Si vous passez par Sedan, arrêtez-vous déjeuner ou dîner en entrée de ville à La ferme du Landi : outre une accessibilité totale à toutes les salles (bien qu’en dénivelé de l’une à l’autre) vous y rencontrerez un restaurateur rare à la personnalité attachante, Gilles Henry, bien implanté dans sa région. Pourtant, après avoir fait l’école hôtelière en Belgique, il n’a eu de cesse que de quitter ses Ardennes natales : « Ma passion, c’est la restauration, explique-t-il. Je suis Ardennais, fils d’agriculteur. Je ne supportais plus le cul des vaches ! A 18 ans je suis parti à Cannes : on m’en avait parlé et ça m’a donné envie d’aller voir. De la France, je ne connaissais que les Vosges, huit jours sous la pluie… » Mais son atterrissage sur la Côte d’Azur a d’abord été douloureux : « J’ai passé des nuits entières à pleurer de solitude. On n’arrive pas à Cannes comme ça, on ne se construit pas du jour au lendemain. » Sa chance a été d’être embauché très vite par un grand restaurant, avec un bon salaire, sans compter les pourboires conséquents laissés par les clients. Il faisait le service. Doté par la nature d’un physique avantageux et d’un bon sens relationnel, il a également été plagiste, toujours à Cannes, et résidait à côté de l’ancien palais des Festivals, sur la Croisette. Un rêve et une carrière stoppés net à Monaco, à l’âge de 21 ans : « Un matin, j’étais très fatigué, je n’ai pas pu me lever pour aller travailler. » Hospitalisé en urgence, les médecins n’ont pu que constater une paralysie générée par une myélite. Dans la fougue de sa jeunesse, Gilles Henry n’avait pas prêté attention aux signes avant-coureurs, trop confiant dans sa nature vigoureuse et dans les lendemains qui chantent…
Rupture totale, y compris avec ses amis d’alors, grosse déprime et retour case départ, dans ses Ardennes natales. « Mon désir de continuer à vivre a pris le dessus. J’allais à Charleville faire la fête, j’aime bien le monde… » Une situation que son père n’a guère supportée: Gilles Henry a dû quitter la maison familiale. Heureusement, l’opportunité de retravailler dans la restauration s’est présentée grâce à une ancienne patronne qui lui a proposé d’assurer le banquet annuel d’une société de chasse: « Je me suis mis aux fourneaux cette fois-ci. J’ai fait les courses, cuisiné les plats. Pour le premier repas dans une salle des fêtes, il y avait une trentaine de convives. L’année suivante ils étaient 80, puis c’est passé à la centaine. » Mais comment cuisiner pour tant de monde quand on se déplace en fauteuil roulant? « J’avais de l’aide, mais on arrive à faire beaucoup de choses en fauteuil. Ce qui est difficile, c’est porter une grosse casserole. »
Le moral et la niaque sont revenus. Alors que, loin de ses premiers objectifs, il assurait du secrétariat médical pour un ami, une autre opportunité s’est présentée, l’achat d’une grande maison à retaper à l’entrée de Sedan. Projet que les aléas de la vie ont transformé en restaurant, La ferme du Landi, que Gilles Henry exploite depuis son ouverture en 1996. Il y propose une gastronomie traditionnelle à base de produits du terroir. Il assiste son chef de cuisine, assure les achats et les approvisionnements, gère le personnel. Il envisage désormais de transformer progressivement le restaurant en club lounge, pour le redynamiser avec une clientèle rajeunie. « Quand le restaurant a ouvert, on travaillait beaucoup avec les industriels, pour les repas d’affaires. A l’heure actuelle, ils ont baissé leurs frais et il y a moins d’usines. »
Outre la cuisine, Gilles Henry s’est par ailleurs intéressé à bien d’autres choses, dont les voyages (notamment au Maroc, dont il apprécie le mode de vie et les habitants) et la brocante. Avec un goût très sûr que l’on retrouve notamment dans la décoration des salles de son restaurant et la vaste maison dans laquelle il a récemment aménagé une chambre d’hôtes design et parfaitement adaptée. Avec cette capacité à inventer, à détourner matériaux ou ustensiles, pour les intégrer dans un décor sans que l’objet jure ou ne trahisse son usage premier. Autre activité plus inattendue, apprise dans un centre de rééducation : « Lors d’un séjour en hôpital il y a une douzaine d’années, j’ai payé le forfait hospitalier grâce au cannage de chaises; je le faisais à plat ventre ! »
Gilles Henry est intarissable sur ses passions et toujours partant pour un projet, surtout s’il lui permet de voyager, changer d’univers et rencontrer de nouvelles personnes avec qui échanger. Son énergie et sa bonne humeur sont communicatives. Le handicap ? Une composante de la vie au sens large !
Laurent Lejard, octobre 2013.