La plupart des immeubles conçus par l’architecte provençal Rudy Ricciotti comportent des prouesses techniques, et cet aspect de son travail est particulièrement présent dans l’exposition proposée à Paris jusqu’au 8 septembre 2013 par la Cité de l’architecture et du patrimoine. Créateur notamment du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem, Marseille), du Pavillon noir (Aix-en-Provence), du Stadium (Vitrolles), de la rénovation des Grands Moulins de Paris (Pantin), de la Philharmonie de Potsdam (Allemagne), du pont du Diable (près de Saint-Guilhem le Désert, Hérault) et de bien d’autres réalisations et projets, il explique, avec son franc-parler méridional, l’impact de l’accessibilité sur sa créativité.
Question : Comment conciliez-vous votre geste créatif avec l’accessibilité et ses normes ?
Rudy Ricciotti: Mon geste créatif n’est pas nourri d’inspiration, il est nourri de baston! Je n’ai pas pour objet de produire de la sympathie, mais du résultat. Je travaille beaucoup, combats contre la barbarie bureaucratique. Qu’est-ce qu’il faut faire: c’est comme ça si on aime son pays, qu’on est patriote… Je ne suis pas cynique, vous voyez: je suis détestable mais pas cynique!
Question: Pour le Mucem, le premier dossier de permis de construire avait été refusé par l’Administration en avril 2009 parce que non conforme aux normes d’accessibilité…
Rudy Ricciotti: Non. Je dois être l’un des seuls architectes qui fait travailler un bureau d’études privé spécialisé dans la question du handicap. Le projet n’a pas été retoqué. Il y a toujours des améliorations à apporter, un dialogue à avoir avec les associations qui instruisent le permis de construire. On les consulte, nous.
Question: L’architecte Christian de Portzamparc estimait en 2006 avoir une « pauvre culture de l’accessibilité ». Cette culture de l’accessibilité est-elle nécessaire aujourd’hui?
Rudy Ricciotti: Je crois qu’il ne faut surtout pas prendre en otage la question du handicap, pour non seulement affliger, culpabiliser davantage les personnes handicapées, et à la fois affliger la société d’une question qui est la sienne. Ce n’est pas la peine d’en faire aussi un argument générique. En clair, quand un confrère dépose un permis de construire pour un stade de beach-volley à Marseille, sur le sable, et qu’on lui demande que le terrain soit accessible aux handicapés, et qu’il faut mettre du béton et pas du sable. Il va voir l’association des handicapés à la Préfecture, qui lui dit « mais nous, on n’a pas demandé ça, c’est demandé par des gens dont l’interprétation ridiculise notre cause ». C’est cela aussi le problème, à la fois dans la dignité et à la fois dans l’intelligence. La réponse est citoyenne.
Question: Vous arrive-t-il de vous sentir limité par ce sujet ?
Rudy Ricciotti: Non, moi je n’ai jamais eu de problème avec la question du handicap. Par contre, c’est vrai que ça change la question du logement social. L’exigence normative générique à tous les appartements engendre une consommation d’espace dans les circulations, au détriment des espaces de vie. La loi, on l’applique, il n’y a pas de raison de ne pas l’appliquer, cela ne fait pas l’objet d’un débat.
Question : Comment appréciez-vous l’usage d’un bâtiment par ses utilisateurs ? Par exemple, vous aviez conçu pour l’abbaye de Montmajour, dans les Bouches-du-Rhône, une accessibilité pour tous les visiteurs, mais le bâtiment d’accueil rénové a été rapidement fermé.
Rudy Ricciotti : J’ai une idée très républicaine du service public. A un moment donné, je pense qu’un bâtiment public n’appartient pas forcément qu’à ses utilisateurs. Il appartient aussi au public autour, il appartient à la République, il appartient à l’État. Vous évoquez un incident un peu marginal : les employés avaient froid parce que c’est un bâtiment du XVIIIe siècle qui n’est pas isolé. Bon, ils prennent un autre architecte et ils mettent de l’isolant thermique sur les pierres du XVIIIe, mais pas moi. Le problème est là : un syndicat dit « il fait froid à Montmajour, etc. », j’ai répondu à l’expert « vous prenez des faux-plafonds, vous mettez de la laine de verre contre les murs avec du placo, mais vous ne le ferez pas avec moi, vous le ferez avec un abruti ad hoc. Je ne ferai pas çà sur un monument historique classé. »
Question : A Marseille, comment avez-vous intégré l’immeuble du Mucem dans le projet d’un parcours piéton ouvert à tous reliant le Vieux-Port, traversant le Fort-Saint-Jean enfin ouvert au public, et le quartier du Panier ?
Rudy Ricciotti : La réponse, c’est le territoire. Le parcours piéton va des quais au Mucem, avec des rampes accessibles aux handicapés je vous le signale, pour aller sur le toit du musée ou en descendre. Du toit, avec les passerelles, vous allez au Fort Saint-Jean, vous y circulez et vous pouvez même prendre l’autre passerelle qui va au quartier du Panier. Ce territoire était interdit, avant. Aujourd’hui il est libéré.
Propos recueillis par Laurent Lejard, avril 2013.