« Je parle avec un accent sourd, s’amuse Vivien Laplane, mais très peu prononcé par rapport à d’autres personnes sourdes. » Âgé de 41 ans, cet ancien éducateur spécialisé appareillé et oralisant s’est lancé en mai dernier dans une randonnée à vélo le long de la Loire, ponctuée d’un spectacle-conférence teinté d’humour joué dans plusieurs villes et organismes : Un sourd rire vaut mieux qu’un mal entendu. Il y met tout l’apprentissage du théâtre, qui lui a donné confiance en ses moyens vocaux, et son expérience de la sensibilisation à la vie des personnes sourdes et leurs relations interpersonnelles qu’il déploie depuis 2016 sur les réseaux sociaux, dont une chaîne Youtube.
Repéré Sourd vers ses 2 ans et demi, il a été scolarisé en inclusion à La Réunion où sa famille résidait, pendant 2 ans : les matinées avec des enfants sourds et un orthophoniste, l’après-midi avec les autres enfants. Cela se gâte quand la famille revient en métropole et s’installe à Avignon (Vaucluse). « J’aurais apprécié une éducation bilingue. Mes parents ont tenté de le faire en montant une association mais les pouvoirs publics n’ont pas suivi. » Vivien a donc poursuivi sa scolarité en école ordinaire, avec l’appui du Centre de Rééducation de l’Ouïe et de la Parole de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) qui lui fournissait en fin de journée un soutien scolaire en envoyant l’un de ses spécialistes. « Il faut encore une énorme pression sur l’État, le Gouvernement, le ministère de l’Éducation nationale pour qu’il y ait de plus en plus de classes bilingues. C’est nécessaire pour que chaque enfant puisse avoir accès aux deux modes de communication, qui ne peut que les épanouir. »
Ce n’est que pour ses 15 ans que Vivien découvre la langue des signes. « Ce qui n’est pas simple, c’est que la langue des signes a beaucoup de place alors qu’elle concerne une minorité, 300.000 pratiquants Sourds et entendants sur 6 millions de Sourds et malentendants. Beaucoup d’entreprises font de la sensibilisation, mais seulement sur la langue des signes : les salariés, les travailleurs comme moi, on n’en a pas besoin pour communiquer, il nous faut des boucles magnétiques, un environnement sonore adouci, des sous-titrages, toute une panoplie encore peu prise en compte. » Il rappelle également la période de pandémie du Covid, avec les masques obligatoires empêchant la communication entre Sourds oralisés et entendants.
Engagé
Vivien a voulu s’engager dans la vie publique en se présentant aux élections municipales du printemps 2020 à Chaponost (Rhône) mais il n’a pas été élu : « C’est quand même particulier, l’engagement politique, ça demande beaucoup de force mentale pour préserver son intégrité, ce n’est pas toujours très sain. Je préfère rester dans l’associatif. Je siège au conseil d’administration du Centre Communal d’Action Sociale, c’est un bon moyen de faire passer des idées. » Il participe néanmoins à la vie communale, et interviendra pendant le mois du handicap en novembre prochain.
Ses débuts de conférencier, il les doit à une rencontre dans un train avec la maman d’un enfant sourd signant. « En échangeant avec elle, elle me disait « on a besoin de gens comme vous, des adultes sourds ». C’est vrai que quand j’avais 10 ans, je n’avais jamais rencontré d’adulte sourd, je pensais que j’allais mourir jeune. Puis le théâtre est devenu une passion au lycée, il m’a aidé à être à l’écoute, articuler, exprimer mes émotions sans être jugé. C’était une excellente médiation pour se faire entendre, et montrer aux jeunes Sourds qu’il est possible de vivre autre chose que sa surdité, qu’on peut vivre ses passions. C’est comme cela que j’ai construit mon parcours, exerçant plein de métiers, avec plein d’expériences, et j’ai lancé ma chaîne YouTube en 2016 en attendant d’écrire mes conférences et de monter sur scène. » Il lui a fallu du temps pour ancrer son identité de Sourd appareillé oralisant : « Je voulais être le porte-parole de ceux qui n’arrivent pas à s’exprimer, témoigner de mon expérience, et que tout est possible même avec notre surdité si on s’en donne les moyens et la volonté. »
Son activité de conférencier l’a contraint à abandonner début 2022 son travail d’éducateur, les deux s’avérant incompatibles en termes de temps et d’énergie. Toutefois, il ne vit pas de sa nouvelle activité et espère prochainement concilier un emploi à temps partiel. Ses vidéos sur les réseaux sociaux ne lui rapportent pas d’argent, les 5.000 à 8.000 vues sur YouTube sont nettement insuffisantes. « J’ai beaucoup plus d’impact sur LinkedIn auprès des professionnels, avec 8.000 abonnés. Ce sont d’autres mentalités, je ne saurais pas l’expliquer. Pourtant, j’en ai fait des vidéos sur YouTube ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2023.
Vivien Laplane jouera Un sourd rire vaut mieux qu’un mal entendu lors de la semaine mondiale des sourds 2023. Tout d’abord sur l’invitation de l’Association des Sourds de Grenoble à l’Auditorium Imag, 700 avenue Centrale à Saint-Martin d’Hères, le 21 septembre à 18h, avec interprète en Langue des Signes Française ; il sera face à des Sourds signants, « ça c’est très rare. Il y a des ouvertures, comme à Orléans où de nombreux Sourds signants sont venus me voir, on m’avait prévenu qu’il y aurait des Sourds un peu radicaux. A la fin, ils m’ont félicité ! On avance, on commence à pouvoir échanger entre ces deux mondes [Sourds oralisés et Sourds signants NDLR]. » Vivien jouera également le 24 septembre à 14h au Théâtre de la Renaissance, 7 rue Orsel à Oullins (Rhône), à l’invitation de l’association DNA. Entrée gratuite pour ces deux représentations.
Avec le soutien d‘Acceo-Tadeo
