Voilà un retour aux origines du fauteuil roulant : le bois. Mais travaillé avec les techniques modernes pour concevoir un fauteuil stylé, chic, d’un aspect marbré blond miel qui attire l’attention et les regards. C’est le défi sur lequel planche Paul de Livron, entre la banlieue parisienne et la Dordogne où son atelier est installé dans la propriété familiale. Élève ingénieur jusqu’à l’accident qui l’a rendu paraplégique à 21 ans, il voudrait s’affranchir des fabricants de fauteuils actifs vendus plus chers qu’ils ne le vaudraient vraiment : « Il y a toute une chaîne d’intervenants, et les fabricants ne font pas d’efforts puisqu’on trouve les moyens d’acheter leurs produits hors de prix. On se fait rouler dans la farine. J’en ai marre, j’aimerais sortir de ce système. » A ce point de sa réflexion, et parce que son frère menuisier et un cousin disposent des moyens techniques nécessaires, il s’est lancé dans la réalisation d’un fauteuil roulant d’un nouveau genre, réalisé en bois.
Ce n’est encore qu’un prototype, le second, mais il est fonctionnel, manoeuvrant, léger et esthétique. Siège et cadre sont d’un bloc, ou plutôt d’une multitude de couches de contreplaqué, découpées par une machine à commande numérique puis collées ; cette technique permet d’alléger la structure en alésant les strates de bois. Paul de Livron a écarté le bois massif, pour son prix plus élevé et la difficulté de le travailler. Les roues et pièces mécaniques sont en métal, le repose-pied en fibres de carbone (matériau abandonné à l’avenir). De par sa fabrication, le fauteuil Apollo est réalisé sur mesure pour l’usager. « Mon combat, c’est la mise au point de châssis sur mesure plus accessibles, en particulier dans les pays en voie de développement, justifie son créateur. C’est plus facile à faire en bois qu’en métal. » Entre le premier prototype et le second, il a renoncé au châssis ouvert, sans bras de renfort reliant l’axe des grandes roues au support des petite roues avant : « Je crains que le châssis ouvert soit, même s’il n’a pas cassé, plus fragile naturellement. Le châssis ouvert est plus souple, par exemple sur les dévers des trottoirs avec sa flexibilité vous avez moins de risques d’avoir une roue dans le vide. Alors que le châssis fermé fait un peu mastoc, bouledogue. Le fait qu’il soit plus solide lui donne un air moins racé, moins chic presque. »
Pour quels usages ?
Paul de Livron estime que la fabrication en série rendrait son fauteuil bois compétitif. Mais il doit encore élaborer d’autres prototypes pliables, à dossier plus haut, etc. « Les prototypes que j’ai conçus sont dérivés des fauteuils roulants que j’utilise. On peut faire un fauteuil pliant en bois. Je ne prétends pas remplacer le fauteuil roulant du quotidien par des fauteuils en bois. Pour le marché français, je crois que l’avenir du fauteuil en bois est plutôt d’être complémentaire, utilisé à l’intérieur parce que plus confortable. Par exemple, les personnes en maison de retraite seraient preneuses d’un fauteuil roulant un peu sympa, qui s’associe mieux avec le mobilier autour d’elles. Ou bien un fauteuil roulant des grandes occasions. »
Et il appuie son propos sur le regard des gens qu’il croise quand il utilise son troisième prototype : « On ne regarde pas ce fauteuil comme un autre, mais comme un beau fauteuil roulant, c’est presque un accessoire de mode. Ça fait oublier la perception du handicap, on ne juge pas un invalide, mais d’estimer un type qui a la classe ! » Un séjour en Inde dans un dispensaire Mère Teresa où les usagers utilisaient des fauteuils « gros tanks » l’a convaincu qu’une fabrication de fauteuils bois pourrait améliorer l’accès des populations pauvres à cet outil de mobilité dont elles sont dépourvues.
Le fauteuil du Pape
Dans son cheminement créatif, Paul de Livron a réalisé un très bon coup de communication : il a élaboré un fauteuil pour le Pape François qu’il lui a remis lors de sa venue à Marseille fin septembre 2023. De nombreux médias en ont parlé, mais le Souverain pontife l’a-t-il utilisé ? « Je n’ai pas remis le fauteuil en main propre. Il n’y avait pas le temps nécessaire dans son agenda, et j’avais un handicap, trop de visibilité médiatique : je faisais de l’ombre à la raison principale de la venue du Pape à Marseille. Alors j’ai remis le fauteuil à ses équipes qui l’ont ramené au Vatican. Je ne sais pas s’il lui a été présenté. » En tous cas, cette médiatisation n’a eu aucun effet sur les pouvoirs publics, et n’a pas suscité l’intérêt d’industriels du fauteuil roulant.
« Je ne veux pas devenir fabricant. S’il faut réduire les coûts et satisfaire la demande, la meilleure façon de faire est de s’appuyer sur un partenariat avec un industriel qui a l’argent, la main d’oeuvre et serait prêt à investir. » Paul de Livron a déambulé en juin dernier dans les allées d’un salon spécialisé dans les aides techniques, suscitant l’intérêt curieux du public, mais sans suite de la part d’un gros exposant suédois. « Les fabricants me connaissent, ont repéré ce que je fais. Peut-être qu’ils n’ont pas encore compris que c’est à leur portée de fabriquer des fauteuils en bois. Ils finiront peut-être par comprendre que j’attends une seule chose, qu’ils s’y mettent à ma place. » Dans ce contexte, les prototypes de Paul de Livron cherchent encore leur avenir…