« Grève de la faim. Tous égaux en droits avec le sexe. Moi Michel, handicapé physique, je veux un rendez-vous avec la ministre Mme Carlotti. Signez la pétition ». Cette banderole, les passants de la place de l’Hôtel de Ville de Tarbes (Hautes-Pyrénées) l’ont vue pendant deux jours, les 24 et 25 octobre dernier. Cette protestation n’était pas organisée par un activiste handicapé mais par un… comédien, connu dans le département voisin du Gers pour son activité de crieur de rue à Auch. Pourquoi a-t-il endossé le personnage d’un paralytique assisté d’un aidant (Claude alias Hassen Chaouche), demandant la reconnaissance de l’assistance sexuelle ? Comment se sont passés ces deux jours de théâtre d’intervention ? Olivier Claeys, fondateur de la compagnie Des bisous sous la pluie raconte sa démarche, qui peut surprendre ou choquer mais s’inscrit dans une volonté de susciter le débat et stimuler l’expression démocratique sur un sujet délicat encore trop occulté.
« Dans mon entourage, il y a trois personnes en fauteuil roulant. J’ai travaillé avec des personnes handicapées physiques ou mentales. L’assistance sexuelle est un sujet qui m’intéresse et me touche, mais je n’en avais pas parlé avec eux. Maintenant, je me dis que ce serait bien de le faire. Moi j’ai une vie sexuelle, j’aimerais que tout le monde ait droit à une vie sexuelle, affective. L’action a duré deux jours. Au départ on ne savait pas combien de temps elle durerait, on s’est adaptés à ce qui s’est passé, on a arrêté quand on a senti le bon moment. On s’est installés jeudi matin sur la place de la mairie de Tarbes, on a posé notre banderole, table, chaises, pétition et on a attendu. Au bout de 20 minutes, la police est arrivée, qui a failli nous virer, sans dire bonjour, en nous prenant de haut. Pendant que les policiers appelaient leur supérieur, Claude a dit qu’il avait le quotidien La Dépêche au téléphone et les agents sont partis… Je précise cela pour dire l’importance des médias, qui sont un contre-pouvoir, autrement je pense qu’on se serait fait virer. Ça pose la question de la rue comme lieu d’expression : est-ce que l’on peut se l’approprier ou pas, pour cette action ou pour autre chose, en tant que compagnie de théâtre, et aussi de citoyen. Je l’ai déjà vécu l’année dernière, dans mon activité de crieur public à Mirande (Gers) : on avait déposé des boites chez les commerçants pour que les habitants laissent des messages qu’on lisait. Le maire ne voulait pas ça, se demandant ce qu’on allait dire sur lui et sa mairie, il voulait seulement faire des annonces de manifestations; on a été verbalisés ! »
« À Tarbes, il y a eu beaucoup d’échanges avec une population très diverse, des adultes, des ados, des personnes âgés, handicapées, le soir avec les gens qui dorment dans la rue, une diversité qui m’a surpris. Des gens ne savaient pas ce qu’est le statut d’assistant sexuel, on l’a expliqué. Des passants ne s’arrêtaient pas parce qu’il y avait le mot sexe sur la banderole, on a été étonné de constater que des gens ne savaient pas ce qu’était une pétition, ou qui signaient sans lire ! Beaucoup de gens s’arrêtaient, lisaient le texte sur la banderole visible de loin. Des personnes handicapées ou qui connaissent le handicap dans leur famille, leur travail, ont dit spontanément qu’il fallait ce statut de l’assistant sexuel, que c’était une évidence. Elles disaient ‘bravo, c’est courageux de faire ça’. Des gens nous ont demandé la différence entre la prostitution et le statut d’assistant sexuel, c’est revenu régulièrement chez ceux qui n’ont jamais entendu parler du sujet. Lors d’une discussion, un homme en fauteuil roulant a expliqué que si par Internet on peut faire des rencontres, des personnes handicapées se font abuser parce qu’il n’y a pas de cadre, qu’il n’y a rien. Une dizaine de passants connaissaient le sujet par un reportage vu à la télévision. Ça amène le débat dans la rue. Qu’on discute dans la rue de sujets qui sont tabous, je trouve cela très intéressant, et là, ‘ça l’a fait’ : on a même parlé avec une bonne soeur, elle nous a fait la bise en repartant ! Les ados, mêmes les plus jeunes, posaient des questions, ils voulaient comprendre. Des SDF nous ont vraiment encouragé avec leur coeur, parce qu’ils voyaient qu’on étaient aussi dans la rue. Il y a une sorte de solidarité, plusieurs personnes nous ont dit qu’il faut être solidaires. »
Au terme de cette action plus médiatisée qu’ils pensaient et qu’ils ont arrêtée avant d’en perdre le contrôle, Olivier Claeys et Hassen Chaouche ont le sentiment que la presse a parlé du fond du sujet : « France 3, La Dépêche en première page, Sud Ouest, une radio, d’autres journaux en ont parlé. Le directeur de l’Association des Paralysés de France de Midi-Pyrénées a été interviewé par France 3, il a expliqué le statut et nous a remercié qu’on parle de l’assistance sexuelle. Pour nous, troupe de théâtre, il y a autre chose : c’est la manière dont les médias réagissent, traitent un sujet sans le vérifier; on peut s’interroger pour d’autres sujets ! On a discuté avec des journalistes, ça leur fait se poser des questions sur leur travail, parce que si Hassen et moi on a réussi, comment peuvent nous gruger ceux qui utilisent des agences de communication ? Nous, on a traité un vrai sujet, même s’il y a des gens qui ne prennent pas bien notre méthode et qui disent qu’on a dupé tout le monde. Je leur réponds que c’est mon travail de comédien que je fais de cette façon-là, dans la rue. On lance l’idée, on propose aux citoyens de prendre le relais. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2013.