Le retour en arrière va faire mal : 40 ans ! C’est ce que l’on peut redouter de l’actuelle politique de mise en oeuvre de l’accessibilité à tout pour tous instaurée par la loi du 11 février 2005. Confronté à l’inertie de la plupart des collectivités territoriales, des propriétaires et gestionnaires d’Etablissements Recevant du Public ou de services de transport, le Gouvernement a trouvé un subterfuge : « enjamber 2015 », selon l’élégante expression de la sénatrice socialiste Claire-Lise Campion que le Premier ministre avait chargé l’an dernier d’une mission de recherche de solutions.
Elle les a trouvées : d’une part, accorder un délai supplémentaire aux collectivités, gestionnaires et propriétaires défaillants sous réserve qu’un plan de mise en accessibilité échelonnée dans le temps soit présenté en commission locale d’accessibilité, d’autre part alléger les normes applicables. Les élus locaux et le lobby du bâtiment ont gagné la première bataille : reporter et alléger. Pour cela, l’argument de la crise financière et économique a été largement employé, et a d’autant plus porté ses fruits que le Gouvernement pressure les ressources des collectivités territoriales pour complaire à la politique d’austérité imposée par la « Troïka » ultralibérale Commission Européenne, Fonds Monétaire International, Banque Centrale Européenne. La réduction dogmatique et à marche forcée du déficit des comptes publics à 3% du Produit Intérieur Brut conduit le Gouvernement à augmenter les impôts et taxes tout en baissant de plusieurs milliards d’euros les crédits budgétaires aux collectivités locales à qui il transfère des compétences de l’État mais sans les moyens financiers correspondants.
Face à ce contexte, les associations de personnes handicapées ont fini par se plier aux arguments de la raison d’État, et acceptent désormais le fameux « enjambement » de 2015. C’est ce qui ressort de l’avis que l’Observatoire Interministériel de l’Accessibilité et de la Conception Universelle (OBIACU) a rendu public le 14 mai dernier. La Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité, qui en assure le secrétariat, est très claire : « Le rapport de l’Observatoire reflète le consensus qui a été construit par ses membres au fur et à mesure des réunions des différents groupes de travail, de sa mission de coordination et de son assemblée plénière du 14 mai. Il n’y a pas de positions exprimées divergentes qui puissent être ajoutées au texte mis en ligne sur le site de l’Observatoire. »
La présidente de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), Christel Prado, vice-présidente de l’Obiacu, et le président de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), Philippe Chazal confirment ce consensus. L’Association des Paralysés de France, traditionnel fer de lance de l’accessibilité, précise qu’il n’est pas question de parler des Agendas d’Accessibilité Programmée tant qu’une réelle action politique n’aura pas été engagée par l’Etat, avec des financements conséquents, ce qui veut dire que l’APF accepte sous cette réserve le principe de ces « Ad’Ap » qui reportent l’échéance légale jusqu’en 2022. Une nuance qui ne figure pas en annexe de l’avis de l’OBIACU, pour ne pas faire « exploser » le consensus recherché par la Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité.
Dans le même temps, aucune association de défense des personnes handicapées n’est publiquement intervenue pour s’inquiéter ou dénoncer une atteinte à la liberté de déplacement qui figure dans le projet de loi d’accélération des projets de construction : l’une des dispositions exonère en effet de l’obligation de création d’aires de stationnement pour desservir les nouveaux logements, les immeubles surélevés et les bureaux transformés en logements. Alors même que l’accessibilité des transports collectifs est repoussée de quelques années et que la continuité d’accessibilité de la chaine du déplacement relève encore de l’utopie, le seul mode restant, l’automobile, sera interdit aux usagers handicapés à cause d’un stationnement impossible à proximité, dans les quartiers qui appliqueront cette législation portée par la ministre écologiste Cécile Duflot. Ministre dont les services préparent d’ailleurs d’autres atteintes à la liberté de déplacement et au droit à un logement accessible ou adapté.
Durant la présidence « agitée » de Nicolas Sarkozy, les tentatives d’effilocher la loi du 11 février 2005 (voulue et portée, faut-il le rappeler, par son prédécesseur Jacques Chirac) ont été mises en échec grâce à l’action associative et à des parlementaires combattifs appartenant à l’opposition de gauche d’alors. L’incertitude législative créée par ces attaques à répétition a stimulé l’inertie des collectivités territoriales, des propriétaires et des gestionnaires : pourquoi engager des investissements et travaux alors que la réglementation était susceptible d’évoluer à la baisse ?
En arrivant au pouvoir, la gauche socialiste a paradoxalement suivi la voie qu’elle avait combattue lorsqu’elle était dans l’opposition, et a amplifié le signal « attendre et voir venir » en annonçant dès septembre 2012 que l’échéance de 2015 ne serait pas tenue, puis en lançant à l’automne la fameuse mission Campion précédant une modification de la réglementation encore à l’étude. Tout cela sous le regard impavide des associations censées défendre les intérêts de personnes handicapées dont l’intégration sociale et professionnelle revient progressivement à ce qu’elle était avant 1975…
Laurent Lejard, juin 2013.