chien de façon remarquable, un enclos a été prévu pour l’animal, il n’y a aucun souci. Alors que d’autres ne veulent pas.
Question : L’animal d’assistance reste encore une véritable aventure humaine que vous souhaitez poursuivre et développer ?
Brigitte Lamorte : Bien sûr ! Je pense que plus on connaîtra Handi’Chiens, mieux on acceptera le chien. On a fait des progrès, mais ce n’est pas encore suffisant.
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2014.