« Quand on est député handicapé moteur en fauteuil roulant à l’Assemblée Nationale, il faut prévoir de longs temps de trajets parce qu’il y a beaucoup de niveaux avec des ruptures de charge, des temps longs d’ouverture des portes. Il faut prendre le temps, aussi, de trouver les raccourcis pour éviter justement quelques ruptures de charge : par exemple, je passe par le parking souterrain, ce qui me permet de couper tout le bâtiment. » Parking d’ailleurs doté de places réservées aux dimensions de voitures géantes !
Depuis 16 mois, l’Assemblée Nationale compte un député handicap moteur se déplaçant en fauteuil roulant : Sébastien Peytavie, élu en Dordogne au titre du parti Génération.s membre de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Toutefois, il ne siège que depuis janvier dernier, des problèmes de santé l’ayant conduit à être hospitalisé plusieurs mois, ce qui a laissé le temps à l’administration de l’Assemblée Nationale de réaliser les travaux indispensables qu’elle n’avait pas anticipés.
Il faut savoir que ce corps législatif se répartit entre plusieurs immeubles : les anciens Palais Bourbon (où se trouve l’hémicycle), Hôtel de Lassay (résidence officielle de la présidence de l’Assemblée) et une kyrielle de bâtiments voisins dont le plus récent a été construit dans les années 1970, l’immeuble Chaban-Delmas, entièrement rénové en 2008 et mis en accessibilité à cette occasion. Si la résidence présidentielle l’est également, l’hémicycle du Palais Bourbon et l’accès à de nombreuses salles était impossible en fauteuil roulant, jusqu’à l’arrivée du député Peytavie.
« On est dans la cour d’honneur du Palais Bourbon, un cadre plutôt sympathique au niveau accessibilité, cette partie-là. Par contre, pour entrer dans l’hémicycle, il y a des marches et un élévateur fauteuil, mais il faut prévenir les huissiers pour qu’ils puissent ouvrir la porte qui permet de sortir. Des travaux d’installation d’un système d’ouverture automatique étaient prévus pendant l’été, mais l’administration s’est rendu compte que l’élévateur n’est pas adapté à tous les fauteuils, donc elle envisage des travaux d’ensemble. » Au sein de l’hémicycle, le député siège sur un banc en bas à gauche qui a été aménagé : rampe d’accès, suppression des sièges, pupitre pivotant vers l’avant, micro à disposition. Ces adaptations sont quasiment invisibles, preuve que l’on peut tout adapter quand on le veut. Mais qu’en serait-il avec plusieurs députés en fauteuil roulant ? « Déjà, s’il y en a 2, ce serait compliqué. Si le second était de droite, ça permettrait d’équilibrer au niveau des bancs dans l’hémicycle, mais si on était plusieurs à gauche par exemple, il serait compliqué de savoir comment on rentre dans cet espace ! »
Le groupe parlementaire écologiste, auquel Sébastien Peytavie est rattaché, siège juste au-dessus de lui. Dans la précédente législature, il était placé sur d’autres bancs. « C’est bien d’avoir le groupe à proximité, même si je suis tout en bas et qu’il est difficile de pouvoir discuter avec mes collègues. » Parmi les autres facilités dont il bénéficie, son bureau est à proximité de l’hémicycle, et voisin de toilettes adaptées.
Logé dans la résidence hôtelière de l’Assemblée
Élus de tous les départements français, les députés disposent d’un couchage dans leur bureau, et des 70 chambres d’une résidence située dans les étages de l’immeuble Chaban-Delmas, le 101. Sébastien Peytavie y occupe la seule qui soit adaptée.
« Ma chambre se situe au 101, un tunnel en sous-sol permet de rallier le bâtiment, ça c’est très appréciable quand il pleut, avec le fauteuil de ne pas avoir à sortir et se mouiller. Mais pour arriver à Chaban-Delmas, il y a un semi-niveau avec 4 marches et un élévateur qui, hélas, tombe parfois en panne comme la semaine dernière ; ce qui implique de devoir faire le tour par la rue Saint-Dominique [soit 400 mètres de trottoirs en piètre état NDLR] pour entrer par un sas qui s’ouvre avec un badge. Mais pour entrer, avec la taille du fauteuil le sas de sécurité reconnaît 2 personnes et ne s’ouvre pas ! Il faut alors sonner pour que les personnels de sécurité viennent ouvrir la porte de livraison, cela malgré que le bâtiment Chaban-Delmas soit assez récent. » Cet immeuble a été adapté aux personnes handicapées motrices, avec élévateur intérieur et ascenseurs, mais pas à celles qui sont déficientes visuelles : on ne trouve guère qu’une bande d’éveil de vigilance devant un court escalier du rez-de-chaussée qui comporte un niveau surélevé.
Pas d’autonomie pour la déficience visuelle
Les autres bâtiments de l’Assemblée sont dépourvus d’aide à ces personnes, alors qu’elle compte un député aveugle, José Beaurain (Rassemblement National) également élu en juin 2022. « On siège tous les deux au groupe d’études handicap et inclusion, donc on parle de ces sujets. Il a une aide humaine et je pense qu’en fait il ne peut absolument pas être autonome. C’est vrai que les questions d’accessibilité sont différentes, et il dispose d’une aide fournie par l’Assemblée indépendamment de ses collaborateurs parlementaires : c’est une aide humaine en plus, un budget supplémentaire pour ses collaborateurs. »
Malgré les aménagements réalisés, Sébastien Peytavie ne peut aller partout, et au moins deux salles lui sont, de fait, interdites : projection audiovisuelle, pourtant parfois ouverte au public mais avec escalier, et sport située en sous-sol. Il doit également prévoir et organiser pour rejoindre les réunions auxquelles il participe, en choisissant les salles accessibles : « Je siège à la commission des Affaires sociales et la salle est accessible avec, dans le couloir, une rampe un peu raide, mais c’est faisable. » Cette rampe existait déjà, comme en a témoigné en août 2016 la député Isabelle Attard : une fracture du pied l’avait contrainte à se déplacer en fauteuil, à siéger au pied des gradins, et elle ne pouvait passer cette rampe sans aide. Depuis, celle-ci a été allongée en la coudant, mais avec un taux de pente toujours important, hors normes ; si Sébastien Peytavie parvient à la passer en force, elle est impossible sans aide pour la plupart des utilisateurs de fauteuil roulant.
Des évolutions à venir ?
« L’Assemblée envisage des améliorations, tout en estimant que le travail est fait. L’administration a voulu adapter au plus vite et au mieux, pour avoir quelque chose de fonctionnel assez rapidement. Là, elle est en train de prendre la mesure de ce qui n’est pas adapté pour tous les types de handicaps, et constate qu’elle est loin du compte. Pour quelqu’un de malvoyant par exemple, strictement rien n’est adapté et préparé dans l’Assemblée. »
« L’administration est en train d’étudier la circulation d’un fauteuil électrique, voir ce qui pourrait fonctionner ; ça prend un peu de temps et je pense qu’elle veut réfléchir sur du long terme. On voit qu’on est dans un très vieux bâtiment, avec la difficulté pour l’administration d’en conserver l’esthétique et de ne pas abîmer le bâtiment, et en même temps elle doit prendre l’accessibilité en compte. Ce qui est quand même terrible, c’est que depuis la loi de 2005 elle avait réfléchi, mais comme il n’y avait pas eu de député en fauteuil roulant, des travaux n’ont pas été effectués. C’est aussi vrai pour le personnel qui était en fait très content, quand je suis arrivé, de pouvoir réaliser ce qu’il avait pu imaginer ou réfléchir, mais dont il n’avait pas reçu l’autorisation de faire les travaux nécessaires. »
Si en tant que député, Sébastien Peytavie dispose d’un cadre de travail adapté, malgré une autonomie encore perfectible, il est conscient de bénéficier d’un cadre très particulier : « Ça c’est réglé de manière trans-partisane, sans politisation. C’est une règle, en fait, appliquée pour tous les députés handicapés qui bénéficient de 50% de budget collaborateur supplémentaire. Ce dispositif n’existe pas pour les élus locaux, et donc quand on est dans l’opposition par exemple, on peut se retrouver sans aides, ou cela dépend du bon vouloir de la majorité. Au plan local, que ce soit municipal, départemental ou régional, ne sont pris en compte au titre de la compensation du handicap que le temps de séance ou de participation à des commissions. Toute une partie du travail des élus y échappe. Je compte travailler avec Odile Maurin, notamment, sur une proposition de loi concernant la participation à la vie politique et associative, pour qu’il puisse y avoir un dispositif global pertinent de financement des aides humaines, même pendant les campagnes électorales. Si c’est un coût pour les partis politiques, on ne retrouvera jamais un nombre suffisant de candidats handicapés en situation de gagner l’élection. Pour moi, il y a là un grand sujet sur l’accès à la citoyenneté. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2023.