Rendez-vous biennal du théâtre bilingue ou signé, Souroupa prend cette année de l’ampleur et présente pendant trois jours, du 26 au 28 juillet, onze spectacles et ateliers bilingues Langue des Signes Française et Français parlé. Au programme : théâtre de rue ou en salle, clowns, contes, chanson, chansigne, et deux compagnies qui viendront témoigner de la vivacité du milieu Sourd de Poitiers. Dont Sale Petit Bonhomme, consacrée à la chanson, créée à la fin de l’année 2006 autour des compositions de Jean-Jacques Mouzac, qui a publié deux albums. « En 2011, raconte Aurélien Mouzac, guitariste, arrangeur et fils du précédent, on a eu envie de travailler sur un projet mélangeant langue des signes et voix, pour exprimer l’aspect visuel des chansons. Comme on était dans un milieu militant langue des signes et bilingue, on a créé avec le comédien professionnel et chercheur universitaire sourd Olivier Schetrit un premier spectacle, ‘Sale Petit Bonhomme fait Chanter les Mains et Dire les Signes’. Le travail avec Olivier a été très constructif, c’est un comédien de grand talent qui a travaillé avec les plus grands artistes sourds. Il partage son temps entre la recherche, au CNRS et au Collège de France, et ses spectacles. Avec lui, ça été le départ d’une aventure parfois douloureuse : lui est sourd profond, alors que nous, on travaille sur la voix. C’était un échange entre deux cultures, les mots, les signes et leur sens, chacun défendant son point de vue. D’autres intervenants sont venus exprimer leur perception, c’est très important pour la traduction de textes en langue des signes, ce fut un premier bouleversement. »
Une aventure qu’il fallait montrer au public. Aurélien Mouzac explique : « On s’est retrouvés ensemble, avec Maud Thibault qui a réalisé l’adaptation des textes en LSF chansigne et Olivier, et quand on a voulu synchroniser leurs interventions, on s’est retrouvés face à un précipice. On avait le bon tempo pour la chanson, mais il fallait trouver celui des signes. Ça été pour nous une claque, un changement assez extraordinaire pour faire que l’on soit ensemble. Avec comme résultat un grand succès du spectacle lors de sa création à Poitiers. C’est ce travail qui nous a lancé dans le bilingue. » Et l’envie de poursuivre avec une autre création : « La compagnie a toujours chanté Brassens, précise Aurélien Mouzac, d’où le nom que l’on s’est donné, et l’idée d’écrire un spectacle autour de Georges Brassens en l’interprétant à notre manière. Et on a créé ‘Mon Brassens’ en LSF avec Maud, qui signe, et quelques chansons écrites et chantée par Jean-Jacques, mon père. Un spectacle léger, qui est fait pour rire. »
Sale Petit Bonhomme conduit également, toujours à Poitiers, des actions de médiation culturelle mêlant sourds et entendants, ainsi qu’une chorale bilingue. La compagnie espère réaliser à court terme des ateliers bilingues d’écriture sourds et entendants. « Notre travail s’inscrit dans une démarche plus large, au sein d’une communauté de sourds importante, précise Aurélien Mouzac. Il y a un public, une dynamique. À Poitiers, il existe plusieurs structures dont Larnay Sagesse qui accueille des Sourds depuis longtemps. On réalise des actions avec eux pour les personnes âgées, les sourds-aveugles, les personnes polyhandicapées. On travaille également en lien avec l’Institut Régional des Jeunes Sourds [IRJS], ainsi que l’association Deux Langues Pour une Education [2LPE] qui agit pour le bilinguisme. Pour nous, le mot ‘handicap’ ne pose aucun problème. Nous voulons montrer que la langue des signes à sa place, faire des choses avec les gens. »
La seconde compagnie poitevine invitée par le festival Souroupa répond au nom appétissant de Confitures et Cie. Elle présentera deux de ses créations. « Nous sommes une jeune compagnie, explique la comédienne Faustine Roda. Nous gravitons autour d’un jeune public d’entendants et de sourds. ‘Sans Voix’ est un duo clownesque et burlesque compréhensible par tous les publics, dans lequel je signe. Dans ‘Poucette’, je joue avec un comédien interprète et une musicienne. Ce spectacle n’est pas encore tout à fait abouti, on va le jouer un extérieur pour Souroupa. J’ai une position de médiatrice dans ce spectacle. »
C’est Aurélien Mouzac qui a proposé à Confitures et Cie de participer au festival : « En plus, on a bénéficié d’un désistement qui nous a permis d’inscrire un second spectacle, ajoute Faustine Roda. On espère de Souroupa qu’il fasse connaître notre travail à la population du sud, nous aide à progresser, à évoluer dans notre travail comme dans ‘Sans Voix’, ou le public participe activement. Il est enrichissant de travailler en extérieur, c’est un grand plaisir de se confronter au public. »
A l’instar de Sale Petit Bonhomme, Confitures et Cie s’inscrit dans le bilinguisme vécu comme une philosophie d’ouverture culturelle. Bilinguisme que Faustine Roda apprécie particulièrement à Poitiers : « Beaucoup de familles s’installent dans cette ville parce qu’il y a un enseignement bilingue à tous les niveaux, de la maternelle jusqu’aux études supérieures. L’Association des Sourds de Poitiers invite des spectacles bilingues et pisourds, jouant sur la diversité dans le théâtre, la chorale, etc. C’est un petit monde, on se côtoie, dans l’ouverture, le foisonnement. » De quoi donner des idées dans d’autres villes…
Laurent Lejard, juin 2013.