Le temps de garer son véhicule adapté devant les locaux de Handicap Action Intégration (HAI), de baisser la rampe du véhicule et de refermer la voiture à l’aide d’une manette, Mody Maka Barry s’élance, manoeuvrant les commandes de son fauteuil roulant avant de franchir les portes de son bureau sur l’avenue LaFleur à Lassalle, au Québec : « Je suis arrivé à Montréal en novembre 2001 et je ne connaissais personne dans cette ville où tout m’était étranger. De ce fait, j’ai été directement dirigé au Young Men’s Christian Association (YMCA) qui se trouve au centre-ville de Montréal » Maintenant âgé de 45 ans, Mody Maka Barry se sert de son expérience personnelle pour étayer sa vision pragmatique des moyens d’insertion sociale des personnes handicapées : « Jusqu’à preuve du contraire, personne ne peut me convaincre d’intégration sans travail, c’est impossible ! La valorisation par le travail est d’abord gage de réussite pour les enfants d’un immigrant qui vit avec des limitations fonctionnelles. Pour la plupart des jeunes, les modèles de socialisation sont leurs propres parents, ils s’identifient à eux et ne feront rien de leur vie s’ils voient leurs parents vivre de l’aide sociale malgré des qualifications professionnelles avérées. »
Bachelier en finances en Guinée-Conakry dont il est originaire, Mody Maka Barry est également diplômé en gestion financière informatisée. N’ayant pas pu trouver un emploi malgré son niveau d’études, il se consacre aux activités de HAI dont il est le fondateur: « Je l’ai créée pour aussi donner le bon exemple à mes enfants au lieu de rester à la maison devant la télévision à ne rien faire. » Arrivé à Montréal en plein hiver comme réfugié, il a passé quatre mois au YMCA parce qu’il ne connaissait personne au Québec: « Un jour, j’ai eu l’idée de demander à une employée du centre s’il n’y avait pas des ressources qui facilitent l’intégration des immigrants handicapés. Tout de suite, j’ai eu le numéro de téléphone de l’Association multi-ethnique pour l’intégration des personnes en situation de handicap (AMEIPH). Ça a été mon meilleur jour ici à Montréal. J’avais enfin trouvé une place où je pouvais prouver de quoi j’étais capable et surtout sortir du YMCA. »
Dès lors, l’association lui a trouvé un logement accessible à son handicap physique. Pour ses déplacements par transport adapté, le nécessaire était fait auprès de la Société de transport de Montréal. Très connu et apprécié dans le milieu associatif montréalais pour sa détermination et sa volonté de dépasser son handicap, son ami Ousmane Thiendella Fall lui reconnait un courage à toute épreuve : « Avec ou sans transport adapté, il se serait débrouillé dans ses démarches de recherche d’emploi, quitte à braver neige et tempête en chaise roulante ! »
Un homme au service de l’intégration.
Marié et père de trois enfants, Mody Maka Barry, fait de sa mission un sacerdoce : l’intégration par l’emploi des personnes handicapées. Du communautaire à la politique, il s’investit, s’épanouit et s’accomplit dans la ferme ambition de « faire découvrir aux personnes à mobilité réduite les forces intérieures qui sont cachées en elles. » Les personnes handicapées sont en effet sous-représentées dans la population active, elles représentent la couche sociale la plus touchée par la pauvreté et l’exclusion. Mody Maka Barry s’appuie sur sa condition d’immigrant handicapé et son expérience d’une dizaine d’année dans l’humanitaire. Candidat aux dernières élections municipales, il s’implique et mobilise contre la discrimination des personnes à mobilité réduite. Il refuse surtout que son handicap physique soit un frein à son épanouissement : « Nous sommes capables de travailler comme tout un chacun, mais surtout de contribuer au développement économique, social et politique de la société. Le plus important, c’est la bonne volonté de nous intégrer comme il faut. À notre tour, nous prouverons par A plus B de quoi nous sommes capables pour changer la mentalité des gens. »
La tendresse qui anime Mody Maka Barry quand il évoque ses débuts à Montréal témoigne de sa condition de « rescapé » s’ennuyant et étouffant à longueur de journée entre les quatre murs du YMCA : « J’ai commencé à donner des cours d’informatique de base à certains membres de l’AMEIPH. Je participais aux envois postaux et à d’autres travaux pour faire la preuve de mes capacités et aptitudes professionnelles. C’était aussi pour moi une bonne manière de briser l’isolement. » Fonceur et entreprenant, il finit par intégrer le conseil d’administration de l’AMEIPH sur proposition de la directrice générale. Il en devient le président moins d’un an après, toujours sur proposition de la directrice : « C’était très valorisant même si j’exerçais toutes ces responsabilités à titre bénévole. » Ses propres expériences de la vie combinées à celles de la clientèle qui sollicite régulièrement les services de HAI lui servent d’indicateurs quant à la perception sociale de la situation de handicap : « Pendant les interviews téléphoniques pour recherche d’emploi, dès que tu mentionnes le mot ‘handicap physique’ l’employeur change tout de suite de ton car, pour lui, une personne handicapée et immigrante de surcroit est inapte au travail. »
En février 2005, alors qu’il assurait la présidence du conseil d’administration de l’AMEIPH, il parvient à obtenir un contrat de travail à l’association de médiation familiale du Québec (AMFQ) pour un poste d’adjoint administratif : « C’est grâce au bénévolat que je faisais depuis déjà trois ans que j’ai pu accumuler de l’expérience suffisante aux yeux de l’employeur. » Humaniste et dévoué, ses proches collaborateurs ne tarissent pas d’éloge à son endroit. « Voilà un homme qui ne recule devant rien, un vrai décomplexé », dit un des administrateurs de HAI, Abdoulaye Kaké. Mody Maka Barry dit se servir de la maxime africaine comme crédo et philosophie : « L’homme est le remède de l’homme. » « En 2007, poursuit-il, j’ai réobtenu un contrat de stage pour un travail en rapport avec les personnes en situation de handicap. J’ai également trouvé ce stage grâce au bénévolat. C’est une personne rencontrée à l’Université du Québec à Montréal qui m’a donné le numéro de téléphone d’une de ses collègues qui cherchait un employé en mesure de trouver une subvention salariale auprès d’Emploi Québec. Je répondais aux critères, donc j’ai eu le contrat pour une durée d’un an au Conseil National du Trésor. » Déterminé et convaincu de l’utilité sociale du travail, Mody Maka Barry a mis sur pied HAI : « Après le stage, il n’y avait aucune possibilité de renouveler le contrat et aucune possibilité d’être engagé par ce ministère. J’ai repris en vain les démarches pour trouver un autre travail avant de réaliser que je pouvais moi-même en créer et aider en même temps mes semblables. »
Teresa Penafiel, responsable de la promotion à l’AMEIPH, considère que les blocages à l’intégration des immigrants handicapés relèvent aussi des cultures d’origine. La perception souvent négative et fataliste du handicap font vivre à ces personnes des expériences personnelles traumatisantes qui les freinent et les empêchent de se diriger vers les ressources disponibles : « Étant nous-mêmes, fondateurs de HAI, des personnes vivant en situation de handicap physique, nous sommes les mieux placés pour parler des problématiques d’intégration sociale et professionnelle. Dans une optique par et pour, nous voulons partager nos expériences, nos défis et nos réussites. » La méconnaissance des services disponibles constitue un facteur d’isolement des personnes à mobilité réduite. « Malgré toute ma bonne volonté, reprend Mody Maka Barry, HAI ne parvient toujours pas à trouver des subventions qui permettent de faire face aux objectifs, mais cela ne me décourage aucunement. Je travaille, à tout le moins, à faciliter l’intégration des personnes en situation de handicap. »
Un citoyen engagé.
Aux élections municipales de novembre 2013, Mody Maka Barry était candidat de Projet Montréal au poste de conseiller d’arrondissement à Ville Lasalle. À son avis, s’il a été choisi par Patrick Asch, ex-candidat à la mairie d’arrondissement de Lasalle, c’est pour son engagement communautaire envers les personnes handicapées : « Il est venu jusque dans mon bureau pour me suggérer d’être candidat dans son équipe. Il ne m’a pas contacté parce que je suis en situation de handicap physique mais davantage parce que je travaille sans relâche pour ressortir les compétences, valeurs et bonne volonté des personnes à mobilité réduite. Alors, j’ai accepté cette offre et j’ai fait presque cinq mois de campagne électorale, à faire du porte à porte, à rencontrer du monde dans les différents magasins pour les convaincre de voter pour Projet Montréal. »
Sa décision de s’impliquer en politique n’a pas été de tout repos, reconnait Mody Maka Barry qui se considérait alors non initié en la matière: « Après en avoir longuement discuté avec mon épouse, je suis entré en lice et j’ai commencé à faire comme tout candidat: parler à qui veut bien entendre. Je me suis rendu dans les différentes activités à Lasalle. À chaque fois que je voyais des personnes assises au coin d’une rue, je traversais pour leur remettre ma carte d’affaires et le dépliant de Projet Montréal. »
Là encore, son handicap physique occupait une bonne place dans les activités politiques, au contact des citoyens: « Partout où j’allais pour faire campagne, on me servait une version ou une autre des deux mêmes questions: d’où venez-vous et pourquoi êtes-vous en fauteuil roulant? D’autres disaient carrément que c’était la première fois pour eux de voir une personne en situation de handicap se lancer dans la politique et accepter de faire du porte à porte malgré que les habitations ne soient pas facilement accessibles aux personnes à mobilité réduite. »
Il regrette de ne pas avoir été élu, certain que si cela avait été le cas, il aurait traduit dans les plus hautes sphères les problèmes liés à la situation encore déplorable des citoyens handicapés : « Pour moi, quelqu’un qui ne vit pas en situation de handicap ou qui n’est pas proche d’une personne en situation de handicap n’est pas en mesure de comprendre réellement nos problèmes. » S’il n’a pas encore défini le cadre de son avenir politique pour Montréal, Mody Maka Barry n’a pas encore dit son dernier mot. Il compte s’engager, pour une « ville plus dynamique, plus accueillante et surtout plus sensible à la question d’intégration par le travail des personnes en situation de handicap ».
Birame Waltako Ndiaye, février 2014.