On aurait bien voulu relater l’inauguration de cette compétition et le match d’ouverture de la Coupe du Monde de rugby mais l’organisation presse a fait le choix d’attribuer la table réservée aux journalistes handicapés… à des confrères valides. C’est donc du deuxième match que l’on va parler ici, Australie – Géorgie.
Pas de Président de la République ni de huées ce samedi 9 septembre au Stade de France à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) mais des gradins très bien remplis : plus de 75.000 spectateurs annonce le speaker, sur les 80.000 sièges. Et malgré la chaleur une ambiance détendue, parsemée de supporters des « Wallabies » aux maillots orangés à inscriptions vertes nettement plus visibles que ceux qui soutiennent la Géorgie. Si la bière coule à flots, le public reste attentif au match, de belles actions de jeu bien que l’Australie domine dès les première minutes, tout le monde bien assis à l’exception de quelques Australiens trop démonstratifs qui se lèvent et gênent la vue de spectateurs qui finissent par protester, amenant les stadières à intervenir diplomatiquement.
Démonstrations qui ne dérangent pas les spectateurs en fauteuil roulant d’une des tribunes adaptées : bien que surélevée et spacieuse, celle-ci n’a pas fait le plein même si les billets sont gratuits pour eux, et à petit prix pour leurs accompagnateurs qui doivent s’asseoir derrière, sur le premier rang de gradins, et contourner le barrièrage pour rejoindre leur parent ou ami. Dans l’allée du dessous, on distingue encore le marquage au sol des anciennes places fauteuil, dont la visibilité pouvait être réduite par les spectateurs valides.
Ce n’est pas une première pour Emmanuel, un Landais installé à Paris, qui a assisté à un France-Angleterre il y a quelques années : « J’aime le rugby, j’ai envie de voir un match, c’est plutôt bien accessible. On voit bien le terrain, la foule ne gène pas. » Il apprécie la gratuité du billet : « C’est génial ! ». Jérôme a réussi, lui, la prouesse d’obtenir un billet pour le match d’ouverture, et passe sa deuxième soirée au Stade de France : « Je suis surtout venu hier pour France – Nouvelle-Zélande, je suis un passionné de rugby. Comme j’étais là pour le week-end, j’en ai profité pour voir ce deuxième match. En fait, je suis un grand blessé du rugby. » Il apprécie l’accueil, en nuançant un peu : « Le placement, ça va, je pense qu’il y a bien pire. Je suis venu en voiture avec mon pote, on a stationné à l’extérieur, ça a été un peu compliqué. Hier on a eu un accès parking. »
Les spectateurs handicapés pouvaient en effet réserver gratuitement « dans la limite des places disponibles » au sein de l’un des parkings du stade, à condition d’en trouver la procédure : aucun lien explicite sur le site web de Rugby 2023, la rubrique « publics en situation de handicap » n’apparaît plus dans le menu, il est ardu de trouver la page présentant l’accessibilité des stades et les services dédiés aux spectateurs handicapés. Jérôme a traversé la foule et franchi les passe-câbles sans problème : « A partir du moment où on est poli, on passe au milieu des gens. C’est un échange convivial. Entre hier et aujourd’hui, je n’ai eu aucun problème. » Ce qui ne l’empêche pas de penser aux autres : « En terme de transports, ça n’a pas dû être simple pour tout le monde. »
Effectivement, les trains du RER B étaient bien remplis, avec de nombreux agents d’assistance en gare pour aider les voyageurs, et accompagner ceux qui ont besoin d’aide : les voitures ne sont accessibles en fauteuil roulant qu’avec une rampe amovible. Si la gare desservant le Stade de France est vaste, les dizaines de milliers de passagers s’agglutinent à l’entrée, longues files pour acheter un billet puis franchir les barrières de contrôle. Mais comme l’ascenseur pour les quais est de l’autre côté, les « fauteuils » doivent passer sous les voies et se présenter devant l’autre entrée… quasi déserte ! Pendant ce temps, les voyageurs « debout » patientent longuement dans les longues rampes d’accès aux débouchés fermés par des cordons, les agents filtrant le nombre admis pour éviter la cohue ; il faut 2 heures pour évacuer le public, précise l’un d’entre eux.
Ce qui n’a pas perturbé Christelle, qui vit en région parisienne, et l’a incité à venir voir ce match à Saint-Denis : « Je viendrai en voir d’autres. La visibilité est bonne, quel que soit l’emplacement autour du stade, on voit bien le match, j’ai l’habitude de venir. Je n’ai pas d’appréhension de la foule. S’il y a un problème, le personnel du stade est là pour nous aider, mais ça ne s’est pas produit. » Et elle quitte le stade avec une pointe de déception : « Je trouve qu’il n’y a pas tant d’ambiance que ça, par rapport à quand l’équipe de France joue. » Au fait, c’est l’Australie qui a vaincu la Géorgie au terme d’un match assez sage, 35 à 15 ; c’est bien là l’essentiel…
Laurent Lejard, septembre 2023.
PS : le groupement d’intérêt public chargé d’organiser la compétition a signé avec le Gouvernement le 17 novembre 2020 une charte d’engagements sur sa politique d’insertion et d’inclusion. Elle prévoyait notamment le recrutement de 2023 jeunes en apprentissage dont « 10% seront des personnes en situation de handicap » et « une politique d’achats inclusifs pour la réalisation des produits associés à la Coupe du Monde de Rugby. » Malgré deux demandes d’informations concernant la mise en oeuvre, le comité d’organisation cherche toujours ses réponses…